La question libyenne interroge la plupart des pays qui ont des intérêts en Méditerranée. Mais aussi tous ceux qui sont attentifs aux questions des minorités de confession musulmane. C’est bien sûr le cas de la fédération de Russie comme nous le montre l’auteur, expert de ce pays.
La Libye : un enjeu pour la diplomatie russe
Libya: a matter for Russian diplomacy
The Libyan question concerns not only most of the countries with interests in the Mediterranean but also all those with an interest in matters concerning Muslim minorities. This is certainly the case for the Russian Federation, as explained by the author, who is an expert on the country.
La Russie a toujours été plus tournée vers le Moyen-Orient – dans sa définition classique et un peu trop oubliée d’Orient musulman non arabe – que vers le Maghreb ou le Machrek. Elle ne découvre ce monde arabe qu’au milieu des années cinquante, en essayant de rattraper son rendez-vous manqué avec Bandoeng et la naissance du mouvement non-aligné dont Nasser est l’un des concepteurs. Cet intérêt pour le monde arabe se renforce au cours de la décennie suivante lorsque la politique étrangère soviétique se mondialise et qu’elle établit des relations tant diplomatiques, qu’idéologiques, avec des pays qualifiés « d’orientation socialiste » tels l’Algérie, le (Sud) Yémen, la Libye, la Syrie. Elle réussit même à obtenir des facilités navales – mais non des bases – dans ces deux derniers pays. Proche de l’Égypte depuis la crise de Suez, elle a aussi connu des revers d’alliance avec ce pays. Dès la fin de la décennie 80, Moscou se désengage progressivement d’un tiers-monde qui lui coûte plus qu’il ne lui rapporte tant financièrement que diplomatiquement. Cette tendance sera naturellement confirmée par la Russie post-soviétique.
Face à la vague des « révolutions arabes » de 2011, la Russie fait preuve d’une grande prudence pour plusieurs raisons. La première, est son relativement faible investissement politique dans la région, même si le pétrole algérien l’intéresse depuis quelques années et si elle poursuit avec ces pays sa politique de vente d’armes, sa principale richesse à l’exportation avec les hydrocarbures. Face à la révolution tunisienne, les premières réactions russes sont relativement indifférentes, puis plus vigilantes, lorsque la révolte touche l’Égypte et plus encore la Libye et pas seulement parce que la Russie risque la perte potentielle d’un marché d’armement non négligeable. La Libye est en effet un important client de la Russie et une rupture des contrats en cours conduirait à un manque à gagner évalué à quelque 2 milliards de dollars.
Mais ce qui paraît surtout préoccuper Moscou est bien l’extension de ces révolutions non pas tant en Russie que dans la Communauté des États indépendants (CEI). Le 22 février, à Vladikavkaz, le président Medvedev et le vice-Premier ministre Igor Setchine, dans une interview au Wall Street Journal, ont d’ailleurs fait savoir très – trop ? – clairement qu’une application du modèle égyptien serait inconcevable en Russie. Si le risque n’existe pas en Biélorussie, tout au moins selon un commentateur qui n’est pas nécessairement le plus fiable, le président Lukachenko lui-même, il n’en est pas de même pour les Républiques d’Asie centrale et même du Caucase. Les causes d’un tel risque de contagion sont multiples. Ce risque peut être dû à une similitude de situation sociale et sociétale : pouvoir autoritaire privilégiant un clan détenant la quasi-totalité des pouvoirs, jeunesse plutôt bien éduquée, corruption généralisée et absence de retombées de la rente pétrolière sur le pouvoir d’achat. Mais il est aussi fait état des risques de réaction en chaîne qui embraserait des régions de plus en plus vastes depuis « les déserts de l’Arabie aux eaux du Golfe et aux plateaux du Moyen-Orient jusqu’aux vastes étendues de l’Asie centrale ». Car si, au-delà du seul monde arabe, l’Iran était à son tour touché, c’est tout le monde musulman non arabe qui pourrait alors se sentir concerné et donc poser à la Russie elle-même un véritable défi politique et géopolitique qui s’ajouterait à l’instabilité toujours non maîtrisée dans le Nord Caucase.
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