Billet - Science politique
La science politique est une trouvaille moderne, donc redoutable. Redoutable ? Presque sacrilège, en ce que l’art du gouvernement des hommes ou des armées tient sa noblesse de la responsabilité assumée par ceux qui l’exercent. Que des hommes de science, irresponsables par définition, se mêlent de juger des actions régaliennes et de recommander celles qu’ils tiennent pour bonnes, voilà du nouveau ! La décision, instant tragique où la volonté impose silence à la raison, surpasse infiniment les atermoiements qui font les délices du chercheur. Autrefois protégés du secret sans lequel on ne saurait gouverner, l’art et l’artiste sont désacralisés. Leur existence même est menacée. Le drame devient matériau de laboratoire et ses variantes se déclinent en options universitaires.
Plus le drame est affreux, plus riche est le matériau. Des sciences politiques à la stratégie militaire il n’y a qu’un pas. Le déclin de celle-ci est patent. Non que les universitaires qui s’en mêlent y soient inaptes, c’est leur agilité d’esprit qui fait problème. Penser les choses c’est les tuer, on le sait depuis Socrate, et la guerre comme le reste, on le sait depuis Clausewitz (1). Les universitaires qui s’en occupent sont, heureusement pour eux, peu conscients de l’effet destructeur de leurs travaux.
L’inauguration en fanfare de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), le 6 octobre 2009, est une bonne illustration de ce qu’on vient de dire. Ce « pôle d’excellence » autoproclamé est très majoritairement peuplé de civils. La discrétion qui doit, sous peine d’indécence, recouvrir les études militaires est mise sens dessus dessous, la renommée internationale est le but assigné à l’entreprise. On craint que les militaires, prompts à se mépriser eux-mêmes par les temps qui courent, ne soient prêts à gober cette grosse mouche et à oublier où se situe toujours l’authentique pensée stratégique : au Collège interarmées de défense, au Centre des hautes études militaires et surtout, on finirait par l’oublier, dans les états-majors. Les gens qui y travaillent n’affichent pas la mise austère des professeurs. Leur treillis de combat leur tient lieu de toge. Ce qu’ils préparent, ce qu’ils décident, ils le mettront eux-mêmes en œuvre. C’est un fameux garde-fou.
(1) Sur ce thème, voir le numéro d’août-septembre 2009 de Défense nationale et sécurité collective.