Après avoir énoncé les valeurs de l’Alliance atlantique telles qu’elles résultent de la charte de l’ONU et montré que les valeurs occidentales s’en écartaient peu sauf par la posture résolument défensive, l’auteur suggère que les valeurs positives de doute critique et de plasticité fondaient la particularité d’un Occident à la flexibilité préservée.
Les valeurs de l’Alliance atlantique sont-elles les valeurs occidentales ?
Are the values of the Atlantic Alliance Western ones?
The author recounts the values of the Atlantic Alliance resulting from the UN Charter and shows that western values have not greatly changed over the years, apart from the adoption of a resolutely defensive posture. He suggests that the positive values of free criticism and malleability are at the root of the West’s continuing flexibility.
Le 10 juin dernier, au lendemain de la dernière réunion des ministres de la Défense de l’Alliance atlantique, le secrétaire d’État américain à la Défense, Robert Gates, critiquait les Européens ; mettant à part les quelques-uns qui acceptent leurs responsabilités, il dénonçait ceux qui ne veulent pas assurer les risques et les coûts (1). Il y voyait une menace suffisamment profonde sur la solidité de l’Alliance pour la relever publiquement. Ainsi, des valeurs « monétaires » (les budgets d’investissement) reflétaient, par leur dispersion, la perte des valeurs éthiques qui fondaient l’Alliance. Derrière le quantitatif, il fallait voir l’affaiblissement qualitatif ; et celui-ci ne se mesure pas d’abord à la qualité des équipements (ce qu’on appelle l’interopérabilité, qui est de l’ordre de la technique) mais à la baisse de cet intérêt partagé qui fondait l’Alliance. Il faut donc revenir aux valeurs de l’Alliance : quelles sont-elles ? Possèdent-elles une particularité militaire ? En quoi se distinguent-elles de valeurs occidentales communément admises ? Et dans quel sens évoluent les unes et les autres ?
Les valeurs de l’Alliance
L’Alliance et la charte des Nations unies
Les valeurs de l’Alliance doivent être trouvées dans le Traité du 4 avril 1949. Le préambule cite, de prime abord, la charte des Nations unies : « Les États parties au présent Traité, réaffirmant leur foi dans les buts et les principes de la charte des Nations unies et leur désir de vivre en paix avec tous les peuples et tous les gouvernements ». Cette filiation morale n’est pas le fait du hasard : on se souvient du désir initial de Roosevelt de constituer une alliance des vainqueurs à l’issue de la Seconde Guerre mondiale : il s’agissait, selon lui, de s’opposer à la renaissance de tous les fascismes et c’était l’ONU qui devait constituer l’instrument de ce dessein. Pourtant, les années 1947 et 1948 avaient signifié l’échec de cette ambition. Le plan Marshall (qui allait donner naissance à l’OECE, depuis devenue l’OCDE) rassemblait le monde « libre » : cette liberté était conçue à la fois comme politique (le pluralisme démocratique) et économique (l’économie de marché fondée sur la liberté d’entreprendre et de commercer). Outre la charte de l’ONU, le préambule évoque la volonté de « vivre en paix ». Cet objectif justifie la nécessité de se défendre, face à une menace. L’Alliance (car en 1949, son organisation exécutive, l’Otan stricto sensu, n’est pas encore créée) applique le vieux principe « si vis pacem, para bellum » et considère que l’union des volontés permet un accroissement des forces. On note au passage la différence entre cette alliance-là et les alliances traditionnelles : celles-ci étaient variables, en fonction des buts de guerre de chacun. Les renversements d’alliance étaient toujours possibles, jusque très récemment : l’Italie n’avait-elle pas quitté la Triplice au milieu de la Première Guerre mondiale ? Dans le cas présent, au contraire, il ne s’agit pas seulement d’un rapport de force militaire : l’Alliance est fondée sur des valeurs qui la déterminent, ce qui est une novation dans la théorie des alliances.
De quelles valeurs s’agit-il ?
La fin du préambule du traité nous informe à cet effet : les alliés sont « déterminés à sauvegarder la liberté de leurs peuples, leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit. Soucieux de favoriser dans la région de l’Atlantique Nord le bien-être et la stabilité. Résolus à unir leurs efforts pour leur défense collective et pour la préservation de la paix et de la sécurité ». Il y a un certain nombre de mots-clefs qu’on peut classer selon plusieurs catégories. Politiques : liberté, démocratie, état de droit ; économiques : bien-être, stabilité ; culturelles : héritage de civilisation ; stratégiques : défense collective, paix, sécurité. Les différents articles du traité reflètent ces objectifs, puisque l’on relève des moyens pacifiques de résolution des différends, la justice(art. 1), la collaboration économique (art. 2), la capacité individuelle et collective de résistance à une attaque armée (art. 3), le droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte (art. 5).
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