Communiqué de presse de la Cour des comptes à la publication de son rapport public particulier de décembre 2004 intitulé Le maintien en condition opérationnelle des matériels des armées, aux éditions des Journaux officiels (www.journal-officiel.gouv.fr).
Le maintien en condition opérationnelle des matériels des armées
Consacré à l’examen des conditions dans lesquelles les matériels militaires sont maintenus en condition opérationnelle, le rapport que la Cour des comptes vient de rendre public (1) permet d’évaluer les résultats d’une politique publique essentielle puisque de sa réussite dépend la capacité réelle du ministère de la Défense à répondre aux objectifs de projection et de déploiement des forces françaises sur les différents théâtres d’opérations.
Pour cette raison, les moyens alloués à l’exercice de cette fonction sont d’importance : près de 40 000 personnes, soit 13 % des effectifs des armées, et environ 3,38 Md€ en moyenne annuelle, dont 1,8 Md€ en investissement, soit 12,5 % des crédits d’investissement du ministère.
Dégradation de la disponibilité
Cette fonction essentielle a connu, depuis le milieu des années 1990, une crise qui s’est amplifiée au cours de l’exécution de la loi de programmation militaire 1997-2002 et qui a abouti à une dégradation importante des taux de disponibilité des matériels militaires. Variable suivant les armées ou les matériels, cette dégradation a été, selon les années, entre 1997 et 2000, de 25 points au pire dans l’Armée de terre, de 14 points en moyenne (taux de disponibilité passant de 70 % à 56 %) dans l’Armée de l’air, et d’environ 25 points au pire dans la Marine.
Les investigations menées par la Cour, confrontées avec le ministère de la Défense, permettent de faire ressortir les raisons essentielles de cette ample dégradation. Elle est naturellement due en tout premier lieu à la réduction substantielle des crédits alloués à cette fonction par le ministère à partir de 1997 : en effet, on constate une chute de 7,3 % des crédits de paiement en euros constants et une diminution de 14 % des crédits utilisés. Autres causes majeures : les multiples réorganisations intervenues au cours de la décennie 1990, destinées à restructurer les modes de fonctionnement des armées pour tenir compte de la disparition progressive des appelés, ou liées aux évolutions du secteur industriel, étatique ou non, de l’armement.
Mesures de redressement
Le ministère de la Défense a pris, depuis 1999-2000, un certain nombre de mesures de redressement. Les services chargés du maintien en condition opérationnelle ont été réorganisés. Ainsi a été créée une structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques, toutes armées confondues, la Simmad (2), chargée d’assurer la maîtrise d’ouvrage de cette fonction antérieurement éclatée et dispersée dans les différentes armées. De même, la réorganisation de la Direction des constructions navales (DCN) et sa transformation en entreprise ont conduit la Marine à mettre en place un service de soutien de la flotte, le SSF, regroupant les différents acteurs chargés de l’entretien des matériels navals. Permettant de réorganiser la logistique relative à l’entretien des matériels militaires, rationalisant la répartition des responsabilités, introduisant de la souplesse dans les procédures et favorisant l’obtention de gains de productivité, qu’il s’agisse de la définition des objectifs, de la gestion des stocks ou des relations avec les fournisseurs, ces structures constituent indéniablement une réforme positive.
Parallèlement, les crédits affectés à l’entretien des matériels militaires classiques, inscrits au chapitre 55-21 du budget du ministère de la Défense, ont été accrus d’environ 35 % en euros courants entre 2000 et 2003.
En conséquence, on constate une certaine remontée de la disponibilité des matériels militaires, évaluée à environ 10 points en moyenne pour l’Armée de l’air et la Marine, les résultats étant plus variables dans l’Armée de terre.
Ces résultats demeurent toutefois inférieurs aux prévisions de la loi de programmation militaire en matière de taux de disponibilité qui étaient de 75 à 80 % selon les matériels.
La dégradation de la disponibilité de certains matériels
(Source : ministère de la Défense)
1997 | 1998 | 1999 | 2000 | |
Frégates antiaériennes | 79 | 48 | 34 | 53 |
Transport de chalands de débarquement | 85 | 94 | 50 | 38 |
AMX 10 RC | 84 | 74 | 68 | 57 |
AMX 30 B2 | 78 | 81 | 70 | 65 |
Matériels aériens majeurs de l’Armée de l’air | 64 | 66 | 60 | 56 |
Amplifier l’évolution
Les évolutions constatées doivent donc être confirmées et amplifiées.
En effet, toutes les conséquences pratiques des réformes de structure engagées n’ont pas été encore tirées. Les regroupements de services ont laissé subsister dans la Marine et dans l’Armée de l’air certaines structures non intégrées, freinant ainsi la réalisation des gains de productivité attendus. La création d’un service de maintenance de type interarmées, chargé de l’entretien de tous les matériels terrestres, longtemps envisagée, a été abandonnée au profit d’une réorganisation interne de l’Armée de terre, ce qui a eu plutôt pour effet de perturber la réalisation des fonctions de maintenance. Ces difficultés fonctionnelles expliquent en partie que la remontée des crédits budgétaires n’ait pas été suivie d’une consommation des ressources équivalente puisqu’elle n’a été, de 2000 à 2003, que de + 15 %.
À ces causes structurelles, s’ajoutent d’autres facteurs. En premier lieu, les opérateurs techniques chargés de la maintenance ne sont pas toujours en mesure de faire face aux demandes, fluctuantes par nature, qui leur sont adressées. Pour pallier ce problème, le ministère a souhaité développer un nouveau mode de contrat, plus global et pluriannuel, permettant d’éviter les à-coups constatés : intéressante, cette option doit être mise en œuvre avec précaution car elle peut entraîner des surcoûts injustifiés.
Autre facteur d’augmentation des coûts du MCO, le rajeunissement des matériels mis à la disposition des armées : techniquement plus sophistiqués, donc plus complexes et plus onéreux à maintenir en condition opérationnelle que les matériels plus simples et plus anciens utilisés antérieurement, leur entretien accroît dès maintenant les charges financières du ministère avec en outre, pour l’avenir, un risque de dépenses encore supérieures du fait de leur obsolescence rapide.
Deux recommandations
Deux recommandations principales concluent le rapport de la Cour des comptes :
– poursuivre et renforcer les restructurations fonctionnelles permettant de rationaliser et d’optimiser les opérations de maintenance, en transposant au profit des matériels terrestres les innovations dont bénéficient déjà pour partie les matériels aéronautiques et navals ;
– malgré la pression financière qu’exercent structurellement les dépenses de personnel, dont la croissance est due au fonctionnement régulier d’une armée professionnelle, ainsi que l’acquisition des nouveaux matériels, ne plus considérer la fonction MCO comme une variable d’ajustement budgétaire, solution facile mais dangereuse car affectant l’efficacité de l’ensemble des dispositifs militaires. ♦
(1) Le maintien en condition opérationnelle des matériels des armées ; Les éditions des Journaux officiels, Paris, 2004.
(2) Structure interarmées de maintenance des matériels aériens de la défense. Cf. Patrick Thouverez et Jean-Marc Calais : « La modernisation de la maintenance aéronautique au sein de la Défense : la Simmad », Défense Nationale, juin 2001.