La mondialisation semble avoir pris de cours une partie de l’Europe qui tarde à en percevoir les effets, notamment d’échelle, qui invalident les cadres géopolitiques antérieurs. Pour dépasser les surprises stratégiques et l’abstention qui les suscite, il faut sans doute faire preuve d’une plus grande créativité et se tenir prêt à saisir sa chance dans une mondialisation qui requiert une vraie capacité d’attente et une réelle disponibilité.
Un contexte stratégique inédit ?
A novel strategic context?
Globalization seems to have taken part of Europe by surprise: these countries have been tardy in appreciating some of its effects (notably that of scale) which have rendered previous geopolitical frameworks obsolete. If they are to overcome the effects of strategic surprise and the abstention which these arouse, they need to demonstrate more creativity, and be ready to seize their opportunities in a form of globalization which demands a real capability of waiting for the main chance, and a real predilection for action.
La mondialisation a mauvaise presse. Les énormes difficultés de l’Union européenne et plus précisément celles que connaît l’eurozone lui sont facilement imputées comme si la prodigalité excessive des différents gouvernements européens dépensiers n’y était pour rien. Désormais, ces derniers sont condamnés, comme dans la fable, à aller crier famine chez leurs voisins, les priant de [leur] prêter quelques grains pour subsister !
La mondialisation n’est pas un échec. C’est un mouvement de nature historique vers l’unité à l’échelle planétaire. Il s’est vigoureusement amplifié tout au long de la première décennie du XXIe siècle. Jamais l’humanité ne s’est trouvée autant sur la voie de l’intégration, ce que préfigurent les transformations impressionnantes de nombreux États (Chine, Brésil, Vietnam, Inde, Indonésie…) jusqu’à un passé récent pauvres, enclavés, isolés, aux modes de production archaïques et pratiquant des échanges parcimonieux avec le reste du monde. C’est de ce mouvement dont il s’agit lorsqu’on s’interroge sur les effets géopolitiques de la mondialisation. Cette dernière a d’abord été considérée avec ses réalités économiques, financières et commerciales qui ont permis de soustraire à la grande pauvreté des centaines de millions de personnes. Elle l’était beaucoup moins par rapport à ses effets géopolitiques créateurs de nouvelles formes de compétition mais aussi d’interdépendance et de solidarité (1). La mondialisation regardée comme une évolution économique est devenue bien plus que cela. Elle a acquis sa dynamique propre pour devenir un processus créateur d’un monde nouveau fondé sur l’appartenance à une communauté « globalisée » s’exprimant en Globish, partageant, comme jamais auparavant, codes, modes et préoccupations identiques (2). Les bouleversements qu’elle engendre inquiètent pourtant car, à côté des progrès qu’elle porte, elle donne en même temps le sentiment d’une « déstructuration générale… qui produit de nouveaux clivages et de nouvelles tentatives… de restructuration qui modifient profondément les règles et les limites de la politique et de la stratégie » (3). Cette « déstructuration » est inhérente à l’évolution d’un monde se dirigeant vers davantage d’unité abolissant distance et temps, qui produit des émotions et des aspirations partagées même si elles touchent des individus issus de sphères culturelles pourtant bien différentes. Avec la mondialisation, « plus aucun lieu ne peut être considéré comme hors du monde » (4). Désormais, ce dernier vit sous le régime du jeu de dominos dans lequel le mouvement d’une seule pièce développe ses effets sur l’ensemble du jeu, comme le démontre la crise financière actuelle.
Démographie et stratégie
Dans ce monde nouveau, la dimension démographique prend une dimension à laquelle l’Europe n’était pas habituée. La démographie dans les pays jadis du « Tiers Monde » a longtemps été perçue par le prisme de la pauvreté et du sous-développement. Désormais c’est une autre dimension qu’il convient d’envisager. Si l’on prend ainsi la Chine et l’Inde (un peu plus de deux milliards et demi d’individus), l’essor d’une classe aisée dans ces deux pays induit des comportements actifs, créateurs d’initiatives tant culturelles, économiques, financières que politiques, tant intérieures qu’extérieures, qui vont s’amplifier et peser, pour les infléchir, sur les normes de la gouvernance tant interne qu’externe.
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