L'Europe de la Défense - Le Chœur du Débat
L’Europe est souvent décrite comme un nain politique et un géant économique. Devenir un géant politique suppose, avant tout, de trouver un consensus entre les 27 États sur ce qui paraît être au cœur de la souveraineté d’un État : la puissance militaire. Préfacé par Javier Solana, le premier Haut Représentant de l’Union européenne pour la Politique étrangère et de sécurité commune (Pesc), cet ouvrage co-écrit par un haut responsable militaire français et un Franco-Britannique a la particularité d’être synthétique, clair et précis. Le cadre, choisi par les deux auteurs, est celui de l’anniversaire de la mise en place de la Politique européenne de sécurité et de défense commune (PESD), lancée lors du sommet d’Helsinki en 1999. Les enjeux de « l’Europe de la défense » y sont présentés de façon pédagogique. La dimension prospective n’a pas été oubliée, puisque les nouveautés apportées par le Traité de Lisbonne en matière de défense y sont exposées. Le consensus trouvé par les 27 n’élude pas les dissensions entre États européens, ce que rappelle la très belle carte satirique du Français Paul Hadol, réalisée à la veille du conflit de 1870.
La PESD est analysée succinctement à travers ses trois composantes : ses fondements doctrinaux, notamment la stratégie européenne de sécurité, ses capacités d’évaluation des situations et de prise de décision collective, ainsi que ses moyens d’action. Cependant, le manque de profondeur de la vision stratégique européenne reste le problème principal. Si les Européens ont une perception assez positive de la politique de défense européenne, comme le démontre l’Eurobaromètre, le Parlement européen, doté d’une souscommission « sécurité-défense », joue paradoxalement un rôle minimaliste puisqu’il ne détient aucun pouvoir de décision. Il est certes tenu informé et a la possibilité de se saisir de ces questions. Le Traité de Lisbonne, à certains égards, devrait donner plus de pouvoirs à cette institution sur le plan décisionnel, notamment au niveau budgétaire.
L’Union européenne s’est, quant à elle, progressivement imposée en mettant en place ses propres opérations. Ainsi, en 2003, elle a commencé à relever les opérations successives de l’ONU et de l’Otan au niveau des Balkans. L’opération EUFor Tchad-RCA marque un tournant dans le niveau d’exigence militaire, notamment en termes de logistique. Cependant, des faiblesses perdurent. L’UE ne dispose toujours pas de chaîne de commandement militaire permanente. Seule une structure ad hoc est prévue, soit dans l’un des QG nationaux d’opérations, soit dans le centre d’opération de l’UE à Bruxelles, soit dans l’enceinte du SHAPE.
Les opérations civiles, en matière de gestion de crise, constituent une plus-value unique. La contribution à la préparation de la mission civile d’observation en Géorgie, en 2008, en est une illustration assez significative. Au total, environ 2 400 personnes sont actuellement déployées dans les neuf missions de gestion de crise. Une coopération importante existe entre l’Otan, l’UE et l’ONU. Ainsi, au Kosovo, se retrouvent réunis l’Unmik, l’Eulex, la KFor, et l’Omik. Cependant, l’UE pèse encore peu dans les crises internationales actuelles.
Les partenariats de l’UE sont assez nombreux. L’un des plus importants est celui avec l’Otan. Les accords de « Berlin + » de 2003 ont scellé le partenariat stratégique entre l’UE et l’Otan. On se souviendra des conseils de Madeleine Albright, en 1998, pour le développement d’une défense européenne : pas de découplage, pas de duplication, pas de discrimination. C’est ainsi que les acteurs européens, au sein des états-majors de planification et de conduite, sont souvent les mêmes. Il n’existe pas de forces dédiées à l’UE ou à l’Otan, chacune des forces nationales étant susceptible d’opérer dans différents cadres nationaux.
Le développement des capacités militaires au sein de l’UE a toujours posé un certain nombre de problèmes. Lancé par le Conseil européen de 1999 en Finlande, le Head goal d’Helsinki avait déclenché une véritable dynamique. Mais l’objectif n’était pas de créer une armée européenne, mais un réservoir de forces nationales dans lequel l’UE peut puiser. L’objectif global à l’horizon 2010, adopté en mai 2004, constitue à cet égard une nouvelle étape. Il est nécessaire de dépasser la logique purement intergouvernementale. C’est la tâche qui a été assignée à l’Agence européenne de défense (AED), en juillet 2004.
Depuis 2008, deux programmes majeurs ont été réalisés. D’une part, le plan de développement des capacités, qui en tant que mécanisme de coopération et de mise en cohérence des efforts offre une méthodologie plus incitative de développement capacitaire.
D’autre part, les nouveautés apportées par le Traité de Lisbonne, qui met en place « une coopération structurée permanente » autour d’un « groupe moteur », un service européen pour l’action extérieure, une clause de solidarité, mais également un devoir d’aide et d’assistance entre États membres.
Alors que la plupart des coopérations au niveau de l’armement se sont développées dans des cadres multilatéraux, sous contrôle étroit des États, la Commission européenne est parvenue à élargir ses compétences. Le Traité de Lisbonne devrait apporter plus de visibilité, puisque le Haut Représentant aura à la fois autorité sur le directeur exécutif de l’AED, mais serait aussi vice-président de la Commission.
Pour que le projet d’une « Europe puissance » devienne enfin une réalité, il est nécessaire de mettre en œuvre des politiques ambitieuses. En 2007, tous cadres confondus, les États membres sont parvenus à déployer près de 78 000 soldats dans le monde. Actuellement, les États membres de l’UE ne possèdent ni budget de défense commun, ni marché de défense unifié, même si le cadre fixé par la Lettre d’intention créée en 1996 constitue une avancée. Mais toutes ces ambitions ne pourront être concrétisées que si l’UE parvient à réduire les contraintes budgétaires qui pèsent sur ces instances et qui ont été fortement aggravées par la crise actuelle.