Gendarmerie - La Gendarmerie : une police de proximité
Redécouverte à la faveur de la diffusion, ces dernières années, du paradigme anglo-saxon de la police communautaire, l’idée de police de proximité est une composante fondamentale et, par certains côtés, fondatrice de l’action de la gendarmerie, principalement depuis la sédentarisation de la maréchaussée opérée par l’édit du 9 mars 1720, qui devait réaliser, comme a pu le montrer l’historien Clive Emsley, une véritable colonisation de l’espace contribuant au processus d’unification nationale. Par-delà sa portée culturelle et symbolique, cette proximité repose sur deux principaux éléments, l’un structurel : la brigade territoriale, l’autre fonctionnel : la surveillance générale. En effet, si la gendarmerie peut être objectivement considérée comme une police de proximité, cette situation s’explique par son omniprésence sur le terrain grâce à la densité du réseau de brigades territoriales et à la permanence de la surveillance générale qu’elles assurent.
Unité incarnant à elle seule la gendarmerie dans son histoire, sa singularité et sa globalité, la brigade en est la cellule organique de première ligne et la plus petite formation. Unité de base implantée dans l’ensemble du territoire — le maillage — à la manière d’une véritable toile d’araignée, elle est la structure polyvalente par excellence de la gendarmerie, dans la mesure où elle a vocation à exercer, quasi en autarcie, la totalité de ses missions. Il est à remarquer d’ailleurs que l’apparition des diverses formations spécialisées de gendarmerie départementale n’a pas pour autant dessaisi la brigade de cette compétence multiple qui fait d’elle, en quelque sorte, le « médecin généraliste » de la sécurité publique et la « cheville ouvrière » de la gendarmerie. La brigade est une unité à la fois réduite et autonome. Composée en moyenne de six à dix sous-officiers, cette « gendarmerie en miniature » dispose de moyens qui lui sont propres (caserne, personnels, matériels, véhicules…) et exerce son service dans une circonscription déterminée (en principe, un canton), la commune où elle est installée lui donnant son appellation.
Malgré cette uniformité des missions, de l’organisation et des équipements, le tissu des brigades de gendarmerie se caractérise par une certaine diversité qui s’explique, avec les transformations profondes de la société française (notamment la désertification des campagnes et la périurbanisation), par un mouvement de différenciation croissante de leurs lieux d’implantation et d’intervention. Ainsi, dans une première appréciation peut-on distinguer quatre principaux types de brigades territoriales. Implantées généralement dans les bourgs et communes chefs-lieux de canton, les brigades rurales sont situées dans des zones de plaine ou de montagne, non loin cependant des principales agglomérations. Forme la plus classique et courante de brigade de gendarmerie, la brigade rurale est à la fois la condition et l’instrument de la présence de l’institution dans tout le territoire. Situées dans des zones rurales confrontées au problème de désertification, les brigades rurales excentrées évoluent dans des circonscriptions généralement étendues et parsemées de quelques villages et hameaux, se trouvant éloignées des principales agglomérations et des autres formations de gendarmerie. Elles ont des effectifs réduits (six gendarmes) et représentent, de par leur isolement géographique et la nature routinière de leur action, une forme quelque peu surannée du service de la gendarmerie. Implantées dans les grandes agglomérations dans lesquelles la police est étatisée, les brigades urbaines sont principalement chargées d’effectuer des tâches d’ordre administratif et judiciaire, comme la gestion des réservistes, les remises de pièces, les enquêtes sur saisie incidente, les vérifications d’identité, les poursuites d’enquêtes et l’assistance aux officiers de police judiciaire. Disposant d’effectifs plus importants, les brigades périurbaines sont, quant à elles, de deux sortes : d’une part, celles implantées dans des villes moyennes dont la police est étatisée, mais dont la circonscription s’étend également à d’autres communes non étatisées ; d’autre part, celles chargées de la sécurité publique dans des communes non étatisées, relativement importantes et situées aux abords immédiats des grandes agglomérations. Le service dans ces brigades se caractérise par une activité particulièrement intense, notamment dans le domaine de la lutte contre la petite et moyenne délinquance (incivilités, délinquance des mineurs, violences urbaines, trafics de drogue…), un contact relativement limité avec une population très mobile et souvent fortement hétérogène, une liaison étroite avec les unités spécialisées, enfin, par un problème permanent d’adaptation des principes d’action et moyens de la gendarmerie à une réalité qui était jusque-là davantage le lot quotidien d’un commissariat de police que d’une brigade de gendarmerie (1).
La surveillance générale est l’autre composante de cette action policière de proximité. Ce type de mission, qui privilégie le contact avec la population et la connaissance approfondie des lieux et des personnes, c’est-à-dire une présence sécurisante dans le système social, constitue une réalité bien concrète de l’action préventive du gendarme. Par son implantation territoriale dispersée, la gendarmerie est physiquement proche des populations rurales et, dans une moindre mesure, périurbaines, qu’elle s’efforce de rencontrer et de connaître, de manière à susciter la collaboration de ce que le langage gendarmique appelle la « population saine ».
La surveillance générale se caractérise, selon les termes du décret organique du 20 mai 1903, par sa continuité dans le temps (de jour comme de nuit) et dans l’espace (dans les zones habitées ou non). Facilitée de nos jours par l’usage de moyens motorisés, la surveillance générale comprend trois volets qui se conjuguent dans l’exécution du service : l’observation attentive des lieux et des personnes pour déceler tout indice d’infraction, commise ou en cours, et pour dissuader leurs auteurs potentiels ; du passage aux abords des locaux commerciaux au stationnement effectué pour percer à jour la raison d’allers et venues jugés suspects, en passant par la patrouille à pied sur les chemins de campagne difficiles d’accès et peu fréquentés ; le contrôle répressif du respect des lois et règlements : du procès-verbal établi à l’encontre de l’automobiliste pour non-respect du stop à l’avertissement adressé au patron du café du village pour dépassement de l’heure légale de fermeture de son établissement ; le contact avec la population : des conversations privées sur la pluie et le beau temps à la recherche de renseignements sur un cambriolage de résidence secondaire.
Effectués par au moins deux gendarmes, les services de surveillance générale ont une durée moyenne oscillant, selon les circonstances et les unités, entre deux et quatre heures. Très concrètement, il s’agit pour les gendarmes, en suivant les instructions données par le commandant de brigade au moyen des « ordres spéciaux » figurant sur le « bulletin de service », d’effectuer une patrouille sur tout ou partie de la circonscription, en roulant à une allure réduite, de manière à la fois à voir et à être vus. Il appartient alors aux gendarmes d’observer avec attention les lieux et les personnes qui s’y trouvent afin de déceler tout ce qui peut paraître anormal ou suspect. Chaque fait sortant de l’ordinaire doit entraîner une recherche d’informations et d’explications : un volet ouvert dans une résidence secondaire, un véhicule paraissant abandonné, une lumière restée allumée dans un gymnase, un chien errant, un jardin laissé en friche…
Les gendarmes sont ainsi particulièrement attentifs à tout ce qui traverse leur territoire, à tout ce qui introduit une modification même superficielle de leur circonscription. Pour mener à bien cette tâche, ils disposent dans leur véhicule, outre des moyens de transmission classiques, d’un terminal permettant de consulter le réseau Saphir, qu’il s’agisse d’adresser et de recevoir des messages, mais aussi de vérifier qu’un véhicule n’est pas volé (FVV), qu’une personne n’est pas recherchée (FPR) ou de connaître l’identité et l’adresse du propriétaire d’un véhicule (FCG). La surveillance générale ne se limite pas, beaucoup s’en faut, à ce travail minutieux d’observation, tant il est vrai qu’elle permet, entre autres, d’effectuer les interventions urgentes et de contrôler la circulation routière. De même, elle peut également donner lieu à une ou plusieurs remises de pièces et de documents officiels. Véritable vitrine de la gendarmerie, au même titre d’ailleurs que la brigade, à cette différence près qu’elle est mobile et itinérante, la surveillance générale revêt, symboliquement, une importance considérable, dans la mesure où elle donne à voir l’institution et ses représentants, rendant proche et accessible le gendarme et contribuant à l’insérer dans le quotidien des populations au milieu desquelles il est amené à vivre et à évoluer.
Ainsi la surveillance générale est-elle l’élément dynamique de l’enracinement social de la gendarmerie, la brigade remplissant, quant à elle, cette fonction, mais de manière plus statique. La surveillance générale est, en effet, le cadre privilégié de la relation du gendarme à la population : elle permet à ce dernier de prendre contact, de dialoguer, de connaître les habitants qu’il a pour mission de protéger, d’assister et de renseigner. En se plaçant du côté de la population, ce type de service contribue à humaniser l’action du gendarme, à le faire apparaître non seulement comme un représentant de l’ordre, susceptible, le cas échéant, de dresser un procès-verbal ou de passer les menottes, mais aussi comme une personne intéressée par ses concitoyens, par leurs problèmes quotidiens, par toute une foule de préoccupations et d’activités. ♦
(1) Voir « La gendarmerie et le défi de la périurbanisation » ; Défense Nationale, chronique gendarmerie, mai 1997.