Forced to choose: France to the Atlantic Alliance and Nato. Then and Now
Nous avons déjà eu l’occasion de présenter dans cette revue un ouvrage très remarquable du même auteur, lequel pendant trente-sept ans a été membre de la CIA, et qui, après avoir obtenu son doctorat à l’université d’Harvard, se consacre désormais à des recherches sur l’histoire contemporaine, en particulier celle des relations franco-américaines qu’il a eu l’occasion d’observer de très près comme chef de station à Paris, et pour s’être ensuite très complètement documenté d’autant qu’il parle parfaitement notre langue (1). Son précédent livre, rappelons-le, traitait de ces relations dans leur philosophie ; son titre, à savoir Oldest Allies, Guarded Friends, laissait d’ailleurs prévoir la thèse qu’il y défendait avec brio, à savoir que les deux plus vieilles républiques de l’époque moderne restaient amies, mais toujours sur leur garde, dans la mesure où elles s’estimaient, toutes deux, porteuses d’un message universel, et par suite étaient rivales, lorsqu’il s’agissait de le promouvoir.
Dans le présent ouvrage, il ne va plus s’agir de philosophie politique, mais d’histoire « événementielle », à savoir essentiellement celle de la « politique de défense et de sécurité », comme on dirait maintenant, menée par la France immédiatement après la dernière guerre mondiale, c’est-à-dire en fait jusqu’en 1954, année où elle a renoncé à la mise en place de la Communauté européenne de défense (CED). Il a beaucoup été écrit sur l’histoire de cet échec, et nous-même nous y sommes essayé pour avoir eu le privilège de l’observer de très près (2). L’originalité de l’apport du livre de Charles Cogan est que ce dernier a eu accès à des documents officiels américains maintenant déclassifiés, tant ceux réunis dans les archives nationales que dans les bibliothèques fondées par les présidents des États-Unis de l’époque, sans parler des mémoires publiés par les grands acteurs américains d’alors.
À partir de ces souvenirs et aussi des mémoires de certains des acteurs français, tels Auriol, Bidault, Billotte, Lalloy, Monnet, Schuman, notre auteur distingue dans le comportement français quatre époques : celle de l’espoir mis dans l’Alliance russe, celle de l’essai d’une relance de l’Entente cordiale, celle du virage vers l’Europe avec le traité de Bruxelles, et enfin celle du tournant vers les États-Unis avec le traité de l’Atlantique Nord. Il perçoit comme sentiments dominants français : la peur d’un renouveau allemand et la jalousie des « relations spéciales » conservées par la Grande-Bretagne avec les États-Unis ; du côté britannique : le refus de tout engagement ferme en Europe continentale ; enfin du côté américain, la perception de de Gaulle comme un-democratic. Si, à part la dernière remarque, tout cela comporte bien un fond de vérité, il convient cependant de le restituer dans le contexte social, économique et politique de l’époque, c’est-à-dire celui d’une France encore humiliée, ruinée, pour un tiers communisante, et déjà enlisée dans ses guerres de décolonisation ; contexte qu’ont d’ailleurs trop souvent tendance à négliger les chercheurs en histoire contemporaine, même lorsqu’ils sont français. En tout cas, nous pouvons personnellement témoigner qu’à partir de 1947, l’adversaire désigné dans les travaux des Écoles de guerre était bien déjà l’Union soviétique et qu’à la même époque se manifestait la volonté de réconciliation avec l’Allemagne, par suite d’un début de prise de conscience de l’absurdité de s’affronter à mort avec elle à chaque génération, sans parler du souci de se comprendre et de se pardonner qui s’est manifesté alors dans les milieux démocrates-chrétiens. Cependant, il est vrai que la vision d’une grande politique avec l’Allemagne n’est apparue que plus tard, au début des années 50, et il est vrai aussi que n’y a pas été étranger le désir de notre pays de retrouver le statut de grande puissance, alors désormais à deux puisqu’il n’était plus envisageable solitairement. C’est bien cette vision que de Gaulle reprendra à son compte jusqu’au déplorable préambule qu’introduira le Bundestag lors de sa ratification du traité de l’Élysée.
Ce ne sont pas nos témoignages personnels qui peuvent intéresser ici nos lecteurs, mais bien la vision qu’a de cette période de notre histoire un Américain aussi érudit que notre ami Charles Cogan, en même temps que fin connaisseur de notre pays. Il nous apporte à ce sujet des éléments nouveaux de connaissance et de réflexion, lorsqu’il nous décrit les épisodes de la naissance du traité de l’Atlantique Nord et ceux de son organisation, en particulier pour ce qui concerne son Steering Committee, qui allait devenir le Standing Group, l’organe stratégique suprême de l’Otan. Il nous montre la hantise des dirigeants de la IVe République d’accéder au statut qu’avaient eu les Britanniques pendant la guerre dans le Combined Chiefs of Staff (CCS) et qu’ils conservaient de facto. La France l’obtiendra en fait, puisqu’elle sera admise dans le Standing Group lequel était situé au Pentagone à côté du Joint Chiefs of Staff (JCS) américain. Pour avoir appartenu à sa délégation française de 1953 à 1955, nous n’y avons pas constaté alors la rivalité que notre ami croit pouvoir distinguer avec le commandement suprême de l’Otan en Europe, installé près de Paris. Chacun des deux organismes faisait alors, et en bonne entente avec l’autre, ce pour quoi il avait été fondé : pour le Standing Group, la direction stratégique de l’Alliance, et pour Saceur, la préparation des ordres d’opérations. C’est pourquoi ceux qui avaient vécu cette époque ont pu s’étonner de l’échec de la demande présentée par le général de Gaulle en 1959 de constituer un « directoire à trois » de l’Alliance. Il est vrai qu’il visait en fait ce qu’on appellerait maintenant la « globalisation » de l’Otan, et que la France, enlisée dans sa guerre d’Algérie, n’avait guère de moyens à mettre dans la balance commune, ce que les Américains appellent des assets et ce sur quoi, avec l’efficacité dans leur mise en œuvre, ils jugent et pondèrent leurs alliés (3).
Ce ne sont pas de nos souvenirs qu’il s’agit ici, mais bien de la présentation de l’ouvrage d’un historien très documenté ; comme quoi celui qui a vécu des épisodes historiques n’en a toujours qu’une perception limitée. Pour notre auteur, l’intégration devant laquelle la France a tant rechigné aurait résulté de la conception très integrated du commandement de Saceur. Il est de fait que, quand elle s’en est retirée en 1966, elle a proclamé bien haut qu’elle quittait les « structures intégrées » de l’Alliance, et d’aucune façon l’Alliance elle-même. Ce rappel donne l’occasion à Charles Cogan d’ajouter à son livre une deuxième partie, qu’il dénomme « Épilogue », et qui, provenant d’un observateur aussi averti que lui des comportements français, mérite d’être prise en considération, car il croit y percevoir une tentative de Deconstruction of the Saceur System. Nous serions plutôt, quant à nous, tenté d’y voir les conséquences d’une interrogation sur les perspectives de globalisation de l’Otan. Comme quoi l’histoire tournerait parfois en rond, mais pas toujours dans le même sens, contrairement à l’idée maîtresse de ceux qui veulent lui voir un « sens ». Pour ce qui est de la réflexion sur l’avenir de l’Otan, au moment où l’Organisation va célébrer son cinquantenaire, nous n’allons certainement pas manquer d’idées et de conseils provenant d’observateurs éminents. Nous avons déjà eu l’occasion ici de présenter le récent ouvrage très documenté de Nicole Gnesotto ; la Revue internationale et stratégique vient par ailleurs de publier sur ce sujet un numéro spécial ; et notre revue, au moment où paraîtront ces lignes, aura probablement publié les actes de la table ronde qu’elle a organisée en décembre sur l’avenir de la sécurité européenne ; elle l’avait abordé de manière prudente puisqu’elle avait sous-titré son débat : « progrès et illusions ». Remercions donc notre ami Charles Cogan d’avoir apporté des pierres à cet édifice, ne serait-ce que pour nous éviter de réinventer ce qui l’a déjà été. On est en effet surpris de constater combien l’histoire diplomatique récente est rapidement oubliée ; et cela probablement parce que sont nombreux aujourd’hui ceux qui s’empressent de la réécrire pour soutenir leurs thèses personnelles. Ce n’est évidemment pas le cas de l’auteur de ce livre, qui nous apporte au contraire sur nos problèmes le regard averti d’un ami de notre pays, appuyé par une abondante documentation de sources américaines, trop peu connues, et dont il nous fournit les références. Dans sa présentation de ce livre dans la prestigieuse revue Foreign Affairs, Stanley Hoffman, connaisseur américain incomparable des comportements politiques français, a écrit ce compliment, qui domine bien entendu les nôtres : « Les hommes d’État et les journalistes américains n’auront désormais plus d’excuse pour ignorer le sérieux, la profondeur et la permanence de la politique française dans ce domaine ». ♦
(1) Marcel Duval : Charles Cogan, Oldest Allies, Guarded Friends ; Défense Nationale, mars 1995.
(2) Marcel Duval : chapitre « La crise de la CED » dans M. Vaïsse, La France et l’Otan ; Éditions Complexe, 1996.
(3) Marcel Duval : « France-Alliance : actualité du passé » ; revue La Baille, décembre 1998.