La transition démocratique qu’a connue l’Europe orientale à la fin de la guerre froide fournit d’utiles repères sur le processus qui débute dans les sociétés arabes. Installer le libéralisme et la sécurité prendra du temps, mais certaines sociétés comme la tunisienne et l’égyptienne ont déjà consolidé le cadre économique du développement libéral. La priorité est désormais à la modernisation politique qui seule permettra d’aborder les enjeux du XXIe siècle.
Préambule - Le grand chantier de l’aggiornamento arabe
The great arab spring
Eastern Europe’s democratic transition at the end of the Cold War gives some useful pointers to the process which is starting in some Arab societies. It will take time to establish liberalism and security, but countries such as Tunisia and Egypt already have the basic economic framework of liberal development. Political modernization is now the priority; this alone will allow Arab societies to meet the challenges of the twenty-first century
La révolution populaire tunisienne est entrée, au lendemain du 14 janvier 2011 – date de la fuite de l’ex-président – sur la voie de la transition démocratique. La voie est semée d’embûches.
À quels repères se fier ?
Pour mieux saisir la nature des difficultés inhérentes à la transition, prenons l’exemple des pays d’Europe centrale et orientale. Dans cette partie de l’Europe, la phase commencée au lendemain du 9 novembre 1989 consistait à surmonter principalement deux obstacles : garantir la sécurité et endosser le libéralisme dans sa double dimension économique et politique. Trois institutions avaient alors offert un cadre de référence propice : l’Otan, la Communauté européenne et le Conseil de l’Europe. La transition, voulue par les peuples concernés, était ainsi soutenue dans toutes ses implications par la solide architecture européenne et transatlantique. De plus, au sein même de ces pays, le tissu social et politique était suffisamment intégré pour admettre la réforme libérale et démocratique dans toutes ses conséquences. La dynamique particulière de chaque pays trouvait dans l’ordre européen de l’époque un garant sécuritaire et un catalyseur politique en mesure de relayer et d’accélérer l’élan vers la révolution libérale. Dans ce contexte, la transition s’est étalée sur une période de vingt ans.
Dans les pays arabes, la transition démocratique est sans précédent et sans référentiel ; elle pose des problèmes de surmobilisation où se mêlent indistinctement la destruction des institutions rattachées au régime despotique, l’effort de reconstruction politique et de relance économique et l’impératif de préservation de l’État. Les partis politiques, soudain multipliés (52 en Tunisie), sont impréparés aux échéances électorales et deviennent difficilement identifiables du fait du chevauchement de leurs programmes. La tentation démagogique s’ajoute aux impatiences accumulées pour élever les revendications sociales et peser sur la stabilité générale. La transition traversée par des tensions incohérentes risque d’évoluer vers un nouveau système autoritaire civil ou militaire qui, à son tour, tendra à se perpétuer. De surcroît, le voisinage arabe est hostile, parfois agressif, et les forces intérieures, tout en réclamant ouvertement les libertés et la démocratie, cèdent facilement à la tentation révolutionnaire et poussent pour la plupart aux pressions de la rue. La mobilisation des élites peut certes contribuer à clarifier les problèmes mais non fédérer les forces politiques ni favoriser le consensus. Les élections, aussi libres et sûres soient-elles, ne garantissent nullement l’émergence d’un équilibre politique promis à la stabilité : les élections irakiennes du 7 mars 2010 n’ont guère assuré la transition espérée.
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