La politique de recherche et le volontarisme économique et industriel de Michel Debré
La politique de recherche et le volontarisme économique et industriel de Michel Debré
Si Michel Debré est connu pour être l’homme d’État de la Ve République, inspirateur et rédacteur de la Constitution, son œuvre en faveur de la recherche, au service de l’économie et de l’industrie, est en revanche moins connue. Maurice Kopecky permet par cet ouvrage, de compléter les connaissances sur une période de « scientification » de la société, pour reprendre Jürgen Habermas, cité par l’auteur. L’œuvre complète et la vision globale de Michel Debré sont fidèlement retranscrites dans l’ouvrage grâce à un travail de recherche approfondie qui offre au lecteur une rare source d’informations précieuses.
La démarche de l’auteur, qui a eu le privilège de servir le Premier ministre Michel Debré, est à la fois chronologique et analytique, découpant son travail entre la présentation de la recherche, ses travaux, ses avancées, et les structures nombreuses et complexes créées à cette fin, et la présentation des conséquences pour l’industrie et l’économie. Tout au long des développements, sont également rappelés les noms de ceux qui ont accompagné Michel Debré dans la mise en place de cette politique ambitieuse. Des structures nouvelles adaptées ont permis à l’ensemble de l’élite scientifique de l’époque de donner jour à ce renouveau scientifique qui a fait entrer la France dans la modernité. Notre pays continue encore aujourd’hui d’en récolter les bienfaits sur la scène internationale.
Dans un premier temps, qui recouvre les deux premiers chapitres, il est fait état des premières décisions prises par le gouvernement afin de renforcer la recherche, montrant ce qui existait ou n’existait pas dans les périodes antérieures. Michel Debré fit établir un bilan de la recherche en France, recherche alors découplée de l’enseignement et séparée des entreprises et des secteurs dynamiques de l’économie. Après avoir analysé la situation en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, Michel Debré créa en l’espace de deux ans, de 1958 à 1960, différents Comités (CIRST, CCRST, Orstom, etc.), mit en place un fonds de recherche et renforça le CNRS, démontrant ainsi la volonté de l’État de considérer la recherche comme base fondamentale de la définition des intérêts vitaux de la France en pleine guerre froide. Aucun institut ou centre de recherche n’est oublié dans l’analyse approfondie de cette politique du gouvernement, notamment le CEA et l’ancêtre de la DGA, et des administrations, notamment la DGRST et la DRME rattachées auprès du ministre délégué à la recherche.
Dans un second temps, l’auteur analyse dans différents chapitres, la politique appliquée dans les grands secteurs de l’industrie : l’énergie, le nucléaire – dont la singularité par rapport à l’énergie s’explique par l’arme atomique – l’espace et les industries spécialisées, à savoir l’électronique, le moléculaire et enfin l’industrie aéronautique. Le chapitre consacré à l’énergie, avec une étude sur le charbon, le pétrole et le gaz, permet d’ouvrir l’analyse du nucléaire et de comprendre la naissance des grands groupes nationaux énergétiques, tout en présentant les enjeux internationaux liés à ces questions encore majeures aujourd’hui. Le chapitre consacré au nucléaire expose le caractère dual des recherches et structures qui a permis de maîtriser à la fois la production d’énergie et de posséder l’arme atomique. Ainsi, une partie est consacrée à l’évolution de l’acquisition des outils de la dissuasion nucléaire, qu’il s’agisse des missiles en eux-mêmes ou des composantes terrestres, maritimes ou aéroportées. Il était donc logique que suive le chapitre sur la politique spatiale de Michel Debré avec une présentation détaillée des étapes de mise en place des organismes, dont le CNES, de leur coopération et de leurs programmes de travail pour que la France acquière des capacités spatiales qui la placent aujourd’hui dans le groupe restreint des États disposant de lanceurs spatiaux. Les chapitres consacrés aux secteurs nouveaux – l’électronique et la biologie moléculaire, et complètement renouvelés comme l’industrie aéronautique – présentent la vision complète de Michel Debré qui a su percevoir les enjeux de ces domaines, avec notamment dans le premier, la question des télécommunications et de l’informatique, devenus des secteurs essentiels des technologies et de l’industrie.
Le livre de Maurice Kopecky est un excellent aperçu à la fois du charisme de Michel Debré, du fonctionnement « typiquement français » de l’administration et des institutions concernées, ainsi que de l’état de la science à l’époque et ses répercussions dans l’organisation de la recherche et ses liens avec l’industrie aujourd’hui. Cela permet de comprendre la place de la France dans le monde grâce aux technologies qu’elle maîtrise depuis cette époque. Mais il conduit aussi à s’interroger sur l’importance de la recherche dans les différentes politiques des gouvernements qui se sont succédé depuis Michel Debré pour que cet héritage vive encore en s’adaptant aux évolutions du monde. ♦