Afrique - Guinée-Bissau : la France apporte une aide logistique à l'Ecomog
Avec le déploiement, à partir du début du mois de février 1999, des premières unités de la force d’intervention de l’Ecomog mise en place par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), la Guinée-Bissau voit enfin s’achever la première phase de la crise la plus grave qu’elle a connue depuis son indépendance en septembre 1974. Dirigé par João Bernardo Vieira depuis 1980, après le renversement de Luis Cabral, ce petit pays continental et insulaire de 36 100 kilomètres carrés, peuplé d’environ 1,1 million d’habitants, ancienne colonie portugaise entourée par le Sénégal et la Guinée, a connu malgré sa pauvreté une relative stabilité jusqu’à l’an dernier. Le régime du président Vieira, connu pour sa pratique autoritaire du pouvoir, s’était malgré tout engagé dans un processus de démocratisation à partir de 1991, avec l’adoption du multipartisme et l’organisation en 1994 d’élections pluralistes que son parti, le Paigc (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert) avait alors largement gagnées. Cette première étape d’une ouverture politique qui ne donnait pas encore satisfaction à tous avait doté en tout cas le régime au pouvoir d’une légitimité formelle qui s’est révélée par la suite d’une grande utilité pour lui. Dans sa politique extérieure, le président Vieira avait donné deux axes prioritaires : l’amélioration de ses relations avec le Sénégal, et le renforcement de celles avec la France.
Avec le voisin sénégalais, les relations sont depuis toujours minées par le dossier casamançais, la rébellion du Sud sénégalais bénéficiant d’appuis et de bases arrière en Guinée-Bissau. Toutefois, le président Vieira s’est efforcé d’apparaître vis-à-vis de Dakar comme le promoteur d’une politique de bonne volonté, s’engageant à fournir toutes les garanties demandées avec insistance par le Sénégal.
Avec la France les relations ont toujours été proches et régulières, jusqu’à la consécration en mai 1997 de cette proximité par l’entrée de la Guinée-Bissau dans la zone franc.
La crise récente a commencé début juin 1998. Peu avant la publication à Bissau d’un rapport parlementaire très attendu sur le trafic d’armes vers la Casamance, le président Vieira décide de suspendre de ses fonctions le général Ansumane Mané, chef d’état-major, l’accusant avec d’autres officiers d’avoir une part de responsabilité dans ce trafic, mise en cause que l’on tend à considérer comme fondée du côté sénégalais. Ce général, très populaire dans l’armée, considère cette accusation comme scandaleuse, refuse la sanction, prend la tête d’une mutinerie déclenchée le 7 juin qui va rallier une grande partie des forces armées du pays et prendre le contrôle de presque tout le territoire à l’exception de la capitale. Jusque-là, l’affaire n’est perçue que comme une mutinerie. Le reste de l’Afrique, y compris l’OUA, ainsi que la France, considèrent qu’il s’agit d’une opposition illégale à un régime régulièrement élu auquel ils apportent leur soutien. Le Sénégal estime que Vieira, son allié dans la controverse casamançaise, est menacé par ceux qui soutiennent le mouvement de rébellion indépendantiste des forces démocratiques de Casamance (Mfdc).
Le président Vieira, lui, prend vite la mesure de l’ampleur de la menace contre son régime peu populaire en raison de ses pratiques autoritaires, et affaibli par les dissensions croissantes au sein du Paigc. La mutinerie bénéficie rapidement du mécontentement populaire et regonfle les espoirs des opposants dans le pays et à l’étranger, notamment au Portugal. Aussi, avant que la mutinerie déclenchée par le général Ansumane Mané, qui affirme n’avoir aucune ambition personnelle et ne vouloir que laver son honneur, ne se transforme en mouvement populaire et politique anéantissant sa légitimité de président élu, João Bernardo Vieira prend une décision qui, de fait, va avoir pour conséquence de durcir les oppositions à l’intérieur du pays. En vertu de l’accord de défense signé avec Dakar en 1975, il demande au Sénégal d’intervenir militairement pour réduire la mutinerie.
Le Sénégal, toujours dans la logique casamançaise, et sans bien mesurer le risque militaire et celui, politique, de la régionalisation de la crise, va envoyer au total 2 500 soldats, accompagnés par quelque 500 Guinéens, au secours de Vieira. Les premières troupes sont en Guinée-Bissau dès le 10 juin 1998. Elles sauveront certes jusqu’à nouvel ordre le régime en place, mais ne réduiront pas la mutinerie et paieront un prix élevé à cette intervention qui aura pour principal effet de donner à Ansumane Mané et à ses troupes la légitimité nouvelle de la résistance à l’occupant étranger. Le président Vieira, acculé, s’accrochera au pouvoir, mais perdra dans cette affaire ce qui lui reste de crédibilité. Très vite en tout cas, il est apparu à tous que la « solution » sénégalaise n’était ni satisfaisante, ni durable. Après une phase trouble en juillet et en août 1998, au cours de laquelle les médiations partent dans tous les sens (parlementaires bissao-guinéens, le président gambien, l’archevêque de Bissau, le Portugal, l’Angola et la Communauté des pays de langue portugaise, puis ceux de la Cédéao), il apparaît que l’initiative de cette dernière, reprise en main par le Nigeria, s’impose. Elle aboutit à la signature d’un accord entre João Bernardo Vieira et Ansumane Mané à Abuja le 1er novembre, cautionné par la Cédéao, l’OUA et l’Onu. Cet accord comporte deux volets. Le premier concerne l’aspect régional : cessez-le-feu, retrait des troupes étrangères, déploiement d’une force régionale de maintien de la paix de l’Ecomog, garanties de sécurité sur la frontière avec le Sénégal. Le second concerne la situation intérieure : gouvernement d’unité nationale et élections générales et présidentielle libres, pluralistes et internationalement contrôlées, « au plus tard fin mars 1999 ».
La mise en œuvre de l’accord s’est révélée, dans ses deux volets, plus difficile et plus longue que ce qui était espéré, et l’ensemble du processus depuis novembre a pris un notable retard, ce qui devait conduire à repousser l’échéance prévue pour les élections, à l’égard desquelles le président Vieira se trouve, selon tous les observateurs, fort mal placé. Les 200 premiers militaires sénégalais ont regagné leur pays le 14 janvier 1999 ; 900 autres ont commencé à repartir le 18 février, le reste de la force expéditionnaire sénégalaise et guinéenne devant être retiré d’ici mars 1999, après la mise en place définitive de la force de l’Ecomog, dont l’effectif prévu est de 1 450 hommes provenant du Togo, du Niger, du Bénin et de Gambie. Les premiers déploiements de cette force, commandée par le colonel togolais Gnakoude Berena ont eu lieu le 11 février, après plus de huit mois de guerre civile ; et non sans difficultés jusqu’à la dernière heure, puisque le premier débarquement de 300 hommes de troupe nigériens et béninois de l’Ecomog a dû être annulé une fois le 1er février en raison de la reprise des combats à l’arme lourde entre les forces de la junte d’Ansumane Mané et les troupes fidèles au président Vieira appuyées par les unités sénégalaises et guinéennes.
Ces troupes de l’Ecomog étaient transportées par un navire militaire français, le Siroco, venant de Dakar. Les unités du Niger, du Bénin, du Togo et de Gambie (les 600 premiers hommes de la force) ont été entièrement équipés avec du matériel français prépositionné depuis l’an dernier à Dakar conformément au programme Recamp (renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) et déjà en partie utilisé lors des manœuvres Guidimakha en février 1998 ou par la Minurca, force des Nations unies en Centrafrique.
Mise en cause à plusieurs reprises depuis le début de la crise bissao-guinéenne, accusée d’interventions clandestines en faveur du président Vieira et du Sénégal, notamment par des sources officieuses au Portugal, pays qui a cherché en vain à jouer un rôle significatif dans cette crise, la France a eu l’occasion de tester ces derniers mois sa nouvelle vision des questions de sécurité en Afrique. Dans cette période de transition incertaine entre une présence et un interventionnisme dans son « pré carré africain », et une prise en charge bien maîtrisée par les Africains eux-mêmes de ce type de crise délicate où les aspects intérieurs sont étroitement mêlés aux éléments régionaux et internationaux, Paris, durant cette première phase, a indiscutablement su accompagner les efforts africains par un soutien logistique notable, mais sans intervention directe (à l’exception de mesures préventives pour la sécurité des ressortissants français), et surtout afficher dans l’ensemble de la région des positions politiques et diplomatiques plutôt équilibrées pour une crise qui concernait quelques-uns de ses plus proches alliés.
22 février 1999