Asie - Baisses de tensions et reprise des dialogues
Si des crises se taisent, comme en Thaïlande et en Ouzbékistan, trois crises graves évoluent en Asie : la crise afghane persiste ; la tension retombe temporairement en mer de Chine du Sud ; la confrontation a été violente en mer de Chine de l’Est avant de s’estomper. L’ensemble de ces crises semble cependant vouloir ramener tout un chacun à plus de raison, ce qui conduit à un foisonnement de rencontres et de reprises de dialogues. Mais les confrontations ont été d’une telle intensité en Extrême-Orient que les méfiances se sont exacerbées envers la Chine et la Corée du Nord, ce qui amène États-Unis, Japon, Corée du Sud à resserrer leur alliance et leurs postures défensives.
La persistance de crises
La crise afghane persiste. Alors que le début du retrait des forces internationales a été confirmé lors de la réunion de l’Otan des 19 et 20 novembre, pour commencer ce mois de juillet 2011, les observateurs se demandent si le transfert final des responsabilités sécuritaires aux Afghans sera bien achevé en 2014 comme planifié. En effet, la mise en place de l’infrastructure d’accueil des forces nationales afghanes connaît un retard conséquent : sur 884 installations qui devraient être achevées avant 2013, 673 n’ont pas encore commencé à sortir de terre. L’autre question qui se pose est de savoir si les Afghans auront la capacité d’assumer eux-mêmes leur destin et si l’on ne verra pas les taliban reprendre le pouvoir sur un terrain resté fragile. Car les rapports présentés par les uns et les autres sur le succès des opérations alliées varient selon les sources. Ceux de l’Otan avancent des bilans relativement positifs. Mais ils font état de fortes difficultés rencontrées et prévoient qu’elles se durciront en 2011. À l’inverse, plusieurs ONG considèrent que le combat conduit sur place est peine perdue et que, lorsque l’Otan aura tourné le dos, les taliban auront de fortes chances de reprendre le contrôle du pays, à tel point que les Russes, craignant la contagion islamiste en Asie centrale, se demandent s’ils ne seront pas contraints de revenir sur ce terrain. De son côté, le Pakistan s’ouvre davantage à la coopération. Le dialogue s’est en effet établi entre commandements afghano-alliés et pakistanais pour conduire désormais des opérations coordonnées de chaque côté de la frontière. En revanche, l’armée pakistanaise, apparemment faute de moyens suffisants, hésite encore à se lancer dans des opérations qui ont fait leur succès au Waziristan Sud au début de 2010.
En Asie du Sud-Est, l’Indonésie, qui le 1er janvier succède au Vietnam à la présidence de l’Asean, appelle d’entrée à la recherche de solutions pour régler le problème des souverainetés en mer de Chine du Sud. Mais il y a de fortes chances pour que la question stagne encore longtemps, compte tenu des ambitions de la Chine de faire de ce bassin un espace entièrement sous son contrôle, un contrôle qu’elle entend s’arroger en multipliant voies et moyens pour y parvenir : justification de ses prétentions territoriales par une interprétation spécieuse du droit de la mer ; exercice arbitraire du droit de l’État en mer sur presque toute l’étendue ; volonté de circonscrire les dialogues à ce propos aux seuls États asiatiques concernés ; refus de tenir un dialogue multilatéral avec l’Asean au profit d’un seul dialogue bilatéral avec chacun des États impliqués, jouant ainsi des conflits d’intérêts qui peuvent par ailleurs opposer l’un à l’autre, tels que ceux du Vietnam et des Philippines sur les Spratlys par exemple ; refus de l’internationalisation de la question.
Ce refus s’exprimait déjà par l’opposition chinoise à toute présentation des affaires devant l’un ou l’autre des tribunaux internationaux compétents. Il s’exprime encore davantage aujourd’hui maintenant que les États-Unis ont fait savoir qu’il n’était pas question de modifier le statut international de ces eaux pour en faire un « lac chinois », un retour d’intérêt américain qui soulage surtout les États côtiers, en même temps que les inquiète l’attitude péremptoire des Chinois même si, en fin de période, Pékin baisse d’un ton pour reprendre les dialogues avec Washington. Il n’empêche que la Chine reste profondément contrariée par la ferme réaffirmation de l’intérêt américain pour le Sud-Est asiatique. Il est vrai que le Vietnam, alors président de l’Asean, a poussé en ce sens en s’ingéniant, avec l’approbation des autres États d’Asie du Sud-Est, à inviter à la fois les États-Unis et la Russie à participer à un certain nombre de réunions internationales jusque-là circonscrites aux pays de la région : Forum régional de l’Asean, Sommet de l’Asie orientale (East Asian Summit) dont, fait nouveau pour ce dernier, les États-Unis et la Russie deviendront membres à part entière en 2011.
À l’inverse des manifestations autoritaires, la Chine affiche depuis peu une nouvelle attitude de conciliation, du moins en apparence, en acceptant soudain d’engager des négociations avec les pays de l’Asean en vue de transformer en « Code de conduite » l’actuelle « Déclaration sur la conduite des États en mer de Chine méridionale », texte non contraignant adopté le 4 novembre 2002, sans cesse contourné dans son application. Les pays de l’Asean l’avaient toujours demandé. La Chine l’avait toujours refusé. Dans le même ordre d’idée, le 13 octobre, la Chine propose à Taiwan la mise en place d’un mécanisme de sécurité pour réduire les tensions entre les deux rives du détroit, ce que refuse Taipeh considérant que le moment n’est pas encore venu.
Enfin, les tensions qui se révèlent les plus alarmantes sont en mer de Chine de l’Est, autour de la péninsule coréenne surtout. En effet, la crise provoquée entre la Chine et le Japon par l’incident naval du 7 septembre autour des îles Senkaku (Diao Yu Tai en chinois), contestées par chacune des deux parties, s’est résorbée progressivement. Le 24 novembre, les Chinois ont même fini par lever l’embargo que, en mesure de rétorsion, ils avaient appliqué sur les exportations de terres rares en direction du Japon. En revanche, les tensions s’aggravent fortement entre Corée du Sud et Corée du Nord à la suite d’un tir de l’artillerie nord-coréenne sur une île du Sud située sur la ligne, contestée par Pyongyang, de démarcation des eaux entre les deux Corée, le 23 novembre. L’incident amène Séoul à réagir par des démonstrations de force en conduisant des exercices militaires d’envergure entre les 20 et 23 décembre.
Retour au dialogue mais resserrement des postures de défense en Asie du Nord-Est
Cette ambiance délétère conduit toutes les parties à prendre des mesures de prévention, à la fois par la reprise de multiples consultations régionales croisées et de projets de mise en place de dispositifs destinés à éviter l’éclatement, ou à défaut, l’aggravation de crises. En contrepoint à ces activités à vocation pacifique, qui ne réduisent en rien les méfiances désormais exacerbées des uns envers les autres, les alliances se resserrent, les projets de montée en puissance militaire s’affirment et une vigoureuse lutte d’influence se joue entre la Chine et les États-Unis dans toute la région extrême orientale.
La reprise des dialogues se fait en tous sens : entre Chinois et Japonais qui décident le 6 octobre d’installer un système de communication destiné à prévenir les méprises en mer ; entre la Corée du Nord et la Chine que, avec la visite du conseiller d’État Dai Bingguo, porteur d’un message de Hu Jintao à Kim Jong Il, le 9 décembre, l’on crédite de calmer son alliée, sans toutefois que l’on sache ce que les deux parties se sont dit ; le 26 décembre entre la Corée du Sud et la Chine à propos de la situation dans la péninsule coréenne, rencontre qui devrait se renouveler en février. Le 23 décembre, la Corée du Sud suggère par voie télévisée de reprendre le dialogue avec la Corée du Nord. À quoi celle-ci, de manière tout à fait inattendue, répond d’une façon qui peut s’interpréter comme positive le 31. Les rencontres initiales qui devaient se tenir entre militaires, au niveau des colonels, début février, à Panmunjon, ont échoué. À cause de cet échec, le projet qui devait s’ensuivre de rencontre entre présidents sud-coréen Lee Myung-bak et nord-coréen Kim Jong Il capote.
Entre Américains et Chinois les concertations ordinaires et extraordinaires se multiplient. Ce sont les 14 et 15 octobre 2010, à Hawaï, la reprise du dialogue institutionnalisé sur la sécurité maritime, suspendu par les Chinois à la suite des ventes d’armes américaines à Taiwan ; puis le 10 décembre 2010, la reprise des consultations de défense (Defense Consultative Talks), onzièmes du genre ; le 11 janvier, la visite de Robert Gates, secrétaire à la Défense, qui dénonce une capacité nord-coréenne de menace missiles sur les États-Unis à l’horizon 2015 ; du 19 au 22 janvier, la visite du président Hu Jintao aux États-Unis au cours de laquelle, malgré tout l’apparat qui entoure celle-ci, le président Obama avertit Hu que si la Chine ne durcit pas le ton envers la Corée du Nord pour réduire sa conduite agressive, il se verra contraint d’ordonner le redéploiement des forces américaines en Asie ; le 28 janvier, la rencontre de deux conseillers du président Obama avec Dai Bingguo, toujours sur le même sujet de la menace nord-coréenne.
En revanche, malgré l’insistance chinoise, le dialogue à Six en vue d’amener la Corée du Nord à mettre fin à son programme nucléaire militaire ne reprend toujours pas. Il ne reprendra pas disent Washington, Séoul et Tokyo, tant que Pyongyang n’honorera pas les engagements antérieurs qu’il a pris pour désarmer et ne manifestera pas une authentique volonté de négociation. L’incertitude à ce propos règne d’autant plus que Siegfried Hecker, chercheur américain qui a pu se rendre le 12 novembre en Corée du Nord, pour la sixième fois, a décelé que celle-ci dispose d’une autre installation secrète d’enrichissement de l’uranium, en plus de celle dont l’existence a été révélée à l’occasion de sa visite.
Malgré la multiplicité de toutes ces rencontres, le doute sur un retour à une authentique stabilité en Asie du Nord-Est subsiste. Cela amène l’alliance à se resserrer autour des États-Unis, ce qui se concrétise par des rencontres tripartites États-Unis, Japon, Corée du Sud à Washington le 6 décembre, avec en projet une suite à Kyoto en mars ; par des travaux communs entre militaires ; par la conduite d’un exercice aéronaval américano-japonais, du 3 au 12 décembre d’une ampleur jamais égalée depuis la fin de la guerre de Corée ; par la décision japonaise et sud-coréenne de renforcer leur coopération bilatérale de sécurité. Enfin, face à une montée en puissance militaire chinoise, le Japon décide de renforcer sa posture défensive en projetant, entre autres, de s’équiper de six sous-marins supplémentaires entre 2011 et 2015, de mettre en place une station de contrôle des activités navales chinoises à l’extrême sud des îles Ryukyu et de s’équiper de drones de surveillance à haute altitude.
Ce retour global au dialogue dans toute la région extrême-orientale peut faire espérer une stabilisation de la situation pour quelque temps, notamment parce que les Américains se montrent résolument fermes à l’égard de la Chine pour fixer les limites à ne pas dépasser. Mais les méfiances sont tellement exacerbées que l’équilibre reste encore fragile et qu’un temps de probation s’impose pour confirmer un retour global au calme. ♦