L'amiral Muselier
Difficile exercice pour un parlementaire RPR animé d’une louable piété familiale que de décrire les démêlés de son grand-père, « créateur de la croix de Lorraine », avec le général de Gaulle qui ne sort pas grandi de l’affaire, c’est le moins que l’on puisse dire. Aussi l’auteur s’empresse-t-il d’assurer qu’il ne souhaite en aucun cas « donner des arguments aux ennemis de la France libre ».
Relativement peu connu, car caché par une « ombre immense », l’amiral Muselier apparaît ici comme un homme droit à la carrière aventureuse. Il s’est trouvé au cœur des conflits majeurs du siècle, il a connu l’Extrême-Orient de Tsou-Shima, les fusiliers marins de l’Yser, la mer Noire des mutins, il y a fait preuve en chaque occasion d’un admirable courage physique, d’une aptitude remarquable au commandement et d’un sens intraitable du devoir, en même temps qu’il était amené à fréquenter des politiques comme Clemenceau et Painlevé. Il n’en a pas tiré un bénéfice évident, ne fût-ce qu’en raison de sa rivalité avec l’ambitieux Darlan, son condisciple de l’École Navale, qui avait « foutu dans sa poche les grands chefs du parti radical-socialiste » d’avant-guerre.
Muselier fut un visionnaire sur le plan technique et un déviant caractérisé sur les plans professionnel, social et idéologique. On connut ainsi dans toutes les générations de militaires des individus mal à l’aise dans le carcan des conformismes, secouant les tabous, et parfois « en rajoutant » par conviction et par dépit. Dès le départ, la présentation sonne comme un défi : il n’était « ni breton, ni gentilhomme, ni royaliste ! », une pierre dans le jardin des collègues décrits sans pitié comme une caste « rigide et compassée… faisant passer la carrière avant le service de la patrie… viscéralement antirépublicaine ». Plaidons l’indulgence face à la caricature pour ces Messieurs de la Royale et conseillons à l’auteur de ne pas pousser de Marseille jusqu’à Toulon. Relevons aussi un peu d’exagération quant à l’ignorance supposée des artilleurs de l’armée de terre, alors que les polytechniciens en masse se délectaient à mettre au point les barrages roulants accompagnant les assauts de la Grande Guerre et tenaient compte, soyons-en sûrs, des paramètres aérologiques sans l’aide des confrères de la Flotte. Toujours est-il que l’amiral faisait tache par ses idées « avancées » jusqu’à passer pour communiste, bien que sa conduite intrépide à Sébastopol et à Odessa face aux Bolcheviks aurait dû le dédouaner définitivement de ce côté. Il faut reconnaître toutefois que sa position vis-à-vis de l’Indochine au sein du « Mouvement de la paix », sans doute imputable à une réaction d’amertume, peut sembler regrettable et manquer singulièrement d’esprit de solidarité.
Le récit des années londoniennes ne peut que laisser une impression de tristesse et d’incompréhension. Dans le dénuement partagé du début, entre l’amiral petit, trapu, chaleureux, méridional, de lointaine ascendance juive du côté maternel, dont l’enfance baigna dans une ambiance à la Pagnol, et le connétable, le courant passe mal d’emblée, bien que le premier se mette sans hésiter à la disposition du second, plus jeune et moins gradé que lui. Le chef de la France libre est avant tout un politique, adepte de la raison d’État, cherchant en premier à nier la légitimité de Vichy, pratiquant l’entrisme, sachant être injuste et « aussi dictatorial que Pétain » dans la poursuite de ses buts. Muselier se conduit en militaire, soucieux de gagner la guerre (« Un seul but, la victoire ! »). Malgré l’équipée audacieuse et pittoresque de Saint-Pierre et Miquelon conduite magistralement par un Muselier pourtant assis entre deux chaises, les tracasseries s’accumulent, la rupture s’annonce ; Muselier fait même un séjour dans les prisons britanniques sans que beaucoup d’efforts soient prononcés pour l’en sortir. Et c’est ainsi que, malgré des attachements indéfectibles, malgré des épisodes exemplaires, « sans cesser jamais d’avoir raison, on peut finir par avoir tort ! ».
« Faut-il parler de réhabilitation ? Certainement pas, car l’amiral Muselier est reconnu comme un patriote authentique et comme un chef rayonnant. Il s’agit plutôt, parmi d’autres témoignages possibles et peut-être divergents, d’une « restitution », apparemment fort convaincante, et en tout cas, d’un ouvrage historique vivant et instructif. ♦