Pensée militaire - Ruses de guerre (3e partie)
L’Histoire nous enseigne que la force ne suffit pas pour gagner les guerres. Le stratagème reste un outil déterminant qui permet de leurrer l’adversaire, de le surprendre et de le vaincre. Le philosophe Machiavel (1469-1527) a affirmé que les hommes d’action au pouvoir sont contraints d’utiliser deux moyens magistraux pour imposer leur autorité. Le premier repose sur la puissance, symbolisée par le lion. Cette domination demeure nécessaire pour conquérir ou maintenir un État. Le second, tout aussi indispensable, est beaucoup plus subtil : c’est la ruse incarnée par le renard. Le gouvernant, comme le patron d’une entreprise qui lutte pour gérer une concurrence impitoyable, doit être à la fois lion et renard : « il faut être renard pour éviter les pièges et lion pour effrayer les loups ». Ce principe universel de référence exprimé dans Le Prince (1513) s’applique également au chef de guerre. L’astuce, arme favorite du faible face au fort, s’appuie en priorité sur la déception et la désinformation. Ces deux dynamiques fallacieuses sont préparées par une pénétration des esprits du camp adverse qui peut se comparer à l’action de l’eau : « l’eau contourne les hauteurs, s’infiltre dans les creux (...) et s’adapte à n’importe quel récipient ». Cette réflexion attribuée au penseur chinois Sun Tse au IVe siècle avant notre ère convient très bien aux situations de guerre dans lesquelles les commandants de grandes et petites unités doivent « s’adapter » au contexte du moment ou au théâtre d’opération, « contourner » les guets-apens de l’ennemi et « s’infiltrer » dans les fenêtres d’opportunité pour monter une manœuvre de tromperie.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le « lion » Hitler a été berné par le « renard » Churchill. Sur cette thématique, il est incontestable que le Führer a perdu la guerre de la ruse. Les actions de duperie à grande échelle montées par la LCS (London Control Section, l’organisation secrète fondée par le Premier ministre britannique en 1941) avec le concours des Alliés ont bluffé le haut état-major des armées nazies en faisant croire à des débarquements anglo-américains dans le Pas-de-Calais (opération Fortitude Sud destinée à camoufler le véritable site prévu sur les plages de Normandie), en Norvège (opération Fortitude Nord), en Grèce, en Sardaigne et dans les Balkans. Les actions de désinformation sur ces trois dernières régions regroupées dans l’opération Zeppelin avaient pour but de cacher la zone d’intervention majeure en Méditerranée planifiée en Sicile. C’est dans le cadre de cette dernière entreprise de faux-semblants que Churchill a déployé des trésors d’imagination rocambolesques et particulièrement osés en concoctant l’un de ses plus beaux « coups tordus » : l’opération Mincemeat (viande hachée) a consisté à déposer sur une plage espagnole le cadavre d’un officier des Royal Marines porteur d’une serviette remplie de lettres secrètes révélant certaines intentions stratégiques des Alliés, dont celles concernant un débarquement dans la presqu’île grecque du Péloponnèse. Bien évidemment, tous les documents étaient des faux fabriqués par la LCS, tout comme la personnalité de l’officier britannique dont les papiers d’identité portaient un nom imaginaire. Le cadavre placé sur la plage andalouse était celui d’un citoyen anglais décédé d’une infection pulmonaire. Sa dépouille avait été extraite d’une morgue en Angleterre et transportée par sous-marin jusqu’au large de Cadix, puis jetée à l’eau au moment du renversement de la marée. Le but de la supercherie était de faire croire aux autorités espagnoles découvrant le mort qu’il s’agissait du corps d’un officier de Sa Gracieuse Majesté, passager d’un avion qui s’était écrasé en mer. Le stratagème a parfaitement fonctionné. Le pêcheur espagnol qui a découvert le vrai cadavre du faux militaire britannique a alerté la police andalouse. Le renseignement est parvenu aux hauts fonctionnaires espagnols qui ont très vite rendu compte à l’Abwehr allemand.
Pendant la guerre d’Algérie, le service action du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage) a également réussi des ruses audacieuses. La plus marquante reste l’opération du colis piégé réalisée par le 11e Choc. L’affaire commence par un classique parachutage de vivres à des unités françaises au sol. Trois passages d’un avion Dakota sont prévus. Les sacs de riz et de rations alimentaires arrivent bien à l’intérieur de la zone de largage (DZ). Mais un incident survient à l’ultime rotation : le parachute portant le dernier colis s’accroche malencontreusement à la roulette de queue de l’appareil. Conformément aux consignes enseignées dans toutes les écoles des troupes aéroportées, le largueur est alors contraint de couper avec un couteau approprié les sangles qui retiennent le parachute coincé. Le colis est ainsi libéré, mais l’opération provoque un certain retard dans le largage de la marchandise. Ce délai a un inconvénient majeur : le colis libéré tombe à l’extérieur de la DZ et a donc de fortes chances d’être récupéré par l’ennemi. C’est précisément ce qu’il advient lors de ce troisième passage raté du Dakota. À première vue, l’incident peut paraître grave, car le paquet parachuté contient un poste radio. À première vue seulement, car l’anicroche n’est finalement qu’une judicieuse mise en scène maintes fois répétée en métropole au centre de Cercottes (Loiret). Le « précieux » colis tombe donc dans un endroit bien repéré et tenu par des maquisards de l’ALN qui s’empressent de saisir le matériel tombé du ciel. Comme il s’agit d’un poste apparemment très perfectionné, les djounouds portent le moyen de transmission au chef de secteur des Aurès qui se hâte de le faire fonctionner. Mais l’engin émetteur-récepteur est piégé. Dès qu’il tourne le bouton du poste, le haut responsable rebelle est tué par une violente explosion ! Le traquenard du « colis piégé » a atteint son objectif.
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