L’auteur revient sur la notion de « grande Asie orientale », ce qu’elle représente et ce qu’elle peut englober. Après avoir rappelé que le Japon a tenté ces dix dernières années de la mettre en place, il insiste particulièrement sur le rôle que la Chine souhaite jouer dans cet ensemble disparate.
La grande Asie orientale et la Chine (janvier 1946)
L’expression « grande Asie orientale » ne surprend plus personne. Chacun l’a entendue ou lue, ne fût-ce que dans les journaux et en connaît plus ou moins la signification. Nous voudrions seulement la préciser et en indiquer le fondement moral. Les idées qui émeuvent un peuple et le font agir à peu près tout entier dans le même sens ou penser de la même manière, à un moment donné, ne sortent pas plus tout armées de son cerveau que le génie n’éclate chez les individus. Les premières, comme le second, sont de préparation patiente et de venue lente. Une nation est longtemps grosse d’une conception d’ordre politique, économique, sociale ou religieuse avant que quelques-uns de ses membres « l’étreignent assez vigoureusement » eût dit Bergson, pour la formuler d’une façon précise et accessible à tous. Les idées ne sont pas plus de génération spontanée que les êtres organisés et quiconque se penche sur elles finit toujours par en découvrir la source. Elles sont, toutes, la conséquence d’idées ou de sentiments précédents ou, simplement, d’événements plus ou moins anciens qui, à la longue, fixant l’attention de tous, permettent de poser des principes, de donner des directives, d’aiguiller tout un peuple vers un but déterminé.
Lorsque, par leur nature, il leur arrive d’affecter une forme de croyance religieuse et, finalement, de se confondre avec elle, elles sont tenues pour d’indiscutables vérités et prennent la force d’une mystique. Le communisme, par exemple, tendance aux origines lointaines, une fois devenue doctrine, persuade ses adeptes que la réalisation de l’évangile marxiste fera surgir le paradis sur Terre. Pourquoi ? Parce que, possédant la caractéristique d’une croyance mystique quelconque, qui est de n’être influençable, sinon dans sa forme, du moins dans son fond, ni par l’expérience, ni par le raisonnement, il crée une foi. Il en va de même, lorsque, sans se confondre, comme dans le cas précédent, avec une mystique, les idées s’en accompagnent et, tout en conservant leur nature propre, politique par exemple, s’appuient sur une mystique et en tire leur force. Le sujet que nous traitons ici servira d’exemple.
De nos jours, s’affirment, dans certains milieux européens, américains, asiatiques, ces idées motrices, dont l’idée de la grande Asie orientale est un échantillon, d’autant plus curieux et intéressant à voir naître et à étudier qu’il était, pour la plupart d’entre nous, inattendu. Peu de personnes, en effet, dans nos pays d’Occident s’intéressent assez aux affaires d’Extrême-Orient, pour en avoir suivi l’évolution autrement qu’en passant. Peu nombreuses sont celles qui possèdent des intérêts en Extrême-Orient et qui, pour cette raison, doivent se tenir au courant d’un minimum de faits touchant cette région du globe. Quoi qu’il en soit, comme nous le verrons, l’idée de « grande Asie orientale », tout en restant politique, s’accompagne d’une autre, de nature très différente, et qui lui communique une puissance de persuasion et d’expansion qu’elle n’aurait pas à elle seule. Cette dernière idée est celle de « l’Asie aux Asiatiques ».
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