Faut-il brûler la contre-insurrection ?
Faut-il brûler la contre-insurrection ?
Monsieur Bricet des Vallons convoque ici quelques experts et leur propose un sujet impossible, la contre-insurrection. À sujet impossible, simplification nécessaire, que le titre annonce : ne faut-il pas « brûler » la contre-insurrection ?
Monsieur des Vallons, dans une introduction et un chapitre, donne le ton et le ton est féroce. Les Américains en font les frais, ce sont eux qu’on observe, tant en Irak qu’en Afghanistan. La « conquête des esprits et des cœurs » est une fable, l’exportation de la démocratie le masque du néocolonialisme, le Human Terrain System systématisation du « conseil culturel » à l’opposé de l’heureuse « anthropologie spontanée » des militaires français. C’est que l’expérience française est présentée ici, et tout au long de l’ouvrage, comme un modèle dont Galula est le pontife. Le modèle eût gagné à être mis en perspective : quand les guerres d’Indochine et d’Algérie les ont surpris, les Français y étaient aux affaires depuis belle lurette ; dans celles d’Irak et d’Afghanistan – mais aussi du Vietnam – c’est l’irruption des Américains qui mit le feu aux poudres.
Aussi bien Élie Tenenbaum rappelle-t-il excellemment l’histoire de la culture française de « guerre révolutionnaire », de son transfert outre-atlantique par les voix d’Aussaresses et Trinquier, de son triomphe avec Galula. Cette « culture », pour l’essentiel, ne fut que transposition des méthodes cruelles employées par le Vietminh et le FLN pour prendre la population en mains. Galula, il est vrai, en donne un visage plus aimable. Rien, pourtant de neuf, chez celui-ci, aux yeux des anciens d’Algérie, qui n’y voient que le rappel des conclusions auxquelles ils étaient, fût-ce sur le tard, parvenus. Rien non plus qui soit décisif. C’est que le discours du maître souffre d’une grande faiblesse. L’insurrection défend une cause, promet des lendemains qui chantent, et qui chantent d’autant mieux qu’ils ne sont point mis à l’épreuve. En face, le loyaliste de Galula n’a à proposer que les médiocres compromis auxquels le contraint l’exercice du pouvoir. Là réside la véritable asymétrie, que Galula ne veut pas voir et que distinguent quelques-uns des auteurs de ce livre – en particulier notre trio militaire Courrèges-Germain-Le Nen – parlant de la légitimité nécessaire au succès de la contre-insurrection.
Ceci dit, essentiel à nos yeux, on relèvera maintes notations précieuses. Ahmed S. Hashim nous remet en mémoire les catégories de Carl Schmitt. Florent de Saint-Victor réhabilite les OMLT, dont les « mentors » ont été bien légèrement qualifiés de non-combattants ; hélas, son enthousiasme le grise et le porte à une critique acerbe de notre intelligentsia militaire, critique impudente sous la plume d’un étudiant blogueur. Mais le jugement le plus sévère porté sur la stratégie américaine de contre-insurrection l’est par Gian P. Gentile. Apôtre de la force brute, il se pose en négationniste du succès de Petraeus. Or, qui est cet homme ? Un officier de l’armée des États-Unis, chef du département d’histoire militaire à West Point. On croit rêver.
Certes nous avons notre Goya, dont l’article est tout aussi rude et malheureusement pollué de titres en forme de calembour. Nous lui emprunterons pourtant notre conclusion, faute d’en trouver une dans le livre. « Le meilleur moyen, écrit-il, de lutter contre une insurrection consiste à ne pas la susciter ». Constantin Melnik, cité par Tenenbaum, lui fait écho ; un mémo que ce grand sceptique avait soumis à la RAND Corporation, vantant le succès gaullien du retrait algérien, lui revint avec ce commentaire : « Que Dieu épargne à l’Amérique de tels succès ». C’est pourtant la grâce qu’on lui souhaite. ♦