La démarche stratégique des États baltes a brillamment abouti à leur adhésion coup sur coup à l’Otan et à l’UE. Force est de reconnaître, néanmoins, que cette entreprise est plus le résultat d’un phénomène identitaire que d’une véritable réflexion stratégique. En effet, l’Otan, associée aux États-Unis qui fait contrepoids à la Russie, est perçue comme l’organisation la plus apte à produire de la sécurité militaire. Quant à l’UE, et son bras armé la PESD, elles n’ont qu’une vocation stratégique minimaliste.
Les pays Baltes, l'Otan et la PESD
Baltic states, NATO and ESDP
The strategy of the Baltic States led brilliantly, in quick succession, to membership of both NATO and the EU. Yet that resulted more from questions of identity than from real strategic reflection. NATO, and therefore the United States as a counterweight to Russia, is seen in the Baltic States as the organisation best placed to provide military security. The EU’s security and defence policy is regarded as having only a minimal strategic role.
Lorsque les autorités estoniennes décidèrent à la fin du mois d’avril 2007 de déplacer une statue controversée représentant un soldat soviétique glorifié pour avoir participé à la lutte contre le fascisme nazi, les émeutes des russophones qui s’ensuivirent ont fait ressurgir la crainte d’une attaque subversive de la Russie : celle-ci prétexterait que ces derniers sont maltraités, pour intervenir manu militari dans l’ancienne république soviétique. C’est bien auprès de Washington que l’Estonie est allée chercher tout de suite une solidarité militaire au cas où son bras de fer avec Moscou dégénérerait en conflit ouvert. Ce syndrome de l’« enfant battu » n’est certes pas l’apanage des pays Baltes, comme en témoigne le tropisme atlantique tous azimuts des Peco. Ce qui les singularise peut-être davantage fut leur tour de force lorsqu’ils ont adhéré coup sur coup à l’Otan le 29 mars 2004, et à l’UE, le 1er mai de la même année, alors même que Moscou n’avait pourtant jamais caché, dès le début des années 90, qu’une telle adhésion serait perçue mécaniquement comme un casus belli.
Les clefs de la réussite de la stratégie atlantique et européenne des pays Baltes sont à trouver dans la forte intimité qui existe entre leur identité occidentale et leurs choix stratégiques. Cette symbiose identitaire et militaire explique par ricochet leur tendance à percevoir les modèles européen et transatlantique comme parfaitement homogènes et complémentaires. Traumatisés par cinquante ans d’annexion soviétique, les trois pays Baltes, en voulant alors contracter une sorte « d’assurance vie » contre une éventuelle résurgence de l’impérialisme russe, ne voyaient leur sécurité et leur défense qu’au travers de l’Alliance atlantique à laquelle ils postulaient dès le lendemain de leur indépendance pour sa qualité première de défense collective. Un certain manichéisme caractérisait leur stratégie : l’Otan, par le canal de son article V devait leur fournir la garantie ultime de « sécurité militaire », tandis que l’UE leur procurerait l’aisance économique à laquelle ils aspiraient. Si l’Alliance atlantique, dans laquelle ils plaçaient leur espoir de pérennisation de leur défense, apparaissait comme le vecteur de sécurité le plus crédible et surtout le plus dissuasif pour contenir l’attitude belliqueuse russe, l’UE était perçue avant tout comme une organisation économique et, en tout état de cause, dénuée d’ambitions stratégiques. Le désir d’Otan, en effet, semblait surtout répondre à un besoin crucial de sécurité militaire tandis que l’impératif de l’intégration européenne avait vocation à avoir un effet structurant sur les sociétés estonienne, lettone et lituanienne : un œil tourné vers Washington et l’Otan, symboles de leur défense, et l’autre vers l’UE, gage de leur intégration européenne.
L’icône occidentale entre le modèle européen et transatlantique
Le refus des pays Baltes, plus ou moins inconscient, de séparer l’Europe et les États-Unis s’enracine autant dans des considérations historiques et culturelles que dans le constat supposé de l’inexistence du projet politique européen. La forte émigration balte aux États-Unis a créé des affinités de part et d’autre de l’Atlantique et de puissants réseaux d’influence dans la vie politique américaine. Il y a aussi l’histoire de la guerre froide dont ils gardent une mémoire presque uniquement associée aux États-Unis ; par contraste, l’abandon par les pays européens des démocraties des pays de l’Est, peu de temps avant la deuxième guerre mondiale (« syndrome de Munich »), renforce la méfiance qu’ils ont des pays d’Europe de l’Ouest, tout en accroissant la confiance qu’ils ont des États-Unis, considérés comme ayant vaincu l’Union soviétique. D’ailleurs, durant la campagne américaine visant à légitimer l’intervention militaire en Iraq, l’argumentaire selon lequel céder à Saddam Hussein rappelait les tergiversations de la Société des Nations face à l’Allemagne nazie avait conservé un impact certain dans les pays Baltes. D’autant que Washington offrait non seulement sa protection, mais aussi un modèle économique ultralibéral à des pays qui se relevaient lentement des maux de la planification soviétique.
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