Pensée stratégique - Contre la taftologie stratégique : retour aux classiques
Notre époque raffole des nouveautés. Vivant dans l’instant, elle a beaucoup de peine à se situer dans la durée. La pensée stratégique ne fait pas exception à cette triste règle. Il est frappant de constater que les références des livres ou des articles sont presque toujours récentes, datant généralement de la dernière décennie. Hormis la référence révérencielle à Clausewitz, que la plupart du temps on n’a pas lu, les travaux anciens sont purement et simplement effacés, presque comme s’ils n’avaient jamais existé. Notre époque est censée avoir, sinon tout découvert, au moins tout relu et réinterprété, de sorte qu’il n’est plus besoin de se reporter à des travaux antérieurs désormais dépassés. En outre, le contexte stratégique s’est tellement transformé que les références anciennes n’apparaissent plus comme pertinentes.
Il n’en va autrement que lorsqu’on se trouve devant un vide conceptuel qui oblige à chercher dans l’urgence une planche de salut à laquelle on peut se raccrocher. C’est ce qui s’est passé pour Trinquier et Galula, exhumés précipitamment par les Américains confrontés à une situation sans issue en Irak et qui avaient l’avantage d’être immédiatement disponibles en anglais. Il n’est d’ailleurs pas certain que les solutions proposées il y a un demi-siècle par ces deux auteurs soient encore utilisables quand les données de la guerre irrégulière ont été si profondément modifiées. La bataille d’Alger, en 1957, se déroule dans une ville de 500 000 habitants, dont 15 % de pieds-noirs acquis à la cause française. La bataille de Bagdad, après 2003, se déroule dans une agglomération de 4 à 5 millions d’habitants, parmi lesquels aucun « équivalent pied-noir ».
Cet exemple ne doit pas conduire à la conclusion que nous sommes en permanence confrontés à des situations radicalement nouvelles. C’est pourtant ce que font les analystes depuis la fin de la guerre froide en essayant de définir et de comprendre les guerres actuelles. Leur imagination est sans limites. La doctrine américaine a d’abord parlé d’« opérations autres que la guerre », pour retenir ensuite l’appellation de conflits de basse intensité, promus au rang de conflits de moyenne intensité lorsqu’il a fallu engager des moyens plus importants. Mais on se situait encore dans une logique d’affrontements interétatiques, alors que la grande nouveauté des années 90 a été le développement spectaculaire des mouvements non étatiques de guérillas ou terroristes. Il a fallu trouver des appellations nouvelles.
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