L'industrialisation de l'Algérie
Le problème algérien se trouve actuellement dominé, dans une ambiance de surexcitation passionnelle, par ses données politiques et psychologiques. Il serait surprenant qu’il en fût autrement, mais lorsqu’on réinsère ce problème dans ses conditionnements géographiques et historiques, on se rend compte qu’il est essentiellement d’ordre économique — plus précisément qu’il est l’expression, en fonction d’un territoire et d’hommes bien déterminés, du drame général des pays sous-développés.
Nous ne prétendons pas qu’un rapport de causalité absolue et directe relie les faits économiques aux faits politiques, nous ne prétendons pas que la rébellion ne soit qu’un épiphénomène du sous-développement économique (la biologie socio-politique est infiniment plus complexe que cela) mais il est bien évident qu’en Algérie, comme d’ailleurs dans tous les pays riverains de la Méditerranée, les comportements sociaux, dans leurs expressions démographiques et politiques, et même en tenant compte des facteurs raciaux et religieux, sont déterminés par le sous-développement économique — et ceci à un tel point que l’on a pu dire avec raison que le chômage constitue le meilleur des arguments du F.L.N. Il n’est pas moins évident qu’un territoire, quel qu’il soit (1), ne peut passer du stade du sous-développement à celui de l’expansion que par l’industrialisation. Le même raisonnement vaut pour l’Algérie comme pour l’ensemble du monde méditerranéen et pour l’Asie des Moussons. « Un signe commun à tous les pays méditerranéens est leur bas niveau de vie, conséquence de la faible productivité agricole des terres non irriguées, de la faible productivité industrielle, d’un accroissement de la population trop rapide par rapport à celui de la production, et enfin d’une mauvaise structure sociale concentrant une grande partie de la richesse foncière et immobilière dans les mains d’un petit nombre. Des indices multiples témoignent que la civilisation de l’acier, la civilisation de la machine, n’ont que faiblement pénétré les pays méditerranéens ». Ces propos des géographes Pierre Birot et Jean Dresch (2) précisent le cadre général dans lequel doit être étudié le problème algérien (3).
L’industrialisation est-elle susceptible de modifier sensiblement un tel état de choses ? Cette question apparaît d’autant plus importante que la population non industrielle de l’Afrique du Nord (agricole et pastorale) représente 80 % de la population totale, pourcentage qui rappelle précisément celui de l’Asie des Moussons (4). Si l’on accorde à ce chiffre la signification qu’il mérite, si l’on tient compte par ailleurs de l’évolution du « quotient énergétique » (5) et de la modicité des capitaux investis jusqu’ici dans l’industrie par rapport à ceux qui le furent dans l’agriculture, on constate, une fois de plus, la pression déterminante des conditionnements naturels — et il s’y ajoute les conséquences de certaines des tendances de l’implantation européenne.
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