Dans un précèdent article (v. Revue de Défense Nationale d’octobre 1971), l’auteur avait traité des « Structures de défense nationale ». Il met aujourd’hui l’accent sur la dynamique qui doit animer en permanence, dès le temps de paix, ces structures dont le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) est un élément essentiel : d’où le nom de cybernétique que l’auteur donne à ce système d’aide à la décision gouvernementale en matière de défense. Le présent article est tiré d’un exposé que le général a fait le 15 mai 1973 à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), quelques semaines avant de quitter son poste de SGDN.
Cybernétique de défense et Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN)
La stratégie de dissuasion, vieille comme le monde mais renouvelée par l’apparition de l’arme nucléaire, vise à éviter les affrontements militaires majeurs. Il en résulte que la conduite de la crise devient un aspect essentiel de la stratégie. Mais la crise elle-même — concrétisation de la menace — est à vrai dire en permanence latente si la menace est envisagée sous son aspect global. D’où la nécessité d’une conduite permanente de la stratégie de défense, conduite qui doit elle-même être globale, donc se situer, sur le plan national, au niveau interministériel. Pour satisfaire à cette nécessité, c’est-à-dire d’une part pour procéder à l’estimation de la menace, et d’autre part pour étudier, préparer et conduire les parades à cette menace, une véritable cybernétique de défense doit s’instituer. Le S.G.D.N., de par sa place dans les structures et son caractère interministériel, paraît tout désigné pour y jouer un rôle important. C’est ce que l’on voudrait faire ressortir dans les pages qui suivent.
La menace
C’est effectivement de la « menace » qu’il faut partir dès qu’on veut conduire une réflexion sur la défense. D’aucuns diront peut-être que c’est une conception un peu étroite de lier la défense à la menace ou plus exactement que l’expression « défense » est insuffisante pour caractériser une fonction de l’État qui vise non seulement à préserver mais à affirmer la place de la Nation dans un monde en évolution.
En fait, et pour rassurer ceux qui expriment cette réserve, il convient de préciser que la menace, telle qu’elle est comprise au S.G.D.N., reçoit une acception très large.
D’abord parce que nous envisageons la menace dans un sens global, pas seulement militaire, mais diplomatique, économique, scientifique, intérieure, culturelle même ; que dans le domaine économique par exemple — mais cela pourrait être vrai aussi dans d’autres domaines — sont prises en considération non seulement les actions hostiles mais même la simple concurrence, et pas seulement commerciale mais même la concurrence dans la marche vers le progrès sous toutes ses formes.
Ensuite parce que nous envisageons ce que j’appellerai la menace au deuxième degré c’est-à-dire que nous ne nous arrêtons pas seulement à l’estimation d’une menace au premier degré, telle qu’elle peut résulter de l’examen de la conjoncture et de son évolution prévisible mais que, une politique de défense ayant été définie en fonction de la menace au premier degré, nous examinerons également les menaces qui peuvent peser sur la mise en œuvre de cette politique. Il y a là une analogie avec ce que fait le chef militaire qui monte une première approximation de sa manœuvre en fonction de l’ennemi initial ou des hypothèses initiales qui peuvent être faites sur ses actions possibles et qui, dans un deuxième temps, prend en considération « l’ennemi de sa manœuvre », c’est-à-dire tient compte des réactions que l’ennemi peut avoir face à cette manœuvre.
C’est ainsi — à titre d’exemple — que, notre politique de défense reposant pour une bonne part sur l’existence de forces nucléaires nationales, tout ce qui peut s’opposer à la réalisation de ces forces nucléaires entre dans l’estimation de la menace. De même, une position française ayant été définie en matière de désarmement ou de limitation des armements, tout ce qui va à l’encontre de cette position peut figurer dans la menace. Plus généralement encore, la France ayant une politique de paix, tout ce qui dans le monde constitue une menace contre la paix, toute tension, mérite d’être pris en considération au titre de la menace. On voit ainsi quelle large extension peut être donnée à la définition de la menace.
L’estimation de la menace est un des aspects essentiels du rôle du S.G.D.N. et plus particulièrement de sa division Renseignement ; plus particulièrement mais non exclusivement, car certains aspects de la menace exigent une concertation avec les autres divisions du S.G.D.N. ou organismes qui y sont rattachés : division Affaires Économiques, division Affaires Civiles, division Affaires Militaires, Comité d’Action Scientifique de Défense, etc. D’où la nécessité de constituer un groupe de travail « Menace », piloté d’ailleurs par la division Renseignement, groupe qui s’est constitué il y a environ deux ans et qui poursuit des travaux méthodiques en vue de parvenir à une synthèse à la fois complète et structurée, il ne saurait être question de faire part ici des premières conclusions de ce groupe mais simplement de donner un aperçu de sa méthodologie et quelques exemples des approches auxquelles il se livre.
Une première remarque s’impose : n’y a-t-il pas lieu de distinguer menace à court ou moyen terme et menace à long terme ? Il est apparu que cette distinction était en effet nécessaire et un deuxième groupe de travail a été constitué étudiant l’évolution de la conjoncture à « l’horizon plus 15 ans », groupe qui n’est pas fondamentalement différent du précédent mais qui travaille dans un esprit prospectif et sous la direction du Secrétaire Général de la Défense Nationale lui-même ou de son adjoint. Il reste évident que les deux études, lorsqu’on prolonge l’une vers l’avenir et l’autre vers le présent, doivent se rejoindre.
Ceci étant, une question préjudicielle se pose. Ne convient-il pas de situer les différentes menaces à prendre en considération dans le cadre des hypothèses qui peuvent être faites quant à l’aboutissement ou au non-aboutissement des projets qui peuvent être élaborés en matière de désarmement général ? Si l’on raisonne à long terme, la réponse est affirmative. En revanche, l’estimation de la menace à court ou moyen terme peut admettre que de telles tentatives n’aboutiront pas dans l’immédiat et que l’équilibre du monde restera régi par des rapports de force entre nations ou groupes de nations n’excluant pas des crises de natures diverses et pouvant comporter des aspects politico-militaires.
Toutefois, l’estimation de la menace à court ou moyen terme doit prendre en considération les tentatives de limitation des armements ou des forces du type SALT, MBFR, etc., et toute une série d’hypothèses peuvent être élaborées à ce propos sur lesquelles on n’insistera pas ici mais qui sont, pour l’essentiel, étroitement liées au jeu à deux dont on aura à reparler.
Il est évidemment délicat, à un moment où la détente dans les relations internationales est réelle, de prendre position explicitement sur la menace. Désigner un ennemi potentiel préférentiel, où si l’on veut, comme le disait l’amiral Castex, un perturbateur auquel s’opposerait un contre-perturbateur, n’est-ce pas risquer de créer un état d’esprit qui s’oppose à la détente ?
D’où l’intérêt de la définition d’une stratégie « tous azimuts » pour reprendre une expression qui a été en faveur il y a quelques années et qui a été critiquée à vrai dire surtout parce que, si on la comprenait en tant que stratégie des moyens, elle paraissait trop ambitieuse pour une puissance moyenne comme la France. Mais elle conserve, à l’usage d’une opinion publique adulte et en tant que motivation d’un esprit de défense conciliable avec le souci de détente, un incontestable intérêt.
Certes, les organismes responsables de l’estimation de la menace, les états-majors, sans remettre en cause cette conception générale, sont obligés d’aller plus loin dans leur analyse et d’examiner toutes les hypothèses qui peuvent être faites sur l’évolution de la conjoncture stratégique et sur les menaces attachées à chacune d’elles et qui risquent de peser sur la France.
Les rapports entre les deux superpuissances et les blocs ou alliances qui en dépendent constituent évidemment un élément essentiel — mais non pas le seul de cette appréciation de l’évolution de la conjoncture.
Le fait que la France est une nation continentale dont les frontières de l’Est ont été longtemps menacées, son appartenance à l’Alliance Atlantique, conduisent à mener cette approche en examinant tout d’abord dans quelle mesure l’U.R.S.S. peut jouer ce rôle de « perturbateur continental » qui a été longtemps celui de l’Allemagne.
Pour répondre à cette question, il importe d’examiner d’une manière très objective quelles peuvent être, sur le plan stratégique, les motivations des Soviétiques.
Celles-ci comportent d’abord — il ne faut pas l’oublier — des aspects défensifs. Il y a pour eux :
— une menace chinoise, à la fois militaire, politique et idéologique ;
— une menace allemande, non actuelle, certes, mais qui peut leur paraître subsister à l’état potentiel ;
— une menace venant de l’OTAN (en dépit du caractère défensif de cette alliance), qui pourrait aussi se particulariser à leurs yeux en une menace européenne si, à l’occasion d’un certain désengagement américain, une défense européenne s’organisait ;
— une menace touchant à la cohésion du bloc soviétique si une certaine forme de séparatisme apparaissait chez les États socialistes de l’Europe centrale et orientale ;
— une menace du point de vue de la cohésion interne de l’U.R.S.S. elle-même au cas où se ferait jour, dans la population soviétique, une désaffection à l’égard du Parti ou le refus de contraintes trop sévères ;
— enfin une menace démographique, due à la différence des taux de croissance des populations constitutives de l’U.R.S.S., et une menace économique liée aux vulnérabilités de l’économie soviétique.
À côté de ces motivations défensives, sont à examiner les motivations offensives que peuvent avoir les Soviétiques. À ce stade de la démarche d’ailleurs il ne s’agit pas de porter un jugement sur la probabilité de les voir se concrétiser mais simplement de faire un recensement objectif des hypothèses possibles compte tenu des tendances connues ou imaginables de la politique soviétique. Au surplus, il faut se rappeler que tout jugement de probabilité n’a qu’une valeur du moment et que, par exemple, le fait que l’U.R.S.S. actuellement joue la carte de la coexistence pacifique ne prouve pas que dans cinq ans, dans dix ans ou dans vingt ans, il en sera nécessairement de même.
Ces motivations offensives, quelles peuvent-elles être ?
D’abord la tentation d’un traitement « offensif » éventuel de certains des problèmes défensifs qui ont été signalés ;
— la reprise des objectifs stratégiques permanents de la Russie c’est-à-dire :
• un débouché (1) en Méditerranée par la Yougoslavie, par les Détroits, par une présence dans le Moyen-Orient méditerranéen ;
• un débouché dans le Golfe Persique ;
• ces deux directions d’action étant reliées par la recherche d’une liberté d’action dans la zone du Canal, de la Mer Rouge, de la corne Nord-Est de l’Afrique et de la péninsule arabe ;
— un souci d’encerclement de la Chine par le Sud, assurant en même temps une meilleure liaison avec l’Extrême-Orient soviétique ;
— la volonté d’être en mesure d’exercer une pression sur la politique mondiale par la possession de forces armées considérables et en particulier par une présence en force sur toutes les mers du globe ;
— enfin un impérialisme idéologique qui peut conduire à certaines interventions de natures diverses pour exploiter une situation politique favorable.
Certes, il ne s’agit là — répétons-le — que de possibilités. Quand on veut porter un jugement sur les probabilités, c’est évidemment plus délicat. En gros, il semble qu’on puisse dire que l’hypothèse qui était celle des années 50 à 60 d’une agression nucléaire soviétique accompagnée d’une invasion de l’Europe occidentale paraît actuellement extrêmement peu probable. Il est plus vraisemblable que l’U.R.S.S. sera tentée d’atteindre au moins une partie de ses buts défensifs et offensifs par une action essentiellement politique mais bénéficiant de la pression d’une force militaire considérable et sans qu’on puisse exclure que la poursuite de ces objectifs entraîne, ici ou là, l’intervention de forces armées.
Mais aussi, et c’est là l’hypothèse optimiste, il n’est pas interdit de penser que l’esprit d’une véritable coexistence pacifique peut subsister et même se développer et déboucher à terme sur une solution plus générale et plus définitive du problème de la sécurité, solution qui serait liée au désarmement général.
L’on a insisté un peu longuement, dans ce qui précède, sur le problème soviétique, pour les raisons qui ont été dites mais aussi parce que, sur le plan méthodologique, quand on traite du « jeu à deux » qui va faire maintenant l’objet de quelques remarques, c’est de là qu’il faut partir.
On s’efforcera donc de confronter U.R.S.S. et États-Unis, lesquels, d’ailleurs, si l’on s’en tenait au domaine économique et monétaire, pourraient faire figure de perturbateur numéro un.
Quoi qu’il en soit nous pourrions, pour l’Américain comme nous l’avons fait pour le Soviétique, analyser d’abord les contraintes défensives qui pèsent sur lui, dans l’ordre interne en particulier, puis examiner quelles peuvent être ses autres motivations. En fait, les deux arguments qui nous intéressent surtout dans l’examen du jeu à deux, c’est, d’une part, le degré plus ou moins poussé de désengagement américain à l’égard de la défense de l’Europe, ce qui peut nous amener à envisager trois hypothèses :
— maintien, à peu de chose près, des engagements actuels,
— désengagement partiel,
— désengagement total ;
et d’autre part, le caractère plus ou moins accentué du bipolarisme des deux superpuissances pouvant aller d’une véritable complicité dans la conduite des affaires du monde jusqu’à une lutte d’influence en passant par des situations mixtes.
Certes, la mise au point du jeu à deux exigerait une confrontation et une combinaison de toutes les hypothèses et sous-hypothèses qui ont été indiquées. En outre, il faut bien voir que le jeu à deux est lui-même une vision simplifiée des choses et qu’il doit être revu à la lumière d’un jeu à trois — que le troisième soit la Chine, le Japon, l’Europe, voire le Tiers-Monde — puis d’un jeu à quatre ou à cinq. Mais il s’agit bien dans ces différents cas de révision car le jeu à deux constitue tout de même, en l’état actuel des choses, le modèle de base.
Signalons en passant, car c’est une considération qui échappe quelquefois, que lorsqu’on passe simplement du jeu à deux au jeu à trois, le nombre des hypothèses passe de deux à huit. Si en effet nous nous limitons au cas de deux puissances, ou bien elles sont en paix, ou bien elles sont en guerre, ce qui fait deux situations possibles. Mais si nous prenons trois puissances, ou bien elles sont en paix toutes trois, ce qui fait une première situation : ou bien deux d’entre elles sont en guerre, la troisième restant neutre, ce qui fait trois combinaisons ; ou bien deux puissances sont alliées contre la troisième, ce qui fait encore trois combinaisons ; ou bien enfin elles sont engagées dans une lutte triangulaire, chacune étant opposée aux deux autres, un peu comme dans ces films d’épouvante où tout le monde tire sur tout le monde, dans une sorte de stratégie tous azimuts généralisée : hypothèse d’école, dira-t-on, et peu probable ; sans doute, mais non impensable si l’un des joueurs n’est pas cartésien ou encore s’il l’est trop.
C’est dire la complexité à laquelle on se heurte dès qu’on veut bâtir un système structuré d’hypothèses. Heureusement, lorsqu’on se limite à la menace à court ou à la rigueur à moyen terme, un certain nombre de combinaisons extrêmement peu probables s’éliminent d’elles-mêmes, ce qui amène tout de même quelque simplification dans l’établissement du tableau des menaces.
En dehors de ces hypothèses sur la conjoncture stratégique, le S.G.D.N. est appelé à fournir quelques estimations de menaces adaptées à certaines études particulières. Par exemple, le Groupe de Travail qui s’occupe de l’approvisionnement de la France en matières stratégiques cherche à savoir quelle menace doit être prise en considération pour son étude, et l’on est amené à lui préciser que ce n’est pas la crise militaire grave (sous réserve d’une éventuelle période post-conflictuelle de reconstruction) ou localisée qui est à retenir, mais l’hypothèse où tel groupe de pays producteurs interromprait ou limiterait ses livraisons soit de propos délibéré pour exercer une pression économique ou politique ou même pour ménager ses réserves, soit parce qu’il serait lui-même impliqué dans une situation de guerre rendant difficile l’accès aux sources de production, soit encore parce que, dans le cadre d’une tension internationale grave et prolongée les communications maritimes seraient perturbées alors que la prolongation même de la tension pourrait avoir une incidence sur les besoins de forces mobilisées.
De même, le S.G.D.N. est appelé à fournir à l’usage de la Protection Civile une appréciation sur la menace nucléaire, chimique, biologique.
Il reste, toujours dans le cadre de la menace, à dire un mot de sa dimension intérieure. On y reviendra dans la suite de cet exposé à propos du Renseignement pour dire que le S.G.D.N. n’est pas particulièrement bien placé pour l’apprécier. Les éléments dont il dispose lui permettent tout de même de définir ses corrélations avec les autres types de menace et même de porter un jugement sur sa gravité comparée à celle des autres menaces. Et en définitive, ne doit-on pas considérer comme la menace la plus immédiatement dangereuse tout ce qui met en cause la cohésion du pays, alors que la guerre nucléaire reste la plus fondamentalement dangereuse mais d’une probabilité faible ?
On a insisté jusqu’ici sur les difficultés d’appréciation de la menace à court et moyen terme. Que dire alors de la menace à long terme ? Et pourtant, ne serait-ce que pour l’élaboration des plans à long terme, il faut bien se livrer à ce travail de prospective sur l’évolution de la conjoncture stratégique envisagée sous tous ses aspects, politico-militaire, économique, démographique, scientifique. C’est précisément la mission du Groupe de Travail « Horizon plus 15 » déjà mentionné.
À long terme, l’élimination des hypothèses ou combinaisons d’hypothèses du fait de leur faible probabilité est plus difficile. Au surplus, il faut utiliser des méthodes adaptées, soit l’extrapolation — admettant d’ailleurs un certain facteur de dispersion — soit encore une recherche systématique de toutes les hypothèses imaginables, y compris celles qui supposent des sauts, des mutations non aisément prévisibles mais qu’on peut définir précisément comme étant celles susceptibles de remettre en cause des données actuellement admises (2). D’où une arborescence d’hypothèses et de sous-hypothèses et de leurs combinaisons où l’on risque assez vite de se perdre. Il est apparu que pour y voir plus clair il fallait définir un critère, par exemple la référence au concept de défense français, qui permette, pour chacun des groupes d’hypothèses envisagés, de les classer en hypothèses favorables, hypothèses défavorables, hypothèses intermédiaires. L’on peut ensuite pour effectuer les combinaisons grouper toutes les hypothèses favorables, toutes les hypothèses défavorables et toutes les hypothèses intermédiaires, ce qui permet de définir une fourchette, et même, si l’on veut, opérer quelques groupements privilégiés un peu plus complexes pouvant constituer un fonds de scénarios à étudier par des méthodes adéquates.
En outre, pour remédier à la confusion à laquelle pourraient conduire des travaux d’analyse trop poussés, il est bon de s’astreindre périodiquement, par exemple une fois par an, à un travail de synthèse qui tienne compte en outre des facteurs d’actualisation car il est bien évident que ce travail se fait à « horizon glissant ».
On s’en tiendra là quant aux indications de méthode relatives à la menace, sur laquelle on s’est étendu peut-être un peu longuement, mais cette insistance est sans doute justifiée par l’importance que doit avoir cette notion dans un organisme tel que le S.G.D.N. et par la largeur qui est donnée à son acception.
Le renseignement
L’appréciation de la menace ne s’identifie pas avec le renseignement — surtout s’il s’agit de la menace à long terme — mais elle est avec lui en corrélation étroite. On est donc conduit, tout naturellement, après avoir parlé de la menace, à traiter du renseignement et du rôle — important — que le S.G.D.N. y joue.
Comment est organisé, en France, le renseignement ? Au sommet il y a le Comité Interministériel du Renseignement (C.I.R.) qui groupe, sous la présidence du Premier Ministre, les ministres intéressés au renseignement et le directeur du S.D.E.C.E. Le secrétariat de ce Comité est assuré par le Secrétaire Général de la Défense Nationale.
Le C.I.R., à vrai dire, se réunit rarement. Il a, heureusement, une émanation, le Comité Permanent du Renseignement (C.P.R.) qui se réunit périodiquement (en moyenne tous les deux mois), qui est présidé par le directeur de cabinet du Premier Ministre, qui groupe les directeurs de cabinet des ministres du C.I.R. et le S.D.E.C.E. et dont le secrétariat est assuré par la division Renseignement du S.G.D.N.
Sa mission porte essentiellement sur l’organisation et l’animation du renseignement. En particulier c’est au sein du C.P.R. que s’élabore le Plan de Renseignement Gouvernemental (P.R.G.), préparé par la division Renseignement du S.G.D.N. qui recueille les besoins en renseignements des divers ministères et des hautes autorités gouvernementales. Ce document, après approbation en C.P.R., est soumis au C.I.R. et, éventuellement, au Conseil de Défense. Il donne naissance ensuite aux directives pour la recherche.
Quant à la recherche, elle comporte :
— l’information ouverte sur laquelle il n’y a pas lieu d’insister ;
— la recherche diplomatique qui se fait par des voies ouvertes, mais qui reste, en général, confidentielle ou secrète dans son expression, sa transmission, sa diffusion (il est à noter que le S.G.D.N. reçoit des Affaires Étrangères toute information susceptible d’intéresser la défense, au sens général du mot) ;
— la recherche secrète qui est confiée au S.D.E.C.E. dont dépendent également les moyens radio de renseignement dont les conditions générales d’emploi et les possibilités techniques sont étudiées dans un Comité des Moyens Radioélectriques de Renseignement présidé par le Secrétaire Général de la Défense Nationale et dont le secrétariat est assuré par la division Renseignement du S.G.D.N.
– enfin, dernier problème, l’exploitation (c’est-à-dire la synthèse du renseignement). Chaque ministère peut la prendre à son compte pour ses besoins spécifiques et c’est en particulier ce que font le Ministre des Armées et le Chef d’État-Major des Armées grâce à la division Renseignement de l’E.M.A. (EMA/REN). Mais, sur le plan gouvernemental interministériel et à l’usage des hautes autorités gouvernementales appelées à prendre les grandes décisions en matière de défense et même de politique générale, cette exploitation incombe à la division Renseignement du S.G.D.N. (SGDN/REN).
Ce rappel succinct de l’organisation du renseignement en France montre le rôle que joue le S.G.D.N. aux différents stades qui sont l’organisation, l’animation, la recherche et surtout l’exploitation.
Cette organisation apparaît logique et, entre autres mérites, présente celui de respecter le principe, auquel on est attaché en France, de séparation de la recherche et de l’exploitation. D’autres solutions sont évidemment possibles et il y a des partisans de la constitution — comme cela se fait dans certains pays étrangers — d’une agence groupant à la fois recherche et exploitation du renseignement. Cette solution nous paraît présenter un certain nombre d’inconvénients :
— lourdeur de l’organisme ainsi créé ;
— risque de le voir constituer un État dans l’État, susceptible d’intoxiquer le gouvernement ;
— garantie d’objectivité non assurée car l’expérience montre qu’un organisme responsable de la recherche secrète, lorsqu’il s’essaie à la synthèse, a toujours tendance à donner plus de poids aux renseignements recueillis par cette voie.
Notons encore que cette solution s’oppose au groupement dans un même organisme (S.G.D.N. en l’occurrence, ce qui fait l’originalité et l’intérêt de la formule française) :
— du volet « renseignement et menace » ;
— et du volet « étude des parades à la menace ».
Il n’est peut-être pas sans intérêt, avant de revenir sur certains aspects particuliers de l’exploitation du renseignement, de porter une appréciation sur les différentes sources dont le renseignement bénéficie et qui posent d’ailleurs un problème de centralisation à la division Renseignement du S.G.D.N.
Quantitativement, on peut dire qu’à l’heure actuelle une forte proportion de l’information provient de sources ouvertes. Tout finit par se savoir — ou à peu près tout — mais il y a tout de même un problème de délais et de qualité du renseignement. Certes, l’information ouverte est actuellement très rapide mais elle porte sur les faits plus que sur les intentions et motivations alors que le renseignement de source secrète ou diplomatique peut devancer l’événement et, surtout en ce qui concerne le renseignement diplomatique, aider à sa compréhension, à son interprétation. D’où le caractère essentiel, sur le plan qualitatif, de la source diplomatique. D’où aussi l’importance, sur laquelle nous reviendrons, d’une étroite liaison entre S.G.D.N. et Affaires Étrangères.
L’exploitation du renseignement, dans le jargon propre à cette spécialité, c’est la synthèse, une synthèse qui, évidemment, ne doit pas s’en tenir à la relation des événements par compilation d’informations, renseignements ou synthèses élémentaires, mais qui doit interpréter ces événements, indiquer les hypothèses d’évolution possible et autant que faire se peut, porter un jugement sur leur probabilité, et ceci tout en gardant présente à l’esprit la finalité de la synthèse qui est de répondre à telle ou telle question du plan de renseignement.
Quand il s’agit de synthèse à l’usage du gouvernement, il est évident qu’elle doit être interministérielle. La division Renseignement du S.G.D.N. qui en est chargée est bien un organisme interministériel par son niveau de travail puisqu’elle fait partie du S.G.D.N. ; elle l’est aussi par son esprit, et tout ce qui a été dit sur le caractère global de l’estimation de la menace le prouve ; elle l’est moins dans sa composition puisqu’elle est constituée en majeure partie d’officiers, de grande qualité d’ailleurs. Les quelques fonctionnaires civils qui en font partie. également de grande qualité, n’ont pas, néanmoins, un poids suffisant, de par leur situation hiérarchique, pour apporter à l’élaboration de la synthèse le point de vue autorisé de leur ministère : à vrai dire, ce point de vue autorisé ne peut être donné que par des fonctionnaires d’un niveau élevé, travaillant habituellement dans leur ministère mais avec une orientation particulière vers le renseignement et susceptibles de participer, en tant que de besoin, à des réunions interministérielles organisées à cet effet. D’où le besoin d’une sorte de C.P.R. orienté non plus vers l’organisation et l’animation du renseignement mais vers la synthèse (ce que fait le Joint Intelligence Committee britannique) ; d’où aussi la création, décidée en 1970, pour le temps de crise, d’un Groupe Interministériel d’Exploitation du Renseignement (G.I.E.R.) dont la mise sur pied est en cours et dont la division Renseignement du S.G.D.N. assurerait le secrétariat.
Un autre problème, dont il est bon de dire quelques mots également, est celui du renseignement intérieur conduisant à l’estimation de la menace intérieure qui est à envisager en elle-même sans doute, mais aussi dans ses corrélations avec les autres menaces, ce qui fait que le S.G.D.N. ne peut s’en désintéresser.
C’est un fait — qui n’est pas particulier à la France d’ailleurs — que le Ministère de l’Intérieur se montre assez exclusif dans ce domaine. Or, il apparaît bien que, dans une crise intérieure, l’appréciation de la situation exige une concertation interministérielle. Certes, les renseignements, le point de vue de l’Intérieur, sont prépondérants ; mais doivent également être pris en considération ceux des Armées, de l’Éducation Nationale, des Affaires Sociales, des ministères de tutelle des grands services publics, etc. Il serait souhaitable qu’une sorte de G.I.E.R. spécialisé se constitue, la direction de ce groupe pouvant d’ailleurs être assurée par l’Intérieur.
Enfin, dernier problème à évoquer : l’accusation de duplication qui est quelquefois lancée contre l’existence des deux divisions Renseignement, celle du S.G.D.N. et celle de l’E.M.A.
Certes, quand il y avait un État-Major Général de la Défense Nationale, une division Renseignement unique pouvait suffire. Mais, à cette époque. l’E.M.G.D.N. avait, dans ses attributions, la stratégie militaire qui, depuis la transformation de l’E.M.G.D.N. en S.G.D.N. en 1962, est du ressort de l’E.M.A.
Ce qu’il faut bien voir, c’est que SGDN/REN et EMA/REN ne travaillent pas au même niveau. SGDN/REN s’intéresse certes, entre autres renseignements, au renseignement militaire, mais dans ses grandes lignes, parce qu’il faut bien tenir compte de la composante militaire dans l’examen d’une stratégie générale ; en revanche, elle ne s’intéresse ni à l’organisation, ni à l’équipement, ni à la lactique des forces, tous renseignements qui, au contraire, sont à exploiter par l’EMA/REN au bénéfice du CEMA et des Armées.
Le maintien de ces deux organismes distincts paraît être une condition de la qualité de leur travail, en particulier de celui de SGDN/REN dont la vocation interministérielle doit rester bien marquée. Certes, il peut y avoir des plages d’intérêt commun créant un risque de double emploi. Ce risque doit être réduit par une bonne liaison entre les deux divisions.
Les problèmes internationaux
Relations S.G.D.N. - Affaires Étrangères
À propos de la menace et du renseignement, l’importance de l’appréciation de la conjoncture et l’irremplaçable qualité des informations de source diplomatique ont été soulignées et ont donné une première justification de la nécessité de relations étroites entre le S.G.D.N. et les Affaires Étrangères.
Si nous abordons le domaine de l’action, de la parade aux menaces, c’est d’abord l’action diplomatique que nous trouvons car c’est de cette façon que se traduit, en temps normal, l’intervention de la France dans les affaires internationales. Le jeu diplomatique doit, bien évidemment, tenir compte des impératifs de la défense. Mieux même, il est un des aspects de la défense. D’où une nouvelle justification de la nécessité pour le S.G.D.N. et les Affaires Étrangères d’entretenir des rapports étroits.
Cette coopération est, en fait, excellente. Elle se fait plus spécialement avec le Service des Pactes. Elle est assurée en particulier par la présence au sein du S.G.D.N. de représentants du Quai d’Orsay (4 ou 5 dont, en principe, le Secrétaire Général Adjoint et un Conseiller Diplomatique) et par la communication au S.G.D.N. des informations de voie diplomatique qui l’intéressent.
Le S.G.D.N. est appelé — éventuellement en organisant une concertation interministérielle (3) — à élaborer un avis, sous l’angle de la défense, sur les problèmes internationaux qui lui sont soumis.
En fonction de quels critères peuvent être donnés de tels avis ? Certes, chaque problème est un cas d’espèce, mais il y a, d’une manière générale, la référence au concept général de défense de la France, concept qui, fondamentalement, répond à sa volonté d’indépendance nationale, à son amour de la paix et au respect des accords signés et qui, à cet effet, comporte :
— la recherche sincère d’un désarmement général tout en marquant de sérieuses réserves à l’égard des formules de désarmement partiel qui seraient illusoires ou dangereuses ou encore viseraient à maintenir un bipolarisme discutable ;
— en attendant que le désarmement général soit possible, la recherche de la détente (4) tout en assurant la défense, ces deux impératifs étant liés ;
— une défense elle-même basée sur la dissuasion (dont la F.N.S. est l’élément essentiel mais non pas unique) et sur la participation à une alliance ;
— un équilibre dans les dépenses, tenant compte de la concurrence entre les dépenses de défense proprement dites et les dépenses liées au progrès, en particulier au progrès social et à l’aide au Tiers-Monde, dépenses qui ne sont d’ailleurs pas sans relation avec la défense au sens général du mot.
Certains grands problèmes font l’objet de consultations périodiques avec les Affaires Étrangères. C’est ainsi qu’a été constitué en 1970 un Groupe de travail interministériel sur le désarmement qui, sous la présidence du Secrétaire Général de la Défense Nationale, réunit chaque mois des représentants des Affaires Étrangères (Service des Pactes), du Ministère des Armées (Cabinet et E.M.A.), du S.G.D.N.
Ce groupe s’occupe non seulement des problèmes de désarmement proprement dit mais aussi de tout ce qui intéresse la limitation des armements ou les conférences de sécurité (SALT, MBFR, CSCE). Il est en mesure, à l’usage du gouvernement, de faire le point sur ces importantes questions et de fournir des avis quant aux positions à arrêter par le gouvernement.
De même un autre groupe, également présidé par le Secrétaire Général de la Défense Nationale et de composition analogue, se réunit mensuellement pour faire le point sur les problèmes de l’Alliance Atlantique. Ces problèmes sont souvent délicats à traiter du fait de la position particulière de la France, position qui comporte certains avantages mais qui entraîne certaines difficultés : les avantages étant que, en prenant ses distances vis-à-vis de l’OTAN — ce qui a été à coup sûr facilité par la possession de l’arme nucléaire nationale — la France a acquis une liberté d’action que n’ont pas ses partenaires européens, ce qui lui a permis de jouer un rôle particulier et efficace dans la détente ; les difficultés résidant dans le fait que la France reste à l’écart de certaines activités de l’OTAN, que néanmoins, puisque son engagement aux côtés de ses alliés constitue une des hypothèses à retenir, il faut bien que cette hypothèse soit préparée et que toute participation nouvelle à ces travaux de préparation risque d’être interprétée comme un rapprochement de la France vis-à-vis de l’OTAN et de conduire à des conclusions erronées sur les variations de notre politique.
En dehors de ces deux questions majeures, Désarmement et Alliance, le S.G.D.N. est appelé à participer à, ou à organiser, la concertation interministérielle sous l’angle de la défense à propos de multiples problèmes internationaux : droit humanitaire, droit de la mer, coopération scientifique et technique avec des nations étrangères, escales de navires d’État ou survols d’aéronefs d’État, problème des réfugiés, etc.
Touchant ces problèmes internationaux, il reste à dire un mot des exportations d’armes. C’est une question qui a fait couler beaucoup d’encre mais qui, réduite à ses éléments essentiels, est relativement simple. Tant qu’on n’est pas arrivé au désarmement général, la sécurité des nations pacifiques repose sur la possession de forces armées. Si certaines nations n’ont pas une industrie leur permettant de fabriquer leur armement, il faut bien qu’elles l’achètent ailleurs, donc qu’elles trouvent quelqu’un pour le vendre. Le commerce international des armes apparaît donc comme inévitable et légitime. Au surplus et compte tenu des avantages qui peuvent en résulter, sur le plan de la défense entre autres, pour la nation exportatrice, la renonciation unilatérale aux exportations d’armes ne pourrait être qu’une forme unilatérale de désarmement et serait, à ce titre, inacceptable.
Ceci étant, il n’est pas question de vendre n’importe quelles armes à n’importe qui. D’où la nécessité d’un contrôle qui, à vrai dire, en France, est organisé dans des conditions très satisfaisantes puisque aucune exportation ne peut être faite sans autorisation et que le contrôle du respect de cette prescription est assuré efficacement par les Douanes.
Les demandes d’autorisation sont étudiées par une Commission, la C.I.E.E.M.G. (Commission Interministérielle pour l’Étude des Exportations de Matériel de Guerre). Cette Commission, présidée par le Secrétaire Général de la Défense Nationale, rassemble des représentants du Ministère des Armées, du Ministère des Affaires Étrangères et du Ministère de l’Économie et des Finances. Le secrétariat en est assuré par la division Affaires Économiques du S.G.D.N.
Chaque ministère peut donner un avis global sur les cas présentés à la Commission mais donne, en général, des avis spécifiques de sa mission. Le Ministère des Armées est, en principe, demandeur mais peut donner un avis négatif s’il y a priorité à l’équipement des forces françaises ou s’il s’agit de matériels sensibles. Le Ministère des Affaires Étrangères s’inspire de critères politiques : non fourniture d’armes là où il y a des conflits ouverts, en particulier application de l’embargo touchant les pays dits « du champ de bataille », non fourniture à la République Sud-Africaine et au Portugal d’armes susceptibles d’être utilisées dans la contre-guérilla. Enfin, le Ministère des Finances veille à ce que les exportations soient limitées aux pays en mesure de faire face à la dépense et d’accepter des conditions de crédit relativement strictes.
Au total, les avis négatifs ne sont pas rares et un avis négatif suffit pour entraîner le refus, sauf arbitrage éventuel à demander au Premier Ministre. On voit ainsi que la C.I.E.E.M.G. joue efficacement un rôle de filtre. On voit aussi que, du fait de ces restrictions, la France vend moins d’armes qu’elle ne pourrait le faire compte tenu de la demande.
Les parades (autres que diplomatiques) à la menace
On s’est étendu assez longuement dans tout ce qui précède sur l’appréciation de la menace et le renseignement d’une part, sur l’action diplomatique d’autre part. Quelle que soit l’importance de ces questions, la cybernétique de défense ne se limite pas à cela. Elle comporte, en outre, pour le jeu de toutes les autres parades :
— des structures de défense ;
— des textes, ce qu’on peut appeler « l’arsenal juridique de la défense » ;
— des mesures, insérées dans des « mémentos » et qui sont préparées et, pour certaines, planifiées ;
— des moyens qui sont organisés, équipés, entraînés ;
— et aussi une réflexion sur les méthodes les plus appropriées à la conduite de la crise et un entraînement à cette conduite.
Ces différents points seront évoqués brièvement ci-après.
Les structures du renseignement ayant été définies ci-dessus, il reste à rappeler quelles sont les structures de décision, d’exécution et d’étude. Elles sont d’ailleurs bien connues.
Les décisions majeures sont prises en Conseil de Défense (éventuellement Conseil restreint) par le Président de la République.
Les autres décisions à caractère interministériel sont prises par le Premier Ministre (éventuellement en Comité de Défense).
Chaque Ministre a la responsabilité des actions de défense incombant à son département et est assisté d’un Haut Fonctionnaire de Défense.
Certains Ministres ont reçu un pouvoir de coordination interministérielle :
— le Ministre de l’Intérieur pour la Défense Civile.
— le Ministre de l’Économie et des Finances pour la Défense Économique,
ces deux Ministres présidant respectivement deux Commissions interministérielles : la Commission Permanente de Défense Civile et la Commission Permanente de Défense Économique.
On sait par ailleurs qu’il existe des structures territoriales aux échelons zone, région économique, département, avec correspondance entre les hiérarchies civiles et militaires et des organes de liaison à tous les échelons.
Le rôle du S.G.D.N. est :
— d’assurer le secrétariat des Conseils ou Comités de Défense ;
— de constituer, dans le domaine de la préparation et de l’exécution des décisions, un organe d’étude et de coordination interministérielle à l’échelon du Premier Ministre (avec, éventuellement, mise à la disposition d’un Ministre délégué, dans le cadre de sa délégation, ce qui conduit le S.G.D.N., quand il y a un Ministre de la Défense Nationale, à une triple subordination) ;
— de suivre l’activité en matière de défense des différents ministères, en particulier grâce à une liaison étroite avec les hauts fonctionnaires de défense que le S.G.D.N. réunit périodiquement et grâce à sa participation aux Commissions Permanentes de Défense Civile et de Défense Économique ;
— d’assurer, à l’échelon national, une certaine coordination de la coopération interministérielle réalisée à l’échelon zonal (en particulier par l’organisation d’une réunion annuelle des Préfets de Zone et des Commandants de Région Militaire, et par une présence aux réunions des différents Comités de Défense de Zone).
Ces quelques indications, faisant suite à celles qui ont été données touchant le renseignement et la liaison avec les Affaires Étrangères, montrent suffisamment l’importance du rôle du S.G.D.N. dans les structures de défense.
Mis à part certains textes antérieurs à 1959 (en particulier une partie de la Loi de 1938 sur l’Organisation de la nation pour le temps de guerre), les textes intéressant la défense s’articulent autour de l’Ordonnance du 7 janvier 1959. Ce texte essentiel a été suivi :
— d’une directive du Premier Ministre sur les efforts de défense, datée de septembre 1959 ;
— de directives particulières aux différents Ministres ;
— de quelques décrets à caractère interministériel, en particulier sur le S.G.D.N., sur la défense civile, sur la défense économique, sur la D.O.T., sur les structures territoriales de défense ;
— de décrets de base pris par les différents ministères sur les conditions d’accomplissement de leur mission en matière de défense (5) ;
— et de tous autres textes, décrets, arrêtés, instructions interministérielles ou ministérielles dont le nombre est évidemment assez considérable.
Néanmoins, ce qui vient d’en être dit montre qu’il s’agit d’un ensemble structuré et cohérent, et que nous disposons d’un bon « arsenal juridique » intéressant la défense.
Le S.G.D.N. a joué évidemment et continue à jouer — car il faut actualiser les textes ou les compléter — un rôle important dans l’élaboration et dans les procédures d’adoption de tous ces textes.
Quant aux mémentos des mesures, ils existent à l’échelon gouvernemental et à l’échelon de chacun des Ministères et des Armées. Ils constituent un guide précieux, bien structuré, qui donne toutes indications sur les contraintes juridiques, la nature des textes nécessaires pour la mise en œuvre des différentes mesures et la codification de la diffusion, structuration qui est en voie d’amélioration par la recherche d’une meilleure expression des corrélations et des implications. En cas de crise, un « Groupe Gouvernemental d’Alerte », interministériel et présidé par un officier général du S.G.D.N., propose les mesures adaptées à la situation, diffuse celles qui sont décidées et assure un contrôle de l’exécution.
La stratégie des moyens se joue essentiellement à l’échelon de chacun des Ministères et des Armées. Elle exige tout de même une action de coordination et de contrôle à l’échelon du Premier Ministre, assisté par le S.G.D.N. mettant en œuvre, en temps de crise, un Centre d’information de situation générale (CI.S.G).
Dans le domaine de la préparation de la défense, l’action du S.G.D.N. se traduit en particulier par la gestion, au sens large du mot, des « crédits civils de défense ».
Les objectifs auxquels s’appliquent ces crédits sont les suivants :
— P.C. gouvernemental du temps de crise et tous problèmes connexes, en particulier possibilité d’utilisation de l’O.R.T.F. ;
— protection civile et, en particulier, service d’alerte, protection antiretombées, détection de la radioactivité, équipement des unités du corps de défense de la Protection Civile ;
— aménagements techniques utiles à la défense au bénéfice des différents ministères ;
— certains objectifs de défense économique.
Il s’agit, bien entendu, de crédits d’équipement et non de fonctionnement. Ils sont, certes, modestes mais il y a lieu de souligner qu’ils sont bien utilisés et que, par ailleurs, les dépenses de fonctionnement sont à la charge des budgets des ministères ; ceux-ci, en particulier, assurent la mise en place de toute une hiérarchie de fonctionnaires d’autorité ou de l’ordre technique, bien instruits de leurs responsabilités en matière de défense et qui, en temps de crise, feraient passer celles-ci en priorité.
Quant à la fonction réflexion, études, entraînement, disons simplement :
— que le S.G.D.N. consacre une grande partie de son activité aux études ;
— qu’il organise périodiquement des exercices de défense
• au plus haut niveau, c’est-à-dire étudiant le jeu des Conseils de Défense dans des situations de crise données ;
• à l’échelon de la zone de défense ;
— qu’il applique, par un jeu interne mené en liaison avec des organismes spécialisés, la méthode des scénarios à un éventail de situations particulières ;
— enfin qu’il suit de près l’activité de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale qui lui est rattaché.
Pour compléter ce tableau des activités de base du S.G.D.N., donnons quelques indications plus précises sur son action dans les principaux domaines de la défense.
La défense économique peut être envisagée sous deux aspects : d’une part la défense de l’économie et d’autre part la mise en œuvre en temps de crise de l’économie de défense, c’est-à-dire l’utilisation, au bénéfice de la défense — militaire ou civile — des ressources de l’économie et de l’infrastructure, et ceci tout en assurant, dans la mesure du possible, le maintien de l’activité économique générale.
La première acception est, en fait, surtout du domaine de responsabilité du Ministère de l’Économie et des Finances. Néanmoins, le S.G.D.N. exerce une action de veille facilitée par la connaissance, que lui apporte sa division Renseignement, de l’économie et de la politique économique des nations étrangères. En outre, il s’attache plus spécialement aux incidences sur l’économie des aspects traditionnels de la menace dont il aide, dans ce domaine particulier, à préciser la définition.
Quant à la mise en œuvre de l’économie de défense, elle incombe à la fois aux échelons centraux et aux échelons territoriaux mais, pour ceux-ci, dans le cadre d’instructions et de plans élaborés à l’échelon central.
Signalons enfin, dans le domaine de la défense économique, trois problèmes généraux où le S.G.D.N. joue un rôle particulier.
1. — Les investissements étrangers en France. Ils ont des aspects positifs et des aspects négatifs et risquent, dans certains domaines intéressant la défense, de créer des vulnérabilités et, en particulier, de réduire le potentiel de recherche. D’où la nécessité d’une veille particulière et de la définition éventuelle de certaines contraintes. À cet effet, le S.G.D.N. (division des Affaires Économiques) participe au Comité des Investissements et reste en contact avec les Préfets pour être renseigné sur les projets en cours d’étude. Il pilote, en outre, deux groupes de travail étudiant ce problème sous l’angle de la défense dont l’un est présidé par la division Affaires Économiques du S.G.D.N. (aspects économiques) et l’autre par le Comité d’Action Scientifique de Défense (6) (aspects scientifiques et techniques).
2. — L’approvisionnement en matières stratégiques. L’analyse de la menace qui a été précisée ci-dessus fait apparaître, pour y faire face, la nécessité :
— d’une action diplomatique adaptée ;
— d’une diversification des sources d’approvisionnement ;
— enfin, de la constitution de stocks, ce qui pose le problème de leur évaluation, de leur financement, de leur stockage.
Ces problèmes sont étudiés au sein d’un groupe de travail où le S.G.D.N. est représenté et où il a eu et continue à avoir une action d’impulsion.
3. — La mobilisation économique. Elle se présente certes en des termes différents de ce qu’elle pouvait être en 1914 ou en 1939. Elle continue néanmoins à poser des problèmes que le S.G.D.N. étudie avec les ministères intéressés et, en particulier, le Ministère du Développement Industriel et Scientifique.
La défense civile pose, entre autres problèmes, celui de la coopération civilo-militaire dans le maintien de l’ordre et dans la défense opérationnelle du territoire. Dans ce domaine, il a été nécessaire d’élaborer des textes précis et une liaison étroite est nécessaire à tous les échelons. L’un et l’autre, on l’a vu, ont entraîné et exigent encore, dans la conduite courante des affaires, une attention constante de la part du S.G.D.N.
Dans le domaine politico-militaire, le S.G.D.N. est également intéressé par de multiples problèmes, entre autres :
— contraintes politiques liées à l’emploi de la Force nucléaire stratégique (F.N.S.) ou de l’arme nucléaire tactique (A.NT.) ;
— problème de la dévolution du droit d’engager les Forces nucléaires ;
— P.C. gouvernementaux, liaisons gouvernementales ;
— coordination interministérielle de la politique d’aide militaire, technique et de coopération ;
— assistance aux armées alliées.
Cybernétique de défense et informatique
L’expression même de cybernétique qui a été utilisée pour marquer comment les structures, au sens large du mot, et en particulier le S.G.D.N., pouvaient constituer, même par des moyens classiques, un système d’aide à la décision gouvernementale en matière de défense, évoque immanquablement la possibilité d’utiliser les techniques modernes d’aide à la décision.
C’est un vaste problème sur lequel la réflexion porte depuis plus de trois ans.
Il est incontestable que dans le triptyque de la défense : menaces, parades, corrélations entre menaces et parades, le volet menaces doit bénéficier par priorité d’un effort en vue du stockage des informations exploitables et exploitées, et de la mise au point d’un système d’interrogation de ce stockage avec indexation se référant au plan de renseignement gouvernemental.
De même le volet parades peut comporter un stockage (avec système d’interrogation) des textes intéressant la défense, des mesures du Mémento (7), des informations concernant les moyens.
Quant au volet corrélations entre menaces et parades, il est plus difficile à imaginer. Néanmoins, la réalisation d’un fonds de scénarios bien conçus peut, en première urgence, constituer une base suffisante pour fournir une certaine aide en temps de crise et surtout pour préparer les esprits au jeu de la crise.
C’est dans ce sens et en vue de mettre sur pied en temps de crise un Centre d’information de situation générale que le S.G.D.N. poursuit ses études avec le souci, plutôt que de créer des moyens informatiques nouveaux qui sont fort onéreux, d’utiliser au maximum les moyens déjà réalisés ou en cours de réalisation dans les différents ministères et qui pourraient être interrogés à partir de terminaux situés au S.G.D.N.
Cela suppose, bien entendu, une certaine compatibilité entre les moyens des différents ministères, donc que le développement de l’informatique chez ceux-ci se fasse de manière coordonnée. Cette coordination est une des missions de la Délégation Générale à l’Informatique (D.G.I.) avec laquelle le S.G.D.N. opère en étroite liaison. On peut même dire que l’argument « défense » peut être une motivation de la compatibilité et, à cet égard, les efforts que poursuit le S.G.D.N. peuvent s’inscrire dans les propres préoccupations de la D.G.I.
En tout état de cause et quel que soit l’intérêt de ces techniques modernes, il faut rester capable d’une cybernétique plus rustique s’appuyant sur des moyens classiques.
Conclusion
Il ressort de ce qui précède :
— qu’il existe une cybernétique de défense déjà réalisée par des moyens classiques et qui est susceptible d’être perfectionnée, en particulier par le recours à des techniques modernes ;
— que, dans le système français, le S.G.D.N. joue, dans cette cybernétique de défense, un rôle essentiel ;
— que son action s’exerce avec tact — car elle ne saurait empiéter sur les responsabilités des ministres et, en particulier des ministres pilotes, et il ne faut pas non plus franchir les limites qui séparent la politique de défense de la politique générale (sauf sur le plan du renseignement) — mais aussi avec efficacité, par une action de veille permanente et d’intervention sur le plan des études et de la coordination interministérielle dès que cela est demandé au S.G.D.N. ou qu’il l’estime nécessaire ;
— enfin, et ce sera notre dernière remarque, que ce système constitue une solution originale du problème des structures de défense, solution qui n’a pas, semble-t-il, d’équivalent dans les systèmes étrangers et qui a, pour elle, la logique et la souplesse. ♦
(1) On peut entendre par là toute une gamme d’actions allant du simple octroi de facilités au contrôle par des moyens militaires.
(2) On peut par exemple imaginer que des innovations techniques permettent la localisation de sous-marins nucléaires, remettant ainsi en cause l’assurance d’une capacité de deuxième frappe.
(3) À laquelle les Armées sont toujours associées.
(4) D’une détente qui, on l’observera, est « tous azimuts » comme notre stratégie de défense elle-même.
(5) Seul manque le décret du Ministère de l’Information.
(6) Le C.A.S.D. est rattaché au S.G.D.N.
(7) Éventuellement, car il est également possible de mettre au point un mémento bien structuré et dont l’utilisation pourrait rester manuelle.