Victor-Yves Ghébali (1942-2009) est, au moment où il publie cette analyse, en 1977, chercheur au Centre de recherches sur les institutions internationales de Genève.
Considérations sur certains aspects militaires de la détente : les « mesures de confiance » d'Helsinki (avril 1977)
La question proprement dite des aspects militaires de la détente ne figurait pas à l’ordre du jour de la conférence d’Helsinki. Elle relevait d’une négociation multilatérale indépendante mais plus restreinte, celle des Military mutual and balanced force reduction (MBFR), tenue à Vienne au même moment, ainsi que des Salt américano-soviétiques de Genève. Il eut cependant été pour le moins paradoxal qu’une entreprise globale de sécurité comme la CSCE esquivât sans autre forme de procès la dimension militaire du dialogue Est-Ouest. Ce fut pour sauvegarder en quelque sorte les apparences, et surtout pour donner une compensation de principe aux nombreux petits ou moyens États irrités par l’étanchéité des MBFR que l’on décida de confier à la CSCE l’étude de certaines mesures susceptibles de contribuer à réduire les risques d’un affrontement armé : la notification des manœuvres et des mouvements militaires d’envergure ainsi que l’échange d’observateurs aux manœuvres militaires. Nonobstant leur caractère limité, ces mesures de confiance (MDC) représentent l’une des innovations les plus concrètes d’Helsinki. On se propose ici d’analyser successivement leur philosophie, leurs modalités et leur première mise en œuvre sur le terrain.
La philosophie des MDC
Les MDC ont été conçues au sein de l’Otan, vers 1968-1970, à l’occasion des échanges d’idées entre les membres de l’Alliance sur le problème de la réduction des forces et du désarmement en Europe. En dépit de ce contexte, elles apparaissent comme des mesures où l’élément politique tient une place tout à fait prépondérante ; plus précisément, elles sont appelées à opérer dans des secteurs de l’activité militaire qui présentent un caractère politique marqué. Tel est bien le cas des manœuvres et mouvements militaires d’envergure qui, souvent, procèdent d’intentions ou ressortissent d’objectifs politiques certains. Les MDC ont découlé de la prémisse selon laquelle l’imprévisibilité ou l’inexplicabilité des mouvements de troupes dans certaines directions, l’ampleur et la fréquence des exercices d’entraînement simulant un état de guerre jointes aux concentrations de forces dans des régions déterminées sont de nature à entretenir en Europe un état permanent de tension, de crainte et d’ambiguïté propice au phénomène classique de l’escalade. De la nécessité de limiter, sinon d’éliminer, les malentendus et leurs risques inhérents, jaillit l’idée d’établir un système de notification préalable renforcé par un réseau d’invitations réciproques d’observateurs (1).
Dans l’optique occidentale, la portée d’un tel système sur le plan militaire reste à peu près nulle. Les conditions et exigences de la technique militaire moderne sont telles qu’elles ne sauraient raisonnablement pousser un pays ou un bloc de pays à entreprendre une guerre à partir de manœuvres camouflées. De toute façon, l’objectif visé à travers les MDC n’est pas de permettre aux États concernés d’obtenir des renseignements sur leurs activités respectives ; chacune des deux Alliances disposant pour cela de moyens autrement plus adéquats et efficaces. Le but recherché se situe sur un terrain bien différent. Il consiste à favoriser le développement d’un climat général de confiance par la répétition de certains gestes de bonne volonté à contenu informatif restreint, mais à haute valeur symbolico-politique. En d’autres termes, les MDC tendent à instituer entre les hiérarchies militaires des États participant à la CSCE des réflexes d’information mutuelle et des habitudes régulières de contact direct. Elles constituent en un sens une manifestation concrète de l’esprit de la « troisième corbeille » dans la sphère où les relations Est-Ouest sont le plus tendues et peuvent se révéler le plus lourdes de conséquences.
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