Afrique - La république de Djibouti : situation et perspectives
Après 22 ans de pouvoir sans partage, le président Hassan Gouled Aptidon, père de l’indépendance de Djibouti proclamée à l’issue du référendum du 8 mai 1977, et surnommé le « vieux sage » de la corne de l’Afrique, s’est retiré à l’âge de 83 ans, à l’occasion de la dernière élection présidentielle d’avril 1999. À la tête de son pays, après une carrière politique en France sous la IVe République, il s’est efforcé tant bien que mal de créer un parti politique multiethnique pour consolider l’unité interne et s’est battu, dans un environnement régional difficile, pour éviter d’être écrasé ou absorbé par l’un de ses deux grands voisins, l’Éthiopie ou la Somalie. Candidat du parti unique, il a été réélu président en 1981 et 1987.
Fin 1991, il est confronté à une rébellion des Afars au nord, menée par le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud), qui le conduit, en 1992, à faire adopter une nouvelle Constitution et à autoriser un multipartisme limité à quatre partis. Une partie du Frud signe en 1994 des accords de paix et s’allie au parti au pouvoir (le Rassemblement populaire pour le progrès, RPP) pour remporter avec lui les élections législatives de 1997 et participer au gouvernement.
À cette époque, sur fond de lutte pour la succession d’Hassan Gouled, la bataille entre les clans et les barons du régime fait rage, et, en mars 1996, six dirigeants, dont trois ministres et l’ancien chef de cabinet du président, sont brutalement mis à l’écart. Djibouti se retrouve dans une situation difficile caractérisée par une forte crise économique résultant de la mauvaise gestion et de la guerre civile qui s’est achevée en 1994. Les relations avec les bailleurs de fonds sont délicates même si, en 1996, un accord avec le FMI permet le lancement d’un programme d’ajustement structurel, prorogé en 1997 et 1998.
C’est dans cette situation qu’apparaît l’homme fort du régime, Ismaël Omar Guelleh, chef de cabinet du président, appartenant au même sous-clan issa des Mamassans que lui, responsable des questions de sécurité, et artisan des accords de paix de décembre 1994 entre le gouvernement et une partie de la rébellion armée afar du Frud. Dauphin d’Hassan Gouled et candidat du parti au pouvoir, il est élu président le 9 avril 1999 avec 74,09 % des voix, à 52 ans, contre 25,78 % des voix pour le candidat de l’opposition unie pour la circonstance, Moussa Ahmed Idriss, ancien leader indépendantiste de 66 ans, soutenu par les principaux chefs opposés à Hassan Gouled, tels Aden Robleh Awalleh, Mohamed Moussa Tourtour et même Ahmed Dini, chef de l’aile radicale du Frud qui, de son exil à Paris, maintient une ligne d’opposition armée au régime. Pendant la campagne, l’opposition a mis en avant la revendication pour l’instauration d’un véritable multipartisme ainsi que la libération des opposants afars emprisonnés et d’autres adversaires politiques, déclenchant une violente polémique sur les conditions de détention inacceptables d’une quarantaine de prisonniers politiques détenus dans la prison de Gabode.
On avait, depuis déjà plusieurs années, craint le risque d’une déstabilisation de ce pays affaibli économiquement et politiquement résultant de la disparition soudaine d’un Hassan Gouled âgé et en mauvaise santé. L’élection d’Ismaël Omar Guelleh apparaît incontestablement comme un facteur de stabilisation.
Petit pays de 23 000 kilomètres carrés, à 90 % désertique, le territoire de Djibouti est peuplé de 650 000 habitants, dont environ 60 % d’Issas et autres Somalis, et près de 40 % d’Afars. De 1966 à 1976, le pays avait été dirigé par un Afar, Ali Aref Bourhan, mais depuis l’indépendance, les Issas majoritaires ont gouverné avec Hassan Gouled. De nombreux observateurs soulignent aujourd’hui que la traditionnelle opposition entre Afars et Issas évolue significativement. Ceux-ci paraissent divisés politiquement et socialement et une partie d’entre eux a rallié la coalition d’opposition. Les Afars, de leur côté, deuxième ethnie en importance du pays, sont eux aussi divisés, puisqu’une partie modérée d’entre eux s’est alliée avec le pouvoir, alors que les radicaux d’Ahmed Dini sont restés dans l’opposition.
« C’est pendant la guerre froide que Djibouti était en danger d’annexion. L’URSS était forte et nous étions entourés d’une Éthiopie et d’une Somalie marxistes. Aujourd’hui, l’URSS n’existe plus, la Somalie non plus, et l’Éthiopie a changé », a expliqué le nouveau président djiboutien après son élection. Ce contexte régional, élément essentiel de la stabilité et de la viabilité de Djibouti (314 kilomètres de façade maritime face au détroit de Bab el-Mandeb à la sortie de la mer Rouge, 113 kilomètres de frontière avec l’Érythrée, 337 avec l’Éthiopie et 58 avec la Somalie), a connu depuis 1998 une nouvelle évolution capitale, avec l’éclatement du conflit entre l’Érythrée et l’Éthiopie. Début 1998, le président Hassan Gouled, en se rendant en visite en Érythrée, s’efforçait d’améliorer ses rapports avec son voisin, alors qu’en même temps il consolidait de bonnes relations avec le Somaliland en cherchant à sécuriser leur frontière commune. À la suite du déclenchement, en mai 1998, du conflit entre Asmara et Addis-Abeba, Hassan Gouled, président en exercice de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad), organisation sous-régionale de la corne de l’Afrique à la recherche d’une politique de prévention et de règlement des conflits avec une tentative de médiation en Somalie et au Soudan, a voulu lancer une mission de bons offices entre l’Éthiopie et l’Érythrée. L’hostilité de celle-ci a fait échouer cette initiative et a conduit à une rupture des relations diplomatiques entre Djibouti et Asmara en novembre 1998.
Privée de ses débouchés maritimes en Érythrée, l’Éthiopie s’est en tout cas repliée sur le port de Djibouti par où passe désormais l’essentiel de son trafic, ce qui a engendré des retombées économiques très importantes pour Djibouti et un rapprochement de plus en plus étroit entre les deux pays. Des projets de développement communs, ambitieux, sont en cours d’élaboration et le chemin de fer Djibouti–Addis-Abeda est en cours de valorisation avec l’aide de l’Union européenne et de nouveaux investisseurs privés saoudiens, également impliqués dans un projet de pipeline pour le transport de carburants.
Djibouti, membre de la Ligue arabe et de l’Organisation de la conférence islamique, a d’une manière générale de bonnes relations avec les pays arabes, mais surtout compte depuis longtemps obtenir une aide importante de la part des Émirats pétroliers du Golfe.
Depuis le début des années 90, à l’occasion des réflexions sur l’évolution de la politique de défense de la France, un débat a partagé les autorités militaires et politiques françaises sur le maintien d’une forte présence militaire à Djibouti. Première base française en Afrique depuis l’indépendance du pays, celui-ci a été certes directement concerné par la restructuration en profondeur décidée en 1997 et 1998, mais restera en définitive le plus gros point d’appui des forces françaises sur le continent africain, avec une perspective plus large que les autres compte tenu de sa situation à l’entrée de l’océan Indien.
De 3 200 hommes en 1998, le dispositif français sera ramené à 2 500 en 2002. La moitié de ces effectifs appartiendra à des unités tournantes, dont le séjour sur place ne durera que quatre mois. Les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ) maintiendront leurs capacités de combat qui reposent actuellement sur la présence permanente de 10 Mirage F1, 9 hélicoptères, 1 Transall et un bâtiment de la marine nationale. « La restructuration et la création des compagnies tournantes permettront de faire profiter à plus d’unités de l’école du désert », a déclaré à l’AFP, en avril 1999, le général Louis Champiot, commandant les FFDJ.
Très inquiets par l’éventualité d’un retrait français, notamment en raison de l’importance économique pour le pays de cette présence militaire, les Djiboutiens avaient revendiqué l’obtention de compensations financières estimées par eux à plus de 600 millions de francs. Après des négociations tendues, Paris a octroyé une aide supplémentaire d’environ 60 millions qui s’ajoute à l’aide bilatérale déjà notable. L’assistance technique française (396 coopérants dont 231 enseignants en 1988) atteint cette année le nombre d’environ 180 coopérants (dont 130 enseignants), alors que l’assistance technique militaire se chiffre à 32 coopérants (en majorité armée de terre et gendarmerie), que l’aide militaire en matériels atteint 8 millions de francs en 1999. Djibouti, rappelons-le, est signataire avec la France d’un accord de défense datant de juin 1977 (à titre provisoire, mais toujours en vigueur) et de plusieurs accords d’assistance militaire technique. ♦