Taipei et Pékin sont désormais liés par une politique de développement pacifique. Cette convergence qui satisfait tous les Chinois pourrait n’être que conjoncturelle et tactique ; elle masquerait en fait des divergences de fonds et des postures de défiance militaire d’un côté, de défiance économique de l’autre, laissant de l’espace de manoeuvre à l’arbitre américain.
Chine-Taiwan : une détente fragile
China-Taiwan: a fragile detente
Taipei and Beijing are now linked via a policy of peaceful development. This convergence, acceptable to all Chinese, must surely be informed by the current economic situation and is clearly tactical in nature. It conceals basic differences and defiant military posturing on one hand, and economic defiance on the other, which leaves the US, as arbiter, some room for manoeuvre.
Depuis la victoire de Ma Ying-jeou aux élections présidentielles taïwanaises de 2008, l’attention internationale s’est détournée du détroit de Taiwan. Le retour au pouvoir du Kuomintang (KMT) a mis fin à huit années tumultueuses de présidence indépendantiste et ouvert l’ère nouvelle du « développement pacifique » (heping fazhan) des relations entre les deux rives, comme l’appellent Taipei et Pékin. Mais la détente est fragile, car les conditions de signature d’un accord politique ne sont pas réunies. Le « développement pacifique » peut-il pour autant être interrompu ?
Pékin-Taipei : convergence tactique, divergence stratégique
Le « développement pacifique » repose sur deux dynamiques, l’institutionnalisation des échanges bilatéraux et leur intensification. Tous les six mois, Taipei et Pékin négocient de nouveaux accords afin d’encadrer une relation économique et humaine qui s’est développée depuis la fin des années 80 dans un quasi-vide juridique mais de manière exponentielle. Elle comprend au bas mot 150 milliards de dollars d’investissements taïwanais sur le continent chinois (pour un PIB taïwanais de 600 milliards), un commerce bilatéral qui a atteint 120 milliards de dollars en 2010 et plus d’un million de Taïwanais installés en Chine, sur une population insulaire de 23 millions de personnes. Depuis 2008, l’assouplissement des restrictions taïwanaises — et le pari du tourisme — ont permis une véritable explosion des visites sur l’île en provenance du continent : 1,6 million en 2010, pour 4,7 millions sur toute la période 1988-2010 ! En outre, les autorités des deux rives explorent de nouveaux domaines de coopération : la lutte contre la criminalité, la propriété intellectuelle, les échanges financiers, l’investissement chinois à Taiwan, ou encore la sécurité alimentaire. Surtout, après trois années de négociations, deux accords s’imposent pour leur portée économique et symbolique : l’institution de liaisons aériennes et maritimes directes et l’accord-cadre de coopération économique signé en juin 2010, un accord de libre-échange limité à certaines catégories de produits et qui avantage Taiwan.
Or, Taipei et Pékin poursuivent cette stratégie pour des raisons très différentes. Le KMT et le Parti communiste chinois (PCC) ont certes un intérêt commun à écarter du pouvoir le Parti démocrate progressiste (Democratic Progressive Party - DPP), principal parti d’opposition d’obédience indépendantiste. Mais le KMT reste un parti souverainiste qui défend la survie des institutions de la République de Chine. Le principal slogan de la Commission aux Affaires continentales, une structure de rang ministériel qui gère les relations avec la Chine, le souligne clairement : « L’accroissement des échanges entre les deux rives n’affaiblit pas la souveraineté de la République de Chine, au contraire, il la renforce ». À Taipei, le « développement pacifique » tient d’une adaptation pragmatique à l’asymétrie de puissance croissante avec la Chine. Il s’agit de gérer la paix, maximiser les bénéfices économiques et repousser la négociation politique.
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