L’auteur nous livre une réflexion générale sur les notions de guerre, de stratégie et de puissance et sur les rapports complexes qu’ils entretiennent au début du XXIe siècle. À la lumière des engagements récents de la France, il les réinterprète en montrant combien la combinatoire actuelle requiert le sens du bon voisinage, la volonté d’équilibre et de compromis pour préserver ce qu’il ne nomme pas mais qui est au coeur de l’identité, la liberté de choisir son propre destin.
Préambule - Prix d'honneur de la RDN 2011 - Guerre, stratégie, puissance
War, strategy and power
The author offers a dissertation on the general theme of war, strategy and power, and their complex interrelationship in the early twenty-first century. In the light of recent French operations, he re-examines those themes, showing how the current combination calls for a sense of neighbourly relations and a determination to achieve balance and accept compromise in order to preserve what he does not name, but which is at the heart of national identity: the freedom to choose one’s own path.
Guerre
La guerre est-elle morte ou en voie de résurrection ? Absente ou présente ? On ne peut que répondre à chacune de ces questions : « Les deux, mon capitaine ! ». Jamais la formule de Clausewitz, « La guerre est un caméléon qui change de nature à chaque engagement », n’a été aussi vraie.
Il y a une guerre qui est certainement morte, c’est celle qui commence par une déclaration de guerre d’un État contre l’autre et finit par un traité de paix. Une autre est difficilement pensable, bien que l’affirmer écartée pour toujours contribuerait à la rendre moins complètement improbable, c’est la Troisième Guerre mondiale, dont la crainte a dominé la guerre froide et, encore plus, une guerre entre États occidentaux. On n’imagine ni l’une ni l’autre déclenchée de sang-froid par un « Pearl Harbor » atomique.
Mais, la Chine et les États-Unis sont engagés dans une compétition militaire déclarée, à tous les niveaux. Tout porte à espérer qu’elle ne dégénérera pas en guerre ouverte, à propos de Taiwan ou d’un autre enjeu, et que la dissuasion et les intérêts économiques joueront leur rôle pacificateur mais nul ne peut le garantir.
Entre d’autres puissances, la Chine encore, l’Inde, le Pakistan ou les deux Corées, voire le Japon, la guerre possible commande les dispositifs stratégiques. Là encore il y a fort à parier que, si hostilité il y a, elles se borneront à des attaques plus ou moins indirectes et non revendiquées (comme les attentats de Bombay) ou à des épisodes limités comme la guerre du Kargyll. Mais nul ne peut garantir l’absence de représailles et d’escalade, surtout, par exemple, en cas (parfaitement envisageable) de troubles mettant en cause l’unité du Pakistan et son armement nucléaire. Il va sans dire également que les conflits centrés sur Israël et sur l’Iran, ont plus de chances de prendre la forme d’attentats et de sabotages que de guerre proprement dite, mais, une fois de plus, nul ne peut le garantir. Dans tous ces conflits, la France et l’Europe ne sont pas aux premières loges, même si elles sont impliquées par leurs alliances ou par leur souci de la sécurité internationale.
Personne ne menace directement la France de lui faire la guerre. En revanche, qu’on les appelle « guerres » ou pas, toute sorte de conflits violents ou porteurs de violence à terme qui brouillent les distinctions entre guerre et paix, entre le public et le privé, entre l’économique et le politique, peuvent franchir les frontières ou engager l’action de ses forces militaires.
Ils vont du terrorisme, de la piraterie maritime et des mafias transnationales en passant par les révolutions et les guerres civiles qui la sollicitent, en mettant en cause ses ressortissants ou ses intérêts ou tout simplement ses valeurs et ses solidarités, et en entraînant ses propres actions en réponse : intervention humanitaire, action de stabilisation, maintien ou imposition de la paix, « responsabilité de protéger », etc. Il faut y ajouter le dernier né, la guerre cybernétique où, comme tous les États, elle se trouve aux prises à la fois avec des États, des groupes, des individus dont la caractéristique est d’être non déclarés et difficilement identifiables.
Dans tous les cas, il peut paraître également légitime d’employer le mot « guerre » ou d’insister sur les éléments qui les distinguent de la guerre déclarée entre États. Mais l’important est de reconnaître qu’aucune classification ne rendra compte de leur nature, qui est précisément de dépasser les bornes, de se glisser dans les interstices, de présenter un visage contradictoire (guerres sans morts, morts sans guerre, voire guerres sans guerriers, comme dans le cas des drones, et guerriers sans guerre qui ne font pas partie d’une force organisée et étatique).
Il est facile d’opposer la guerre dans les règles et la pure anarchie mais il nous faut néanmoins, ne serait-ce que pour la logique même de la prévention, du combat et de la dissuasion, trouver des codes, des règles, des éléments de réciprocité et de prévisibilité dans ce qui est par nature mouvant et asymétrique. Essentielle au point de vue juridique, la distinction du civil et du militaire est battue en brèche par le terrorisme et la notion d’« ennemi combattant » utilisée par l’Administration Bush n’est pas d’un grand secours. Inversement, adopter à l’égard des États déclarés « voyous » la pratique de l’attaque préventive ou de la « défense anticipée », normale pour les opérations antiterroristes, n’est pas satisfaisant non plus. La guerre étant bannie, sauf en légitime défense, et en attendant une décision du Conseil de sécurité, elle se réfugie dans ce que le jargon américain appelait : « Les opérations autres que la guerre ». Non seulement la stratégie et la tactique y sont différentes mais les justifications par les résolutions de l’ONU, si on les considère comme seules légitimes, entraînent des problèmes d’efficacité (à cause de la restriction des moyens) et de crédibilité. La guerre, aujourd’hui, pour les démocraties, s’avance nécessairement masquée même lorsqu’elle s’oppose à un adversaire qui, au contraire, l’affiche et s’en glorifie.
Cela vaut à plus forte raison pour la guerre cybernétique qui, par essence, ne s’avoue pas lorsqu’elle agit d’État à État et qui se distingue mal de la lutte permanente entre « hackers », qui agissent pour le plaisir, dissidents, saboteurs, censeurs et espions.
La question à laquelle les stratèges doivent donner une réponse toujours provisoire est évidemment d’abord de ne pas opposer à un type de guerre une réponse appropriée à un autre type. Mais, sur le long terme, la question se pose de choisir quelle priorité accorder aux menaces, menace suprême mais extrêmement improbable ou menaces quotidiennes diffuses et ambiguës. Elle est aussi de trouver un juste équilibre entre l’adaptation à l’adversaire, le souci de rester soi-même et de ne pas finir par lui ressembler. Sur tous ces problèmes, la stratégie de guerre n’est pas séparable de la stratégie de paix et les stratégies militaire, économique et politique ne peuvent être pensées qu’ensemble.
Stratégie
Plus qu’à d’autres époques, la stratégie de la France, comme celle de ses alliés, doit faire face à des dilemmes dont la solution ne peut être que partiellement satisfaisante. La diversification des menaces et la multiplication des engagements souscrits contrastent avec l’impératif des économies en temps de crise. La coordination, la coopération, l’intégration sont souhaitables à des degrés divers selon les domaines mais il arrive que leurs effets soient paralysants ou accroissent les coûts au lieu de les diminuer, surtout lorsque l’engagement des partenaires est trop inégal. La légitimité et l’efficacité convergent à long terme mais peuvent s’opposer violemment à court terme.
Ne possédant de compétence spécialisée ni dans le domaine militaire ni dans celui de l’économie, je me bornerai à tirer quelques leçons personnelles de cas où le politique et le stratégique se rencontrent, celui de l’intervention et celui des organisations multilatérales dont la France est un membre actif, l’ONU, l’Otan et l’Union européenne.
Pour les deux interventions où la France est engagée actuellement, j’aurais tendance à répondre : Afghanistan « non, mais » et Libye : « oui, mais »…
En Afghanistan, où ce sont les États-Unis qui déterminent la stratégie d’ensemble, leur expérience, après dix ans, n’est pas encourageante. Ils oscillent depuis le Vietnam entre Chercher et détruire, et Gagner les esprits et les coeurs. Leur stratégie préférée était, sous Donald Rumsfeld, une attaque foudroyante à base de supériorité technologique fondée sur l’arme aérienne et appuyée au sol par une présence légère qui devait leur permettre un retrait rapide. Elle s’est transformée en occupation prolongée, visant à changer l’orientation politique et les moeurs du pays occupé, voire à bâtir un État et une nation. Le général Petraeus a obtenu des succès provisoires par l’augmentation des troupes et par des conceptions empruntées aux théories de la guerre anti-insurrectionnelle française en Algérie (sans toutefois disposer du même nombre proportionnel d’hommes et de la même familiarité avec le terrain). Le président Obama cherche à se dégager mais augmente considérablement les assassinats de leaders terroristes à l’aide de drones et de forces spéciales, y compris sur le territoire du Pakistan. Mais au sein de ce pays allié, l’anti-américanisme et l’islamisme fondamentaliste montent vertigineusement et sont nourris par ces attaques et leurs « dégâts collatéraux ». Et en dépit des communiqués officiels, la corruption et l’inefficacité des autorités ne donnent pas de véritables signes de diminution en Afghanistan même. Les soldats français meurent en essayant de protéger et d’éduquer des populations que la France, comme ses alliés, semble condamnée à abandonner un jour assez prochain. Mais naturellement il faut préparer la sortie de cette aventure malheureuse et surtout ne pas perdre de vue que le vrai problème stratégique est celui du Pakistan, détenteur de l’arme atomique et ennemi potentiel de l’Inde. La France et l’Europe doivent peser de tout leur poids, notamment politique et économique, pour une solution régionale comprenant l’Afghanistan et le Pakistan mais aussi l’Inde et l’Iran.
L’expérience libyenne est à bien des égards plus prometteuse. Elle a témoigné d’un esprit d’initiative européen, et avant tout français, et d’une modestie réaliste américaine qu’on ne peut que saluer. Européens et Américains ont unanimement renoncé à la présence (en tout cas officielle) de troupes au sol et à une occupation permettant de prendre en main l’administration du pays. Ils ont peut-être jeté les bases dans l’urgence, et chacun pour ses propres raisons, de ce rééquilibrage de l’Alliance atlantique si souhaitable et si peu réalisé jusqu’ici.
En même temps, les « mais » ne manquaient pas. Il semble bien que, comme pour le Kosovo, ce qui devait durer quelques jours ait duré quelques mois et n’ait été obtenu – fort heureusement – qu’en ne se tenant pas à la lettre de la résolution onusienne mais en aidant activement les rebelles par les fournitures d’armes, l’entraînement et la coordination stratégiques et par les bombardements visant clairement le renversement de Kadhafi. La légitimation ambiguë par l’ONU a été obtenue grâce à l’abstention de la Chine et de la Russie qui ont critiqué tout ce qui allait au-delà de la zone de non survol et dont des officiels déclarent qu’il s’agit d’une tentative impérialiste de reprise en main de l’Afrique et d’extension de l’Otan vers le Sud.
Naturellement aussi, le problème classique du « lendemain » se posera en cas de guerre civile prolongée, de persécution (déjà engagée) d’immigrés d’Afrique noire accusés d’être des mercenaires de Kadhafi et méritant autant d’être protégés que les vainqueurs, hier persécutés. De surcroît, une présence politique et économique franco-britannique triomphale dans la Libye de demain, sans parler d’une force de stabilisation otanienne ou même onusienne peuvent être souhaitables mais risquent d’endurcir tous les pays émergents dans leur méfiance actuelle.
Autant il est certain que l’impossibilité d’intervenir partout et de protéger tous les opprimés ne dispense ou n’interdit pas de le faire là où on le peut, autant la justification juridique et universaliste au nom d’une communauté internationale mythique est tout de même gênante quand des cas au moins aussi criants – comme la Syrie – sont bloqués par le veto des uns et la fatigue ou les intérêts des autres.
À tout le moins, faut-il en tirer la leçon que l’ONU ne résout pas tout et que, d’autre part, une véritable communauté internationale reste à construire patiemment dans un monde où l’Occident ne peut plus prétendre à la représenter à lui seul et où ses nouveaux partenaires-concurrents n’ont pas la même conception de l’ordre international.
Enfin, et peut-être surtout, les leçons à tirer pour la stratégie française et européenne concernent l’Otan et l’UE.
L’Otan a finalement fonctionné en Libye comme organisation technique. Mais comme les « caveat » de la plupart des Européens (en dehors de la France et du Royaume-Uni) en Afghanistan, l’inégalité de participation (une minorité de membres de l’Otan et de l’Union européenne), l’abstention de l’Allemagne et de la Pologne parmi les membres de cette dernière, et de la Turquie parmi ceux de la première, et surtout l’action contradictoire et velléitaire de certains ont exaspéré plusieurs responsables qui l’ont exprimé publiquement. Le soutien américain, indispensable au début et apparemment à la fin, a fait défaut de manière inattendue à certains moments importants de l’opération et cela a révélé les difficultés techniques rencontrées par les seules puissances européennes actives militairement à assurer l’ensemble des tâches devant un adversaire malgré tout relativement modeste.
Ce qui est sûr, c’est que la réflexion du « nouveau concept » de l’Otan n’a pas atteint ses objectifs et qu’au contraire sa direction – celle de la mondialisation – n’est ni souhaitable ni réaliste. Le principe est excellent selon lequel l’Alliance doit manifester sa solidarité au moins symbolique partout où l’un de ses membres est concerné ; mais aussi que ce sont ceux dont les intérêts et la proximité géographique, historique et culturelle sont les plus forts par rapport au conflit en question qui aient l’initiative de la stratégie à adopter et que les États-Unis ne soient pas forcément aux commandes partout. Mais pour l’appliquer, il faut toute une éducation et des efforts techniques, diplomatiques et financiers qui restent à faire pour transformer l’essai.
Quant à l’Europe, l’effort commun, intellectuel et pratique, en matière de défense, est encore plus difficile à organiser. L’affaire libyenne montre combien on est loin du compte mais confirme l’espoir que suscite l’accord franco-britannique. À la France qui se trouve dans une position centrale par ses deux dialogues – sur le plan stratégique avec le Royaume-Uni et sur le plan économique avec l’Allemagne – d’orienter autant que possible ce double dialogue dans un sens qui soit bénéfique à l’organisation de l’Europe tout entière. Sinon l’Union européenne et l’Otan deviendront l’une et l’autre, faute de solidarité, des boîtes à outils à peine utilisables.
La puissance
Je suis entièrement d’accord avec la manière dont l’amiral Dufourcq, rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale, a posé la question de la puissance dans la dernière phrase de sa lettre de juin 2011. Il s’agit bien pour la France de « trouver un équilibre qui combine la défense de ses intérêts, la réduction de ses vulnérabilités, l’exercice de ses responsabilités et la promotion de ses valeurs ». Mais, très exceptionnellement, je le suis beaucoup moins avec ses prémisses. Je ne crois pas du tout à ses trois modèles. Je ne sais qui exerce aujourd’hui la puissance financière, mais je ne crois pas que ce soit la Grande-Bretagne. Je pense que la puissance de la France, comme celle des autres pays européens, a forcément une dimension globale à l’ère de la globalisation mais je ne crois pas qu’elle puisse incarner plus que d’autres une définition ou une vocation de puissance globale. Elle a certes une vocation universelle qui lui vient des idées de la Révolution mais militairement ni elle ni l’Europe ne sont des puissances globales au sens où le sont aujourd’hui encore les États-Unis et où, sans doute, la Chine aspire à la devenir. Économiquement, c’est l’Allemagne qui a une portée globale, qu’elle risque d’ailleurs, à tort, de privilégier par rapport à sa vocation européenne. La Grande-Bretagne a constitutivement une dimension globale par sa langue, sa tradition de priorité au « grand large », ses liens avec les pays lointains du Commonwealth. La récente défection allemande lors de la guerre de la Libye ne saurait constituer un modèle : son évolution au cours des dernières décennies allait lentement dans le sens opposé et on peut penser qu’elle trouvera un équilibre entre ses deux traditions contradictoires, militariste et pacifiste.
Au niveau des nations, et encore plus à celui de l’Europe, la puissance est nécessairement multidimensionnelle. Tout le problème dans chaque cas est celui des rapports entre ses différentes dimensions : s’additionnent-elles ? Ont-elles un effet multiplicateur ? Ou, au contraire, peuvent-elles se nuire entre elles, voire entrer en contradiction ? Si on les combine, quel est leur taux d’échange ou, pour prendre une autre métaphore, quelle est la déperdition d’énergie quand on passe d’une forme de puissance à une autre ? Machiavel pensait qu’il valait mieux avoir de bons soldats que de grandes richesses et encore qu’il valait mieux être craint qu’aimé. Est-ce toujours aussi vrai, à l’âge des révolutions techniques de la destruction et de la communication ? Il est certain, en tout cas, « qu’on peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus » mais qu’inversement, si le pouvoir de détruire n’est pas celui de construire et celui de contraindre n’est pas celui de persuader, la conception de la France ou de l’Europe comme puissance purement normative ne comptant que sur le pouvoir d’attraction de ses valeurs et de conviction de ses analyses aurait peu de chances de faire prévaloir ses points de vue. L’expérience du Sommet de Copenhague sur l’environnement est éloquente à cet égard.
La France à l’intérieur de l’Europe et l’Europe à l’intérieur du monde d’aujourd’hui me paraissent avoir une vocation qui s’exprime avant tout par le terme d’équilibre : celle de contribuer à l’équilibre à la fois régional et global en ne se laissant rien imposer et en ne prétendant rien imposer aux autres mais en jouant un rôle actif de médiation et d’arbitrage. Elles me paraissent être, ou devoir être, immunisées contre l’hubris de la domination mondiale et aussi bien contre la tentation de certains petits États à se reconnaître d’autres choix – et encore ! – que celui de leur maître ou de leur protecteur. Montesquieu et Rousseau distinguaient la force offensive et la force défensive des États et se prononçaient pour des confédérations ou fédérations d’États de taille moyenne dont chacun conserverait son identité mais dont la pluralité et la solidarité les rendraient capables de se défendre ensemble contre tout adversaire sans être tentés d’envahir ou de dominer.
Sur le plan militaire, dans la phase historique actuelle, je pense qu’effectivement notre stratégie ne saurait être que défensive à condition d’inclure dans cette défense la sécurité de sa périphérie et de ne pas exclure des initiatives offensives sur le plan de la tactique. En dernière analyse, la survie et l’identité de la France dépendent avant tout d’elle-même mais sa puissance et son influence ne peuvent se passer de l’union ou du moins de la coopération organisée avec ceux dont elle partage le plus largement les intérêts et les valeurs.
Classiquement, on distingue la puissance comme relation bilatérale et comme influence sur un système et sur ses règles du jeu. Qu’il s’agisse des négociations sur les armements, notamment nucléaires, de l’orientation des organisations multilatérales comme l’ONU et l’Otan, de la lutte contre les dangers transnationaux ou de la régulation du commerce mondial, la France et ses partenaires de l’Union européenne auront d’autant plus de chances de faire entendre leurs voix respectives que celles-ci se seront au préalable accordées sur une position commune. Une revalorisation de la Commission dont c’était la vocation que de proposer aux États-membres des formules tenant compte de l’intérêt de tous, serait plus qu’utile. Qu’il s’agisse de l’énergie ou de la crise financière, les États européens seront en position d’autant plus forte devant leurs interlocuteurs et partenaires extérieurs qu’ils se seront au préalable assurés de ne pas être manipulés grâce à leurs divisions.
Une autre définition de la puissance, qui rejoint la précédente, s’inspire des exigences de tout organisme vivant. Pour progresser celui-ci doit à la fois gérer ses rapports avec son propre passé et son propre avenir et ses rapports avec son environnement. Il doit être fidèle à son passé mais sans en être prisonnier, ouvert sur l’avenir mais en conservant sa cohérence et son identité. De même, il doit s’ouvrir à son environnement pour s’en nourrir mais ne pas se confondre avec lui et, au contraire, s’efforcer de le transformer tout en s’y adaptant. Qu’il s’agisse de la circulation des personnes, des biens ou de l’argent, ni le repli et la fermeture ni l’ouverture totale et inconditionnelle ne permettent de vivre et de progresser. Mais pour obtenir cet équilibre, il faut pouvoir peser sur les règles adoptées et pour cela « faire le poids ». Aucun pays ne peut, dans la plupart des cas, y arriver tout seul. Mais la France en Europe comme l’Europe dans le monde est suffisamment importante dans des domaines divers pour pouvoir concilier ses intérêts propres et un rôle privilégié d’avocat de l’intérêt commun.
La condition de la puissance, c’est à la fois de savoir écouter pour être entendu, de négocier des compromis mais aussi de savoir et pouvoir s’opposer aux pressions, en résistant frontalement ou en manoeuvrant. C’est d’avancer, malgré les tempêtes actuelles, dans la recherche d’un système fondé sur l’équilibre et la réciprocité. ♦