Les repères que fournit le diplomate Eugène Berg, chroniqueur fidèle de la revue, sont ceux des lectures savantes qui sont les siennes. Son érudition éclaire sur les arcanes permanents de la diplomatie et sur les trajectoires remarquables de spectateurs engagés qui ont traversé l’histoire de notre pays et vécu des moments clés de celle de l’Allemagne et de l’Afrique du Sud.
Diplomatie, mémoires diplomatiques et relations internationales
Among the books: diplomacy, diplomatic memoirs and international affairs
The diplomat Eugène Berg, a long-time contributor to RDN, shares some of his personal intellectual references with us. His erudition gives us an insight into the arcane world of diplomacy, and the remarkable careers of some of its dedicated servants who have marked the history of our country, and who lived through key moments in the histories of Germany and South Africa.
Les événements de l’année 2011, par leur richesse et leurs répercussions, loin d’avoir été évalués dans toute leur ampleur, méritent que l’on se replonge dans la réflexion internationale, qu’elle soit purement historicisée ou actuelle, voire prospective. Au préalable, un rafraîchissement historique s’impose peut-être comme celui que fournit Pascal Boniface, directeur de l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques) qui décrit avec précisions Les relations internationales de 1945 à nos jours (3e édition ; Dalloz, 2011, 220 pages).
Comment les historiens du futur qualifieront l’année 2011, après celles qui ont marqué les grandes césures de l’après-guerre (1953, 1962, 1973, 1989…) ? Ce qui apparaît d’ores et déjà acquis est que nous sommes entrés dans une nouvelle ère de politique planétaire et non plus mondiale, car c’est l’ensemble des questions clefs qui sont intimement liées (stratégie, monnaies, dette, environnement, énergie, migrations, faim, océans…), en tout lieu et à tout moment. Nous sommes désormais tous les habitants du village planétaire qu’avait pressenti le médiologue canadien Marshall McLuhan en 1970.
Un Essai sur la diplomatie qui a traversé les siècles
Au début de 1830, avant même l’insurrection polonaise dirigée contre l’empire russe, Adam Jerzy Czartoryski, fit imprimer à Paris et à Marseille, en pleine vague philhellène, son Essai sur la diplomatie (Éditions Noir sur Blanc, 2001, 490 pages) justement sous le pseudonyme d’un Philhellène. L’ouvrage, rédigé dans une langue qui fait de son auteur un des grands écrivains de langue française, paraissait à une époque transitoire. La défaite et la chute de Napoléon marquaient à ses yeux l’échec de la tentative d’hégémonie d’une puissance qui projetait d’établir, selon Hegel, l’État universel d’une Europe unifiée par la force. Cela ouvrait pour Czartoryski une perspective nouvelle, celle d’une unification de l’Europe sur la base de la liberté des peuples (donc de leur droit à se constituer en État souverain) et de l’universalité des droits de l’homme. On voit que ses idées révolutionnaires, sinon utopiques pour leur temps, mirent plus d’un siècle et demi à se concrétiser ! D’autant plus qu’il allait plus loin encore en plaidant pour une Russie pleinement européenne et une réconciliation polono-russe qui, on le sait, ne se cristallisa vraiment qu’à l’occasion du drame de Smolensk. Son concept de « légitimité des nations » est fondé sur le droit de chaque nation à posséder son propre État, un des principes cardinaux de la charte de l’ONU. Le prince Adam Jerzy Czartoryski (1770-1861) était une des personnalités les plus étonnantes de son temps. Jeune homme, il fut envoyé comme otage à la cour de Russie. Il y deviendra ministre des Affaires étrangères entre 1804 et 1806. Auparavant il avait rédigé à l’intention du tsar Alexandre Ier un important mémoire « Sur le système politique que devrait suivre la Russie » (1803) dont le texte figure dans le présent ouvrage. Sa lecture, outre qu’elle fournit un vaste panorama de la politique européenne, frappe par la force de ses visions prospectives. « La France et la Russie ne peuvent pas profiter l’une sur l’autre, n’ont aucun intérêt, et presque pas la possibilité de se nuire directement ; le commerce doit les unir et si elles s’entendent, il n’est pas douteux que le reste du continent doive rester en repos et se soumettre à leur volonté. La véritable politique de ces deux États devrait donc être de se ménager mutuellement, de rester en bonne harmonie et de s’entendre pour tout ce qui a rapport au bien des nations et à la tranquillité générale ». Ne sont-ce pas là les propos qu’employa le général de Gaulle lors de son déplacement à Moscou en décembre 1944 ? N’annoncent-ils pas le fameux triptyque « détente, entente, coopération » ? S’agissant des frontières de la Russie, qu’il s’agira « d’arrondir », Czartoryski semblait deviner les visées à venir d’un Staline en écrivant que celles-ci « commenceront près de Dantzig, s’appuieront aux Carpates et de là iront rejoindre la mer Noire ». En 1815, Czartoryski fut l’un des architectes du Congrès de Vienne. Lors de l’insurrection antirusse de novembre 1830, il est élu président du gouvernement national. Après l’échec du mouvement, il émigra à Paris. Depuis son bureau de l’Hôtel Lambert, il exercera jusqu’à sa mort une action diplomatique de grande envergure.
Il reste 72 % de l'article à lire
Plan de l'article