Marine nationale - Le Prix amiral Daveluy
Comme tous les ans, depuis 1994, le chef d’état-major de la Marine vient de décerner le prix Amiral Daveluy, qui récompense les recherches sur la pensée navale et la stratégie maritime française et européenne. Trois lauréats ont été récompensés pour la qualité exceptionnelle de leurs travaux : M. Pierre Arnoult, le capitaine de corvette Pierre Herjean et M. Eric Frécon.
Les trois lauréats ont chacun reçu 2 000 euros.
Le mémoire de maîtrise de M. Pierre Arnoult « Le poste d’attaché naval à Londres durant l’Entre-deux-guerres : un observatoire privilégié de l’évolution de la Royal Navy et des relations navales franco-britanniques (1919-1939) » a été préparé à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, sous la direction du professeur Robert Frank, où il a reçu la mention très bien.
Bien qu’il ait été créé dès 1860, l’histoire du poste d’attaché naval à Londres n’avait encore jamais été abordée. Le mémoire de M. Arnoult vient donc combler, enfin, une importante lacune dans l’histoire maritime et navale de notre pays. L’auteur détaille les évolutions méconnues de la Royal Navy durant l’Entre-deux-guerres. Les conséquences des conférences de Washington et de Londres, l’impact du courant pacifiste au sein de la Navy, la priorité accordée à l’aviation, mais aussi le retard pris dans le réarmement naval, sont ainsi décryptés. Ce faisant, M. Arnoult montre que la Royal Navy était, elle aussi, agitée par des débats que l’on croyait à tort réservés à son homologue française…
Enfin, l’auteur décrit remarquablement les relations navales franco-britanniques durant l’Entre-deux-guerres, plus précisément dans les années 30, et analyse, en particulier, l’impact du réarmement allemand qui conduit l’amirauté britannique à lancer un ambitieux programme d’armement et à répondre favorablement aux propositions françaises d’accord naval, qu’elle repoussait jusqu’alors. Comme avant le premier conflit mondial, il faut que la menace devienne imminente pour qu’une coopération régulière soit engagée. Cette étude nous rappelle ainsi combien des pratiques, qui nous semblent aujourd’hui aller de soi, ont pendant longtemps relevé de l’exceptionnel…
Le travail de M. Pierre Arnoult est plus qu’un simple mémoire sur le poste d’attaché naval à Londres. Il donne à voir l’histoire d’un pays à travers le prisme naval et celui des relations avec la France. À l’heure où nous nous apprêtons à célébrer le centenaire de l’Entente cordiale, pareille recherche ne pouvait être que bienvenue.
Le mémoire de DEA du capitaine de corvette Pierre Herjean « La politique navale de la France de 1956 à 1962 », titulaire de la première mention spéciale, porte lui aussi sur l’histoire de la Marine au XXe siècle et complète celui de M. Arnoult sur bien des points.
D’abord parce qu’il débute après un temps fort des relations franco-britanniques. L’expédition de Suez — davantage que les opérations des Dardannelles ou le débarquement de Provence — fut en effet la plus grande opération navale franco-britannique du siècle passé.
Le résultat des recherches du CC Herjean est passionnant. Celles-ci couvrent cette période charnière de l’histoire maritime française contemporaine qui part de la reconstruction presqu’achevée en 1956, grâce aux effets conjugués des ressources nationales et des aides alliées, se prolonge par les premiers débats sur les perspectives nouvelles offertes par l’association du missile balistique et de la bombe atomique, avant de se terminer par la rupture radicale que constitue, pour la France, l’adoption de l’arme nucléaire océanique qui va lui permettre de s’affranchir de la tutelle atlantique et de dissuader la Russie soviétique. Le CC Herjean montre ici combien la Marine a su se garder de l’option « tout nucléaire » pour devenir une force parfaitement équilibrée. La Ve République renforcera ses choix et leur donnera une expression légale à travers la loi-programme du 6 décembre 1960. C’est le point de départ d’une nouvelle période d’expansion et de métamorphose pour la Marine nationale. Dans le débat actuel concernant la redéfinition et la modernisation des capacités de la Marine nationale, ce travail arrive à point.
Le mémoire de DEA de M. Éric Frécon « Pavillon noir sur l’Asie orientale, réalité de la menace pirate à l’aube du XXIe siècle », titulaire de la deuxième mention spéciale, est à bien des égards atypique au sens où il combine les qualités d’un travail universitaire aux méthodes d’investigation des journalistes. Les travaux, qui sont depuis devenus un livre (1), pose de nombreuses questions d’actualité : anachronisme ou résurgence d’une pratique que l’on pensait oubliée ? D’où viennent ces hommes qui font trembler les marins des détroits par lesquels circule l’essentiel du commerce maritime mondial ?
Pour tenter de répondre à ces questions et valider ses nombreuses hypothèses, M. Frécon a réalisé une véritable enquête, oscillant entre le monde répressif et la sphère pirate. Elle l’a conduit du CESM, où il a servi pendant un an comme volontaire aspirant, à Interpol, via l’ambassade de France à Kuala Lumpur, où il lui a été donné de pouvoir interroger de nombreux spécialistes régionaux. Éric Frécon a ensuite traqué les pirates, tout d’abord au Sabah oriental, dans les Sulu, puis dans les Riau et le détroit de Malacca… Loin des études livresques, auxquelles on réduit trop souvent la recherche, cette remarquable enquête nous livre un tableau précis, et souvent saisissant, des réalités de la piraterie moderne dans cette région du monde.
L’occasion est propice pour rappeler que les candidatures au prix Amiral Daveluy sont largement ouvertes et que les postulants peuvent se faire dès à présent connaître auprès de l’officier du CESM.
Rappelons également que cet organisme dispose d’un important centre de documentation couvrant l’ensemble des activités maritimes, accessible au public après autorisation. ♦
(1) Publié fin 2002 chez L’Harmattan sous le titre Pavillon noir sur l’Asie du Sud-Est, histoire d’une résurgence de la piraterie. Une traduction anglaise devrait être faite en vue d’une publication en Asie.