Trois siècles d'obéissance militaire
Trois siècles d'obéissance militaire
Il peut paraître étonnant de voir sortir des presses en 2009 un texte d’un Maréchal de France mort il y a plus de quarante ans, préfacé par un dignitaire militaire qui naissait alors que l’auteur recevait le bâton. Il s’agit évidemment d’une réédition, bienvenue tant en raison de la personnalité d’Alphonse Juin que de l’intérêt et de la pérennité d’un sujet souvent controversé, celui de l’obéissance des armées au pouvoir établi. Pied-noir attaché à sa terre natale, fils de gendarme, Juin reste sans doute, à côté d’autres chefs de guerre de l’époque peut-être plus étincelants et plus mis en avant, le plus proche de la troupe et du terrain. Par ailleurs, même s’il n’a pas fait carrière parmi les « gendelettres » et si son entrée à l’Académie fut selon la tradition liée au nombre de ses étoiles, il s’exprima toujours dans un style d’une clarté et d’une vigueur exemplaires.
Le récit débute avec Louis XIV, car l’Armée française « n’est apparue dans l’Histoire en tant qu’institution permanente… qu’à partir du grand siècle ». Le thème est simple : contrairement aux allégations qui ont amené à considérer cette armée comme un instrument de prise du pouvoir par la force, elle est restée dans le droit chemin aux mains de ses chefs, même quand le déroulement des combats, les convictions profondes, voire simplement l’honneur, semblaient dicter un autre comportement. Parmi les cas les plus convaincants mis ici en avant, on peut citer, dans l’esprit de Vigny, l’aristocrate Gontaut-Biron combattant les Vendéens, le « magnifique exemple de soumission » du duc d’Aumale quittant son poste de gouverneur général en 1848, la participation aux Inventaires, la mort dans l’âme, d’officiers « profondément catholiques » ou encore la fermeté de Boisson lors de l’affaire de Dakar. Quant à Mac Mahon s’installant à l’Élysée, sa fameuse recherche du « règlement », au-delà du ridicule souvent infligé à ce parfait honnête homme trahissait une habitude de rigueur. Et l’auteur de réfuter certaines idées reçues ; il souligne par exemple la faible proportion d’émigrés lors de la Révolution.
Si les coups d’État furent, il est vrai, accompagnés en règle générale de bruits de bottes, les initiateurs réels furent soit des politiques purs, soit des politiques camouflés en militaires : ainsi Bonaparte manipulé le 18 brumaire par Sieyès qui « cherchait une épée » ou la compromission du seul Saint-Arnaud le 2 décembre. C’est en tant qu’homme d’État, plus que comme amiral, que Darlan négocia à Alger le retour de l’armée d’Afrique dans le camp anglo-saxon. Reste le 18 juin ! Pour le maréchal, il s’agit moins du geste d’un « général dissident » que celui d’un récent membre du gouvernement rejetant le principe de l’armistice. On a alors la nette impression que le récit historique a eu réellement pour but de déboucher sur le conflit algérien, en puisant dans le passé la justification de l’attitude d’un militaire traditionnel se sentant obligé d’assister dans un garde-à-vous réprobateur (bien exprimé dans la photo de couverture du livre) à des mesures prises contre son gré par un camarade de promotion devenu chef du gouvernement. Quelque temps après le 13 mai, préparé par des « groupements politiques… à l’affût du moindre prodrome révolutionnaire », un Salan dupé et un Challe « ulcéré » ne furent guère suivis dans leur entreprise, mais le putsch « servit de prétexte pour accentuer l’épuration ». Le plus pénible fut de voir traduire en justice les humbles et les subalternes… « qui comptaient parmi les meilleurs soldats de l’armée, les plus intrépides et les plus résolus ».
Conclusion amère au spectacle d’un « désastre sans précédent ». Mais pour l’essentiel, la discipline a prévalu. Le général Irastorza écrit que « le soldat du XXIe siècle n’est pas confronté aux dilemmes éprouvés par ses anciens ». Voire, mais le devoir d’obéissance interdit de contredire le Cemat !