C’est dans son histoire moderne et dans sa diversité ordonnée que l’Inde puise aujourd’hui les forces qui lui permettent d’assumer de mieux en mieux son fort potentiel stratégique. Dynamisme économique, réassurance américaine et environnement assumé participent de la consolidation de sa centralité asiatique.
L’Inde : émergence ou renaissance stratégique ?
India: emergence or strategic renaissance?
India’s modern history and marked diversity are the principal drivers in developing its strong strategic potential. Economic dynamism, American reassurance and acceptance of its environment all play a part in consolidating its Asian identity.
L’Inde n’est pas encore une grande puissance, mais elle devient un acteur sur le grand théâtre du monde (1). Le pays a changé son regard sur soi et son regard sur le monde. Le monde commence à changer sa vision de l’Inde. Cette perception est nouvelle. Elle est devenue commune depuis quelques années, quand le taux de croissance indien a dépassé les 8 % en 2003, puis les 9 % en 2005, trois ans de suite. Même après la crise, qui ralentit momentanément sa croissance en 2008, l’Inde en transition est bien un pays émergent. La dimension économique du mouvement n’est toutefois pas la seule, même si elle définit les fondations de l’Inde nouvelle. La montée en puissance s’appuie évidemment sur une dimension diplomatique et stratégique.
De la sujétion à l’émergence : trois étapes
L’Inde indépendante s’est construite sur deux fondements. Le premier fut élaboré par le mouvement du nationalisme indien en lutte contre l’Empire britannique. Porteuse d’une des plus brillantes civilisations de l’histoire qui vit naître l’hindouisme et le bouddhisme, l’Inde fut aussi le haut lieu d’un Islam bâtisseur, celui des grands Moghols, avant d’entrer dans un déclin relatif accéléré par l’essor des puissances maritimes européennes à compter du XVIIe siècle. Passée sous la férule britannique, l’Inde du XIXe siècle se trouve assujettie, mais les ferments du renouveau commencent à agir. De grands réformateurs apparaissent. Ils s’efforcent de passer l’héritage de l’Inde au crible des Lumières et réaffirment, contre l’esprit missionnaire, la grandeur d’un hindouisme en mouvement. Fondé en 1885, le Congrès national indien traduit d’abord les aspirations à la reconnaissance des nouvelles élites d’une Inde en modernisation. Au fil des années 1920-1940, le mouvement nationaliste, devenu un mouvement de masse grâce à Gandhi, cherche à transcender les diversités linguistiques et religieuses de l’Inde. Il échoue en partie avec la partition de 1947 et la création du Pakistan. Il réussit pour l’essentiel avec la promulgation de la Constitution de 1950 qui demeure soixante ans plus tard, fût-ce avec quelques amendements, le texte fondateur de la République indienne.
Avec l’Indépendance, le second pilier de l’émergence de l’Inde est posé. Jawaharlal Nehru, Premier ministre de 1947 à 1964, en est le bâtisseur en chef. L’Inde post-coloniale s’appuie, sous son impulsion, sur un quadruple paradigme : politiquement, la démocratie parlementaire est de règle ; économiquement, l’Inde entend se construire derrière des barrières protectionnistes et donner à l’État un poids considérable dans la production de produits clés et de services décisifs, sans détruire pour autant le secteur privé ; diplomatiquement, le non-alignement récuse la logique de guerre froide ; enfin, la science et la technologie sont mobilisées au service de la nation. Au fil du temps, la voie économique choisie a montré ses limites. Face au parcours des « tigres asiatiques » et de la Chine, la croissance indienne restait médiocre et la pauvreté reculait peu. Pourtant, les années Nehru ont jeté les bases d’un potentiel dont on voit aujourd’hui les effets.
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