L'armée française sous l'occupation - Tome 2 : La métamorphose
François Broche poursuit à vive allure son entreprise de description et de réflexion dans un domaine complexe et encore sensible. Nous avions rendu compte du premier tome dans le numéro d’août-septembre 2002 de cette revue et voici que parvient « à voie libre » la seconde des trois parties prévues. Il n’est à l’évidence pas possible ici de découper le temps en périodes franches, comme sur un agenda. Cet ouvrage médian se focalise sur l’année charnière où le destin de la guerre bascula au niveau mondial – 1942 – et plus précisément sur ces quelques jours de novembre, cruciaux pour la France, qui virent l’opération Torch, le baroud d’honneur de l’armée d’Afrique, l’invasion de la zone libre, la fin de l’armée de l’armistice et le sabordage de la flotte, restée pendant deux ans « atout maître de Vichy ». Désormais, c’est de l’extérieur que peut venir l’essentiel du salut, tandis que la métropole est plus que jamais sous la botte.
De Gaulle a réussi son pari risqué du 18 juin. Déjà rejoint à coups d’initiatives individuelles et de ralliements aventureux par 25 000 hommes dès la fin de 1940, il s’est assuré un semblant de légitimité, un début d’État, un embryon d’armée. Il lui faut maintenant asseoir son autorité sur un territoire plus significatif que l’AEF, et obtenir l’engagement autonome d’unités militaires françaises, non réparties dans des corps alliés.
Dans l’hexagone, les cartes sont redistribuées, les choix deviennent à la fois plus clairs et plus périlleux. La dérive de la Légion des combattants vers le parti unique, la création de la Milice et de la Franc-Garde, les épisodes de la LVF et de la Phalange africaine ne concerneront jamais qu’une petite minorité. L’ensemble des cadres militaires, qui ont échappé à la captivité, au départ « anti-allemand, mais sans imagination », reste longtemps figé dans le réflexe d’obéissance au Maréchal « dont le prestige reste très grand ». Il apporte son sens de l’organisation et de la prévision à une Résistance brouillonne (on relève 12 sigles en quelques pages, de FTP à CDM et d’ORA à MUR), qui commence à être prise au sérieux par les Anglo-Saxons et qui s’organise entre les outrances de Frenay et le sens du sacrifice des anciens, Frère, Verneau, Delestraint… Il faut déceler les infiltrations, réprimer les ardeurs intempestives et les actions prématurées, et aussi compter avec les Communistes rétifs devant d’anciens Croix de feu et cherchant à « s’emparer de la direction de l’ensemble » du mouvement.
En Afrique du Nord, alors que nos troupes se battent vaillamment sous le commandement de « Juin l’Africain », qui réalise l’amalgame après l’incident des défilés séparés de Tunis, les intrigues algéroises laissent une impression pénible. On imagine l’auteur, penché sur son pupitre, en train de rédiger les pages de gloire du tome III ; mais, pour le moment, Mers el Kebir, Dakar, les « combats lamentables » de Syrie, les foucades de Muselier, les ambiguïtés de Darlan, les illusions (voire les « puérilités » ?) de Giraud, la comédie d’Anfa… ont un goût amer. Pour se consoler, on a l’exploit de Bir Hakeim et sa valeur d’exemple, la fougue impatiente de Leclerc, le non-conformisme de Larminat et tant d’autres personnalités étincelantes, comme le prince Amilakvari ou cet intrépide aspirant Zirnheld, normalien, agrégé de philosophie, « figure emblématique des SAS ».
On sent déjà qu’à côté des opérations militaires ouvertes et des actions clandestines, un problème majeur va être de conjuguer les efforts d’éléments venus d’horizons divers, pour éviter « la prolifération et l’anarchie ». Tandis qu’à l’écart, n’est-il pas temps de ressentir un peu de compréhension pour les proconsuls des lointaines colonies et pour les amiraux des bases d’outre-mer, coincés entre l’arbre et l’écorce, qu’on ne saurait qualifier de traîtres et dont la position fut plutôt inconfortable ? Et l’auteur n’est-il pas sévère, pour ne pas dire méchant, pour la population européenne d’Indochine, rapidement qualifiée de « tout entière vouée à la préservation de son mode de vie et de ses privilèges » ?
Sans nul doute, le travail une fois achevé est appelé à devenir un ouvrage de base sur le sujet. Peut-on alors avancer une comparaison, à notre sens élogieuse, avec L’Histoire de l’armée allemande d’un auteur cité ici à plusieurs reprises et discuté plus sur ses options politiques que sur son talent ? ♦