Le vide provoqué, en 1971, par le retrait britannique à l'est de Suez avait été comblé dans le Golfe par l'Iran, justifiant en quelque sorte le qualificatif de persique que lui refusaient les autres riverains arabes. L'édification par le Shah d'un formidable appareil militaire destiné à faire barrage, dans la région, aux forces progressistes fut sans effet sur le mouvement populaire profond qui mit fin à son règne. Aujourd'hui l'on suppute les risques d'une contagion révolutionnaire qui, remettant en question les régimes en place, gagnerait l'ensemble de cette région dont l'importance stratégique est considérable. Cette interrogation de l'Occident, alimentée par les inquiétudes de certains, Arabes et autres, est légitime. Mais les craintes de nouveaux bouleversements dans le Golfe sont-elles fondées ? Au retour d'un récent voyage dans le Shatt al-Arab (estuaire commun au Tigre et à l'Euphrate dont la partie en aval sert de frontière pour l'Iran et l'Irak) où l'auteur a pu percevoir quelques-uns des effets locaux de la crise iranienne, il tente ici de donner des éléments de réponse aux nombreuses questions qui se posent quant à l'avenir des pays du Golfe.
De l'Iran à l'Oman, effervescence et inquiétudes
L’Orient a connu, en l’espace de quelques mois, deux bouleversements profonds qui ont concerné, l’un directement, l’autre indirectement, le monde arabe. Le premier est, au terme de longs mois de négociations difficiles, la signature de la paix entre l’Égypte et Israël. Le second est l’effondrement du régime du Chah après une longue et inexorable révolution conduite sous les couleurs de l’Islam chiite. La paix, à l’ouest, ressentie comme un affront par l’ensemble des pays arabes, a quelque peu occulté les inquiétudes que les États riverains arabes du Golfe pouvaient avoir quant à la stabilité de leur région. Il fallut l’interruption de la production du pétrole iranien, la hausse des prix décidée par les pays producteurs arabes, le conflit entre les deux Yémen et l’arrivée de bâtiments de la marine américaine en mer d’Oman pour relancer l’intérêt et susciter l’inquiétude de l’Occident. Alimentée par des rumeurs plus ou moins fondées, la perspective d’une extension du « mal iranien » dans cette région stratégique se fit soudain plus précise. Cette appréhension ne semble-t’elle pas exagérée ?
Certes, la révolution iranienne ne s’est pas terminée avec la chute du Chah. Déjà les revendications des minorités débordant des frontières iraniennes, et qui s’expriment avec violence, donnent une autre dimension aux affrontements actuels entre courants politiques et religieux rivaux. L’Irak voisin, lui aussi soumis au poids de nombreuses contradictions, dominé par un parti puissant et donc contesté, ne serait-il pas, comme on l’assure, à la veille d’une crise de régime ? Les autres pays arabes du Golfe, grands ou petits, puissants ou faibles, ont également des problèmes internes. Ceux-ci sont d’importance variable mais leur somme est-elle suffisante pour perturber une région où les tensions et querelles ne datent pas d’hier ? Enfin, s’il est vrai que l’Iran a perdu ipso facto le rôle de « gendarme » qui lui avait été dévolu et que ses nouveaux dirigeants se refusent dorénavant à assumer, la sécurité du Golfe – et quelle sécurité ? – est-elle à ce point menacée qu’elle ne puisse être seule assurée par une entente entre États riverains sans intervention extérieure ?
Répondre de manière définitive et péremptoire à ces quelques questions alors que les effets de la crise iranienne, chaque jour renouvelée, ne peuvent être tous connus, serait une gageure difficile à tenir. En Orient plus qu’ailleurs, les retournements de situation sont imprévisibles. Il est néanmoins possible de mettre en évidence certains facteurs, d’ordre interne ou externe, qui éclaireront d’un ton peut-être différent l’appréciation que l’on est tenté de donner de la situation de la région.
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