Défense en Europe - La Suède vers un nouveau Livre blanc
Les études préliminaires du futur Livre blanc (1) suédois ont commencé. Il sera approuvé en 2014 et couvrira le développement des forces armées jusqu’en 2024.
La situation actuelle de la défense suédoise
Les forces armées suédoises ont vécu une période tumultueuse pendant les dix premières années du présent siècle. Autour de l’an 2000, l’état-major des armées avait déclaré « un moratoire stratégique » justifié par l’idée que la Suède n’aurait pas de menaces à redouter au cours de la dizaine d’années à venir. On pouvait donc procéder à une grande réforme, pour passer d’une armée de masse pour la défense contre une invasion soviétique à une défense adaptée à la nouvelle situation, sans risques. Malheureusement, c’était sans compter sur le fait que les exigences stratégiques ne font pas de pause. Au lieu d’adopter une stratégie d’attente avec l’objectif « temporaire de maintenir le système politico-militaire dans son état et être ouvert à l’avenir » (Poirier), il n’y eut rien et les armées s’effondrèrent rapidement. En même temps, leur mission changea profondément, de la défense du territoire, aux opérations extérieures, dites de paix. Après des réformes douloureuses, les armées ont aujourd’hui un budget équilibré et une organisation réduite mais équilibrée qui sera en place en 2014.
La Suède a maintenant rejoint la France en supprimant le service militaire à partir de 2010. La Marine et l’Armée de l’air n’auront que des professionnels alors que l’Armée de terre sera armée par des semi-professionnels : des soldats qui ont en général une activité civile mais l’obligation contractuelle de servir — en Suède ou à l’extérieur — quand l’Armée les requiert. Les opérations dites de paix ont dominé la vie des forces armées au cours des dix dernières années. On estime que les opérations en Afghanistan et au large de Somalie (Atalanta) ainsi que le sous-marin suédois loué aux États-Unis de 2005 à 2007 ont montré un bon niveau d’entraînement et d’efficacité des forces suédoises. La guerre en Géorgie de 2008 a rappelé que la Russie est toujours disposée à engager des opérations offensives dans son « extérieur proche » pour préserver ses intérêts. Le résultat en a été un nouveau rééquilibrage des missions suédoises : au lieu d’accorder presque exclusivement la priorité aux opérations extérieures, il y a maintenant un équilibre préservé entre ces opérations et la mission de défense du pays.
Géopolitique et stratégie
La Russie est, pour des raisons évidentes, le facteur déterminant dans la vision géopolitique suédoise. L’appréciation suédoise de la Russie est marquée par l’incertitude – où ira-t-elle après 2012 – vers une démocratie ou plutôt une dictature ? Elle a incontestablement l’ambition de devenir une grande puissance régionale. Il y a plusieurs motifs d’inquiétude ; tout d’abord, la Russie, du moins sous Poutine, adhère à la vision traditionnelle selon laquelle la sécurité est en premier lieu une activité militaire. L’obligation russe de défendre ses citoyens à l’étranger en est un autre, parce qu’il y beaucoup de ressortissants russes dans les pays Baltes. Ensuite, le fait qu’en Russie, on perçoive volontiers l’Otan et les États-Unis comme une menace militaire. Les forces armées russes privilégient les forces mobiles et aéroportées dans des conflits régionaux. La vente de bâtiments de type Mistral est significative dans ce contexte. Il n’est cependant pas facile de savoir s’il lui sera possible de mener à bien sa réforme militaire. Enfin, pour Moscou, la cyberguerre menée contre l’Estonie en 2007 et la guerre militaire conduite contre la Géorgie en 2008 ont prouvé que de telles opérations étaient possibles et qu’elles n’engendraient pas de gros risques.
La mer et la région de la Baltique, ainsi que la mer et la région de Barents constituent des priorités stratégiques suédoises. En conséquence, les missions prioritaires de la Marine et de l’Armée de l’air de Suède sont situées en Europe du Nord, tandis que l’Armée de terre privilégie les missions extérieures (comme l’Afghanistan). La mer Baltique est un espace suédois vital ; pour les Suédois, elle a la même importance que la Méditerranée pour les Français. Tous les ans, entre 70 000 et 100 000 navires (2) passent au large du Sud de la Suède. 40 % du commerce russe vers l’extérieur passe devant ses côtes. Le gazoduc North-Stream entre le golfe de Finlande et l’Allemagne a déjà une grande importance stratégique. On peut enfin relever qu’il reste encore environ 60 000 mines datant des deux guerres mondiales dans les fonds de la Baltique. La Suède y joue toujours un rôle actif dans le déminage grâce au BOSB (Baltic Ordnance Safety Board).
La neutralité suédoise n’est plus qu’un souvenir. Aujourd’hui, la sécurité se construit en coopération avec d’autres, surtout avec les voisins nordiques et l’Union européenne. Cette priorité se traduit dans la déclaration dite de solidarité adoptée par le Parlement en 2009 : « La Suède ne restera pas passive si une catastrophe ou une attaque frappe un autre pays membre [de l’UE] ou un pays nordique. Nous nous attendons à ce que ces pays agissent de même si la Suède est frappée. La Suède doit avoir la possibilité d’apporter et de recevoir un soutien militaire ». En revanche, une adhésion à l’Otan ne figure toujours pas à l’ordre du jour politique. La Suède mène néanmoins une coopération étroite avec l’Alliance, surtout en ce qui concerne les opérations.
Il faut bien sûr relire cette déclaration à la lumière de l’article 42.7 du Traité de Lisbonne qui stipule que tous les États-membres ont le devoir d’aider et d’assister un pays qui a été l’objet d’une agression militaire sur son territoire. Le ministre de la Défense a souligné qu’il vaut mieux agir collectivement dans la région pour empêcher que les crises ne deviennent des conflits à nos frontières. Cette déclaration n’est cependant pas une garantie de sécurité. En effet, il n’y a pas d’accords spécifiques avec les pays voisins, il n’y a pas d’exercices, pas de planification opérationnelle conjointe.
Cette déclaration assez générale a suscité bien des débats. L’Académie Royale des Sciences de la Guerre vient de mener à bien une étude en la matière. Elle constate d’abord que la déclaration implique que la Suède ne pense pas qu’elle pourrait rester en dehors d’un conflit dans la région. L’Académie a étudié un certain nombre de scénarios impliquant une agression russe plus ou moins violente contre un ou plusieurs pays Baltes. Elle souligne cependant que ce type d’agressions n’est guère probable – il ne s’agit pas même de prévisions – mais ce sont les seules hypothèses envisageables qui permettent d’étudier la question.
Une première conclusion est qu’il faut être en mesure de défendre le pays afin d’empêcher son utilisation par un agresseur. C’est surtout vrai pour l’île Gotland, qui joue un rôle géographiquement déterminant dans la Baltique. En effet, des systèmes antiaériens russes installés sur cette île interdiraient une opération de sauvetage des pays Baltes par l’Otan. Une deuxième conclusion est que l’Otan aurait besoin, très tôt, du territoire suédois pour effectuer des survols et installer des bases aériennes et navales. Une troisième conclusion est que les forces armées suédoises, même avec l’organisation de 2014, ont des lacunes importantes en matière de capacités.
Les grands défis à relever par un nouveau Livre blanc
Le Livre blanc doit définir l’objectif de développement des forces armées d’ici à 2024.
Le premier défi est d’ordre économique. Le Cema a averti le gouvernement que sans une augmentation du budget à partir de 2014, il y aura une nouvelle crise et de nouvelles diminutions importantes des capacités. Malheureusement, il ne reste plus grand chose à supprimer. En effet, la part de la Défense dans le PIB ne cesse de diminuer. En 2003, elle était de 1,7 % et en 2009, de 1,3 % ! Jusqu’à présent, ni les exigences de la Politique de sécurité et de défense commune, ni la déclaration de solidarité n’ont permis de renverser cette tendance. Peut-être assistera-t-on à un débat politique qui changera la donne ? Ici, remarquons que la Suède, contrairement à la Grande-Bretagne par exemple, ne connaît pas de crise économique.
Le personnel constitue un autre défi important. Les armées peuvent-elles recruter assez de soldats et de marins de bonne qualité ? L’argent y suffit-il ? Serait-il possible de faire des économies en coopérant avec les autres pays nordiques (3) ou européens ? Les pilotes d’hélicoptères suivent, par exemple, leur formation en Allemagne.
Le renouvellement des systèmes d’armes pose aussi de nombreux défis. Récemment, une décision a été prise de faire construire deux nouveaux sous-marins mais il n’y a pas de programme de construction à long terme pour la Marine. L’avion JAS 39 Gripen devra être remplacé ou sérieusement modernisé autour de 2023 ; une première décision est nécessaire dès 2014. Si le gouvernement décide de faire construire un nouvel avion suédois, cela engloutira la majeure partie du budget de la Défense pour les années à venir. Et puis le matériel de l’Armée de terre s’use vite dans les montagnes d’Afghanistan.
À long terme, il est nécessaire de discuter de l’équilibre des forces armées. Peut-on garder la panoplie actuelle de capacités ou faut-il s’en tenir à certaines niches, en coopération avec d’autres pays ? C’est-à-dire que la Suède abandonnerait certaines capacités à un autre pays nordique et vice-versa ?
Pour conclure, la Suède a abandonné l’ancienne stratégie dite de neutralité en faveur d’une stratégie fondée sur la coopération, soit pour la défense de pays à proprement parler, soit pour des opérations extérieures. Les forces armées suédoises sont aujourd’hui performantes même si elles sont désormais réduites. L’incertitude, quant à l’avenir de la Russie, constitue le plus grand défi stratégique qu’elle doit relever. Une crise majeure où la Russie menacerait des pays de la région, en particulier les pays Baltes, ne peut pas être exclue. Or malgré une situation économique satisfaisante en Suède, il existe un risque de voir encore de nouvelles réductions après 2014. ♦
(1) L’article utilise les expressions usuelles françaises quand c’est possible.
(2) Des navires équipés d’un système AIS (Automatic Identification System).
(3) Voir notre article dans Revue Nordique n° 19, printemps-été 2009 : « La coopération nordique de défense, vers une alliance tacite ? ».