Aux sources officielles de la colonisation française - Tome I : études
Aux sources officielles de la colonisation française - Tome I : études
Aucun auteur, jusqu’alors ne s’était essayé à tirer de l’oubli un si grand nombre de textes du passé, de notre passé. Jamais aucun chercheur n’avait osé, ne serait-ce qu’en quelques mots, marquer les divergences qui s’exprimaient dans l’équipe gouvernementale du moment, ni les difficultés rencontrées sur place par les acteurs ; mais revenons au contenu de l’ouvrage dont le premier tome vient tout juste de sortir des presses.
Il couvre une vaste période aux lointaine origines, et qui aboutit à la défaite de Sedan en septembre 1870. Tout au long de cette période, la France a connu plusieurs régimes de gouvernement, mais tous, selon l’auteur, sont marqués d’un caractère commun : l’impérialisme au sens originel du terme. Nos rois furent grands et édictèrent beaucoup, mais les traces de leur œuvre sont-elles toutes connues ?
À l’époque les communications sont lentes, très lentes : pour voyager il n’y a que la marine à voile et il n’est pas pensable qu’un représentant de l’autorité se lance dans une longue croisière ; cela n’empêche pas la Révolution de gagner les colonies et d’être à l’origine de nombreux bouleversements dans les comportements.
Tandis que la révolution s’apaise en métropole, l’agitation grandit aux Antilles ; le Premier Consul se trouve contraint d’y faire face, à sa façon. Celle-ci est double : d’une part, la force, parfois brutale, d’autre part l’application d’un principe républicain nouvellement exalté : l’égalité des citoyens. Cela conduit à l’abolition de l’esclavage. Mais très vite, Napoléon (qui a épousé une fille des îles : une Tascher de la Pagerie), reprend sa parole et en revient à la situation ex ante.
La paix de 1814-1815 rétablit la France dans ses limites antérieures et les nouveaux occupants de nos colonies, les Anglais, se montrent peu enclins à coopérer pour un retour en arrière.
La Restauration accomplit une œuvre de longue haleine : précisément à restaurer. Nul n’oserait prétendre que la dernière décision de la Restauration fut bonne, mais c’est le régime suivant qui en hérite et doit conduire une dure conquête en Algérie.
La seconde République eut des idées généreuses, puisque la principale application en fut l’abolition de l’esclavage en 1848.
Le Second Empire, héritier direct plutôt que légitime du régime précédent, d’abord hésitant puis ambitieux et réaliste pour tout ce qui concerne l’Algérie, fut somme toute assez peu colonisateur. On lui doit cependant une grande œuvre.
L’auteur appuie le rappel rapide de ces régimes successifs de textes aujourd’hui trop oubliés : son objectif n’est-il pas d’aller aux sources officielles ? Pour n’en citer que deux ou trois : le Code noir, vestige d’un passé bien réel, le traité de la Tafna, et la lettre adressée en 1865 au duc de Malakoff, gouverneur général de l’Algérie, par l’Empereur des Français. Au terme de cette première période, la France est à nouveau présente partout.
Après ce court mais complet rappel historique, l’auteur soutient que toute la colonisation, subie puis conduite pendant des décennies, procède d’un même impérialisme. Pour lui, cet impérialisme se manifeste dans plusieurs domaines : il en retient sept pour ne pas multiplier les particularismes.
L’organisation administrative est caractérisée, principalement, par la création d’un ministère des Colonies de 1858 à 1860. Sur place, c’est-à-dire dans les diverses colonies dont l’Algérie, il n’y a pas vraiment d’organisation type, mais la lenteur des communications exige une large décentralisation, c’est-à-dire une forte autonomie des pouvoirs locaux.
L’organisation judiciaire, elle non plus, n’obéit à aucune rigidité : la tendance est, certes, à s’inspirer de ce qui se fait en métropole, mais la pénétration de la religion musulmane dans plusieurs de ces territoires conduit au maintien d’une justice spécifique indigène à consonance religieuse.
Tous les régimes successifs, en cela fortement aidés par les missionnaires, se préoccupent de l’instruction des masses ; à cette époque l’organisation des cultes, à l’exception du culte musulman, demeure une préoccupation étatique.
Les colonies, c’est là la conception de l’époque, ne doivent pas coûter à la métropole (la réalité peut être perçue tout autrement) ; elles doivent devenir de plus en plus autonomes. C’est sans doute là l’une des origines de ce que l’on a appelé le « régime de l’exclusif ou du Pacte colonial », système dans lequel tout le commerce est orienté vers la métropole. La guerre des sucres en fut un bon exemple, à en croire l’auteur qui rappelle longuement l’historique de ce régime commercial sui generis, toujours à l’origine de difficultés.
Enfin, l’auteur rappelle à raison la transformation voulue des colonies en un exutoire pour la métropole qui ne sait que faire des insurgés politiques condamnés et, par la suite, des condamnés de droit commun que la Justice a pour mission de remettre dans le droit chemin.
En arrivant au terme de la lecture de ce premier tome, on est en droit de regretter une chose : que l’auteur n’ait pas, en dépit de sa longue quête, trouvé un éditeur autre qu’à titre participatif, lui permettant de faire connaître une œuvre que la mémoire collective nationale s’efforce souvent d’occulter, sauf, peut-être, en quelques occasions souvent excessives dans les propos ou idées exprimées, alors que la colonisation est un fait de civilisation dont les progrès techniques n’ont fait qu’amplifier l’impact médiatique. ♦