Défense dans le monde - L'organisation des Balkans
La poursuite de la crise autour de la Serbie est due en partie à un défaut d’organisation de la péninsule Balkanique. L’effort de stabilisation de cette partie de l’Europe, la « question d’Orient » comme on l’appelait jadis, redevient d’actualité.
L’exercice sera délicat car les difficultés sont anciennes. À grands traits : après la guerre de 1912 qui a permis l’émancipation du joug ottoman et le partage de la Macédoine, cette région a connu une autre guerre en 1913 opposant la Bulgarie à la Serbie, à la Grèce et à la Roumanie. La guerre de 1914 a ensuite vu ces pays se répartir entre les deux coalitions et lutter à nouveau les uns contre les autres. Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’en 1990, une partie a intégré l’Otan (Grèce, Turquie), une autre a vécu sous le régime de la souveraineté limitée, tandis qu’une troisième (Albanie, Yougoslavie) se rangea dans le non-alignement. La redistribution des cartes depuis 1990 s’effectue, jusqu’à maintenant, par rétraction de l’aire d’influence serbe.
Depuis le début de la décennie, plusieurs projets d’organisation régionale ont vu le jour.
Les affaires de sécurité
En 1994, l’Otan a commencé à développer un projet en s’appuyant sur le Partenariat pour la paix. L’idée générale était d’élaborer un code de comportement politico-militaire et militaire et de s’assurer qu’il était suivi par les pays membres. Récompenses ou remontrances ponctuent l’itinéraire. L’Albanie et la Macédoine y bénéficient d’une attention particulière en raison de leur situation politique.
Les accords de Dayton, signés en 1995, prévoient diverses mesures pour renforcer la stabilité dans la région. Il y a d’abord eu des réductions d’armement en Bosnie-Herzégovine sous une impulsion franco-allemande. Puis la mise en œuvre de l’« annexe 1 B » sur le contrôle des armements et sur des mesures de confiance a débuté en mars 1999. Cette négociation incluait la Serbie. Elle a naturellement été interrompue. On se rappellera à ce propos que quatre États de la région : l’Albanie, l’Autriche, la Macédoine, la Slovénie n’ont pas de plafond à leurs armements.
La Bulgarie, la Roumanie et la Slovénie comptent parmi les bénéficiaires du « plan d’action pour l’adhésion à l’Otan » approuvé à Washington en avril dernier. Leur entrée dans l’Alliance est donc désormais une possibilité. Il reste que la Bosnie, la Croatie et la Serbie sont exclues de ce processus. Il faudra probablement attendre leur normalisation politique pour envisager un rapprochement des structures euro-atlantiques.
Dans la mouvance de l’action otanienne, les pays Balkaniques, soutenus par les États-Unis, l’Italie et la Turquie, ont ébauché un programme cohérent politico-militaire rythmé par des rencontres annuelles des ministres de la Défense. Ils ont également formé le projet de mettre sur pied une force de maintien de la paix du Sud-Est de l’Europe.
Les essais des États-Unis
À l’appui de leur politique balkanique, les États-Unis disposent d’un organisme particulier : la SECI (South Eastern Cooperative Initiative). Cette institution, active depuis 1996, est destinée à faciliter les relations économiques entre les pays de la région. Elle n’a pourtant pas entièrement convaincu. D’une part, les États-Unis n’y ont pas consacré des moyens proportionnés à leur objectif politique. D’autre part, la SECI essaie de développer ses activités dans les mêmes domaines que l’Union européenne et il semble qu’elle n’ait pas bénéficié de l’avantage dans cette concurrence qu’elle a elle-même créée.
Devant ce constat en demi-teinte, les États-Unis ont profité de la visite du président de la République à Washington le 19 février pour annoncer une autre initiative pour le Sud-Est européen (SEE Initiative). Confié à l’Otan, ce programme aurait permis de couvrir les domaines de coopération qui ne sont pas pris en charge par d’autres institutions. Il devrait notamment, mais pas exclusivement, s’occuper de questions de sécurité. La guerre au Kosovo et les réticences des Européens à s’engager dans cette voie, trop étroite quant à ses centres d’intérêt, ont limité le succès du projet.
L’Union européenne
Les efforts les plus réguliers en faveur des Balkans sont à mettre au crédit de l’Union européenne. En les intégrant progressivement dans les circuits économiques communautaires, Bruxelles pense arriver à la stabilisation politique. En raison de la crise récurrente, il n’est toutefois pas possible de lancer tout de suite l’élargissement en direction de tous les pays de l’Europe du Sud-Est. L’Union doit donc différencier son attitude en fonction de la situation.
Ainsi, la Slovénie, stable et prospère, fera partie de la première vague d’élargissement de l’Union. Elle est en train d’intégrer l’acquis communautaire. Son processus d’adhésion est en cours.
La deuxième vague devrait concerner les pays qui disposent déjà d’un accord d’association avec Bruxelles : la Bulgarie, la Moldavie et la Roumanie. L’Albanie et la Macédoine pourraient également en bénéficier. Pour l’heure, le cœur de la région (Bosnie, Croatie, Serbie) reste, là aussi, à l’écart de ce mouvement d’expansion, mais les déclarations régulières des dirigeants occidentaux depuis quelques années montrent qu’il a vocation à entrer à terme dans l’UE.
Depuis mars 1995, l’Union européenne pilote également le processus de Royaumont. Ce mécanisme est issu du Pacte de stabilité pour l’Europe lancé par la France en 1993. Il vise à l’établissement d’une paix durable et au bon voisinage dans le Sud-Est européen. Il offre à ses membres un forum pour débattre de leurs difficultés communes (minorités, frontières, relations avec la société civile). Les membres sont encouragés à intégrer progressivement les normes politiques et économiques de l’Europe communautaire. La présence d’organisations non gouvernementales et des membres de l’Union donne à ce forum un dynamisme certain.
Du fait de ces différentes activités, les Européens ont accumulé une réelle expérience. Ils commencent ainsi à avoir une vue assez précise des objectifs possibles pour les Balkans. Ils veulent en tout cas que l’Union européenne soit maître d’œuvre de cette entreprise d’assainissement politique et économique. C’est l’objet du Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est proposé fin mars par l’Allemagne et endossé ensuite par l’Union européenne.
Il s’agirait d’organiser un plan à long terme autour de quatre idées principales : comme tous les problèmes de la région ne seront pas résolus en bloc, l’étude doit être sélective et progressive ; tous les pays Balkaniques, y compris la Serbie, doivent siéger autour de la table ; ils ont aussi tous vocation à adhérer à l’Union européenne et doivent pour cela adapter leur économie, intégrer des normes de comportement politique et d’organisation sociale ; chaque organisation européenne (OSCE-Otan) peut intervenir mais dans les domaines où sa valeur ajoutée est la plus forte. En tout cas, c’est l’UE qui sera « le générateur d’impulsion et le moteur de transformation » de ce processus.
Ce plan montre, d’une part une volonté politique cohérente et globale des Européens, et d’autre part la prédominance progressive de l’Union sur d’autres institutions. Il restera à mesurer son efficacité politique, mais l’accueil qui lui a été réservé montre que les idées émises vont dans le bon sens.
11 mai 1999