Billet - Internet
Longtemps, Internet a porté ses promoteurs au lyrisme. Michel Serres annonce la Pantopie – « tous les lieux en chaque lieu et chaque lieu en tous les lieux » – et s’exalte à cette terrifiante perspective. Comme l’espace, voici le temps revenu au premier matin du monde : un unique présent, gros de l’avenir comme du passé. D’autres célèbrent les vertus de l’anarchie soixante-huitarde qui est au principe du réseau, y voyant le retour fructueux du chaos initial. Joël de Rosnay annonce l’homme symbiotique, neurone infime du cybionte, monstrueux cerveau planétaire.
Le contrôleur général Hervouët, s’emparant du sujet dans le numéro de novembre 2009 de Défense nationale et sécurité collective, ne tombe pas dans ces excès. Il dénonce l’infobésité et sait qu’information et connaissance ne vont pas de pair. Au reste, pourquoi s’encombrer l’esprit ? Tout est dans la machine, à chaque instant disponible. Daniel Hervouët n’en reste pas moins optimiste, estimant possible de maîtriser « fouillis libertaire » et « désordre nombriliste », et d’en faire surgir une « bibliothèque d’Alexandrie » et une « agora du savoir ».
C’est un peu vite dit. Internet n’a pas de précédent auquel on pourrait le relier. C’est à tort qu’on va répétant que la langue d’Ésope est, elle aussi, capable du meilleur et du pire. Saint-Jacques voit la langue autrement, « feu que personne ne peut dompter, fléau sans repos ». Ce pseudo Jacques annonce Internet. Les « tuyaux » dans lesquels les mots, innombrables, circulent, ne sont pas neutres. De même que l’observateur des étranges particules quantiques modifie l’objet observé, les tuyaux pourraient bien – information brute mise à part – contaminer ce qu’on y met et réduire à leur mesure les grandes pensées qu’on a l’imprudence de leur confier. On en déduira un critère de jugement : ce que les tuyaux acceptent n’est pas intéressant.