Pour faire face à l’arc de crise du Livre blanc, il faut reprendre la manœuvre d’aménagement de l’espace stratégique européen : consolider le bon voisinage régional, renforcer la lisibilité géopolitique du continent européen et redéfinir la trajectoire de puissance de l’Union entre Alliance atlantique, pacte eurasiatique et politique méditerranéenne.
Europe : espace et manœuvre
Defining Europe's strategic identity
If we are to address the ‘arc of crisis’ referred to in the White Paper, we must re-examine the way we configure Europe’s strategic space: consolidate regional good-neighbourliness, strengthen the geopolitical legibility of the European continent and redefine the power play to be employed by the EU between the Atlantic Alliance, the Eurasian pact and Mediterranean policy.
Du Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale de 2008, on a retenu cette attention stratégique prioritaire accordée à l’arc de crise qui s’étend de la Mauritanie au Pakistan. Cette dorsale instable semble aujourd’hui polariser notre réflexion de sécurité et de défense. Pour essentielle que soit la protection de la France contre les dangers que nourrit cet arc de crise et pour nécessaire que soit sa contribution à la stabilité de la périphérie du continent européen, elles ne doivent pas la subjuguer. Et en particulier la détourner de la manœuvre stratégique centrale lancée il y a un demi-siècle qu’a constituée l’entreprise de construction d’un espace commun européen de sécurité et de prospérité. Cette manœuvre était, ne l’oublions pas, la réponse indispensable à la tragédie des guerres européennes des siècles précédents. Elle portait aussi le pari raisonné qu’un intérêt général européen pouvait primer sur les intérêts nationaux et fonder notre communauté de destin avec nos voisins.
On aura pourtant pu défendre sérieusement l’idée qu’à la fin de la guerre froide, la construction européenne avait quitté sa trajectoire initiale. Qu’elle avait été en fait enrôlée dans une manœuvre transatlantique plus large, destinée à moderniser, sécuriser et contrôler un large couloir allant de la Floride à l’Asie centrale et qu’a d’ailleurs illustrée la rhétorique du grand Moyen-Orient de l’Administration George W. Bush. Les élargissements successifs de l’Otan et de l’Union européenne n’ont-ils pas été conduits au cours de la décennie passée avec cette arrière-pensée plus ou moins implicite ? Il s’agissait certes de rassembler dans une même dynamique démocratique et économique des États que la guerre froide avait rangés dans des camps antagonistes et que la fin de celle-ci libérait de contraintes politiques et d’idéologies totalisantes. Mais pour certains, il s’agissait aussi de commencer à constituer un camp occidental élargi pour faire face à un nouvel antagonisme latent, celui d’une Asie envahissante avec un champion résurgent et menaçant, la Chine. Et sur le chemin de l’Amérique à l’Asie, qui passe par le couloir méditerranéen, il fallait « engager » une société arabo-musulmane en mal d’assise sociale et de leadership politique, une zone moyen-orientale aux ressources énergétiques vitales pour le développement de la planète et enfin des confins asiatiques qui gardaient les traces instables d’un empire ottoman effacé il y a près d’un siècle et d’un empire soviétique défaillant.
Aménager l’espace stratégique européen
L’arc de crise que l’on considère généralement en France comme dans le monde occidental est en fait ce maillon lâche et mal contrôlé qui illustre cette analyse ; un maillon qui unit quatre continents, au développement largement différencié, l’Amérique, l’Afrique, l’Europe et l’Asie, un maillon qui traverse Méditerranée et Sahel, ce rivage Sud de cette autre Méditerranée qu’est le Sahara.
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