C’est l’œuvre du général Gallois, stratège et géopoliticien qui est exposée ici en deux parties successives, par l’un des meilleurs connaisseurs de ce penseur militaire décédé l’an dernier. La généalogie intellectuelle de Gallois et le large courant de réflexion nourri par les questions stratégiques du moment sont présentés dans cette première livraison.
Pierre Gallois géopoliticien (1re partie)
Pierre Gallois the geopolitician (Part I)
This is the first of two parts of an appreciation of General Gallois, the strategist and geopolitician who died last year, by a connoisseur of this military thinker’s legacy. It considers Gallois’s intellectual genealogy, and the wide scope of the debate is supported by references to current strategic thinking
Fin 1944, le bibliothécaire du lycée français de Londres reçoit régulièrement la visite d’un jeune lieutenant de l’Armée de l’air, membre des Forces aériennes françaises libres, intégrées dans le Bomber Command britannique : il s’agit de Pierre Gallois qui, entre deux missions de bombardement stratégique, tâchant d’oublier que les statistiques des « groupes lourds » lui donnent une espérance de vie des plus réduites, consulte des ouvrages fondateurs de la géopolitique comme Democratic Ideals and Reality, de Sir Halford J. Mackinder. Certaines photographies prises sur la base d’Elvington nous montrent le futur géopoliticien français, pipe en bouche, un chat noir sur les genoux, aux côtés de camarades dont, pour nombre d’entre eux, la chasse et la Flak eurent raison dans le ciel nocturne de l’Allemagne.
Si la réputation du général Gallois s’est faite, à partir des années 60 et du traité fondateur Stratégie de l’âge nucléaire, sur son œuvre de précurseur et de théoricien de la dissuasion nucléaire française, il est important de souligner que la réflexion géopolitique est chez lui présente dès l’origine, et que cette période initiale constitue une sorte de matrice intellectuelle et vitale. Dans son environnement mental seront toujours présents le fracas des puissances broyées (celle de la France en 1940, de l’Allemagne en 1945), le goût pour le mariage entre réflexion et action, l’habitude de considérer la lutte des États à l’échelle continentale qui est naturellement celle de l’avion. La méthode géopolitique moderne, développée par les Mahan, Mackinder ou Ratzel, constituera une sorte de base continue de sa réflexion et de son œuvre, jusqu’à en devenir le thème dominant à partir des années 80.
Allons plus loin : il y a chez Pierre Gallois une relation dialectique entre stratégie et géopolitique. Dès les années 50, Pierre Gallois se convainc que l’avènement de l’atome transfère l’affrontement séculaire des nations sur d’autres terrains que celui des armes. Cette situation donnait à la géopolitique, de création récente, une importance nouvelle. Nous retracerons pour commencer le parcours historique du géopoliticien, avant d’examiner sa théorie et sa méthode d’action. Puis, sans prétendre, à propos d’une pensée si riche et dans le cadre d’un court document à une impossible exhaustivité, nous nous pencherons sur quelques thèmes dominants de la géopolitique de Pierre Gallois depuis les années 80, avant d’esquisser les contours de sa « géopolitique française ».
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