Cette réflexion normative originale fait le lien entre l’apparition de la grammaire stratégique de la puissance nucléaire et celle de la puissance numérique. Elle montre les limites du parallèle entre guerre nucléaire et guerre numérique et esquisse les stratégies du combat dans le cyberespace.
Cyberdéfense : vers une stratégie numérique indirecte
Cyber-defence: towards an indirect digital strategy
This original study links the strategic language of nuclear power with that referring to digital power. It demonstrates the limits of the parallel between nuclear and digital war, and outlines some possible combat strategies for cyberspace.
Depuis le rapport de la RAND Corporation en 1993 : « Cyberwar is coming » de John Arquilla et David Ronfeldt, les publications alarmistes se sont succédé pour annoncer l’imminence d’un conflit numérique et envisager ses conséquences pour nos sociétés. S’appuyant sur le constat de la dépendance accrue des États-Unis aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (Tic), les auteurs du rapport plaidaient pour une prise de conscience immédiate des enjeux et défis sécuritaires posés par le cyberespace (1).
Près de vingt ans plus tard, le nombre d’internautes a atteint les deux milliards, les escarmouches numériques entre États ont été largement commentées par la presse généraliste ; la cybercriminalité produit plus de revenus que le trafic de stupéfiants. Ainsi, des attaques contre l’Estonie en 2007 au célèbre ver StuXnet visant les installations nucléaires iraniennes en 2010, une nouvelle forme d’affrontement dans un milieu extrêmement mouvant et utilisant des armes numériques, a clairement vu le jour. L’heure n’est donc plus à l’établissement de constats inquiétants mais à la construction rationnelle d’un corpus doctrinal visant à clarifier et théoriser cette nouvelle forme de guerre. Dans cette perspective, un regard critique sur les théories stratégiques passées devrait permettre d’éviter le piège de l’immobilisme intellectuel qui se paye du prix de la défaite.
Les cinq piliers de la puissance numérique et de la stratégie directe
Les spécificités du cyberespace, anonymat relatif et « imprédictibilité » des effets, ainsi que les déterminants du combat numérique, asymétrie, surprise et contournement, excluent la possibilité de construire une stratégie d’essence directe car celle-ci opère du fort au fort (selon Hervé Coutau-Bégarie). En effet, dans le cyberespace, où la puissance s’exprime de diverses manières, le rapport du fort au fort ne regroupe pas les mêmes réalités que dans les autres milieux physiques d’affrontement. La puissance numérique peut dès lors se concevoir comme une combinaison de cinq facteurs distincts dont l’intelligente association confère, ou non, à une entité le statut de puissance numérique.
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