Au-delà des spécificités de chaque armée, c’est le risque individuel accepté, transcendé dans le collectif assumé qui est à la base de l’identité militaire.
Ensemble
Together
Beyond the specific characteristics of each of the armed forces, the basis of the sense of military identity is the acceptance of individual risk, transcended into an acknowledged collective risk.
Comment rester en harmonie avec les évolutions du monde dont ils sont issus sans remettre en cause les particularismes et invariants de l’état de militaire ? Comment trouver un juste équilibre entre banalisation et spécificité ? Ces questions sont récurrentes et les militaires s’efforcent depuis longtemps de leur apporter des éléments de réponse. La particularité du temps présent réside dans le fait qu’à cette question s’ajoute aujourd’hui une seconde au moins aussi existentielle. À l’heure de l’interarmisation, des mutualisations et des bases de défense existe-t-il, au-delà des spécificités d’armée, un socle militaire commun ? Qu’est-ce qui, au fond, unit les militaires de tous grades des trois armées davantage que ce qui les différencie ?
La spécificité militaire pourrait probablement se résumer principalement à deux exigences totalement indissociables : l’acceptation individuelle de mise en danger de sa propre vie au service de la mission, la transcendance des individualismes dans le collectif.
Un soldat, un aviateur ou un marin, chacun le sait, est un homme qui accepte, si nécessaire, de donner la mort, mais également, le cas échéant, de la recevoir au nom d’une collectivité qui lui a délégué son droit à se défendre. Qu’il soit celui qui combat sur terre, dans les airs ou en mer ou celui qui en donne l’ordre, qu’il mette directement en œuvre les armements ou qu’il en assure la préparation ou le soutien, le combattant sait que ses actes visent la destruction ou, au minimum, la neutralisation de l’adversaire. Ce droit exorbitant lui impose de combattre sans haine et dans le respect du droit de la guerre mais avec une détermination sans faille qui exige qu’il mette en jeu sa vie et celle de ses subordonnés, chaque fois que nécessaire.
Bien sûr, l’amour du pays et la légitimité de la cause qu’il défend constituent le socle de l’engagement de tout militaire, le fondement de son action et le ressort de son ultime sacrifice. Mais au moment du combat, de la peur, de la souffrance et de la mort, c’est dans les yeux de ses frères d’armes qu’il trouve la force de se dépasser et d’aller au-delà de ce que sa simple raison lui commande. À cet instant précis, seule compte la solidarité du groupe et la confiance en ses chefs. Au combat, il n’y a pas de succès ou d’échec individuel. Plus encore que la technique et la tactique, c’est la force du « vouloir combattre ensemble » qui permet d’affronter le danger et, finalement, de vaincre.
Ce ciment à même d’unir les âmes ne se décrète pas. Il se constitue et s’enracine dans le vécu quotidien. Il naît et se développe, d’abord, dans ces moments forts au cours desquels un groupe, une équipe ou un équipage est parvenu ou a contribué à un résultat qui, non seulement n’était pas acquis d’avance, mais lui paraissait de prime abord inaccessible. Dans ces circonstances-là, le renoncement à la routine, le dépassement de soi, l’envie d’égaler ou de surpasser les meilleurs ou l’orgueil de vouloir mériter une réputation d’excellence procurent à des unités un puissant sentiment collectif.
Ce ciment a un nom, c’est l’esprit de corps, également appelé esprit d’équipage par les marins.
L’esprit de corps, à l’opposé de l’esprit de chapelle et du corporatisme, c’est d’abord un attachement commun à des valeurs partagées : le respect de chaque personnalité, la reconnaissance du rôle de chacun, l’ouverture aux autres, la fierté de servir, la camaraderie, la fraternité d’armes, la solidarité dans les difficultés et les épreuves. Il se nourrit de l’attention de chaque instant – de l’affection – que les supérieurs portent à leurs subordonnés. Il s’enracine dans leur volonté indéfectible de permettre à chacun de s’épanouir et, plus encore, de se dépasser. Il s’exprime dans une communauté de destin qui donne son sens aux efforts et réussites de chacun. ♦