Iran, l'état de crise
Iran, l'état de crise
Le président de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS), auteur de nombreux ouvrages, ne pouvait pas ne pas s’intéresser à l’Iran, et en particulier à la question nucléaire, qu’il qualifie à juste titre de question internationale la plus aiguë de notre temps. Il ne s’est pourtant pas seulement livré à une analyse de textes, mais s’est rendu à plusieurs reprises dans le pays des mollahs. Il y a découvert des réalités humaines, culturelles et idéologiques, religieuses bien éloignées des stéréotypes couramment en vogue. Comment en aurait-il été autrement dans le pays des héritiers de Cyrus II le Grand ? Cette ouverture vers le peuple iranien ne lui a pas fait oublier l’attitude des dirigeants iraniens sur l’Holocauste et la volonté déclarée du président Mohamed Ahmedinejad de rayer Israël de la carte. Mais là n’est pas son propos essentiel, même s’il expose en détail au préalable quelques-uns des mythes ou des réalités de l’Iran moderne : celui de la Perse et de la diversité ethnique du pays, celui de l’opulence pétrolière confrontée à la réalité du sous-développement, celui de la tyrannie, en fait de la complexité politique, iranienne. Par quel curieux détour les États-Unis, la France et Israël sont-ils devenus les trois « satans » de Téhéran. Est-ce simplement parce qu’ils avaient été si proches du shah ou qu’ils s’opposent avec le plus de fermeté à la nucléarisation de l’Iran ?
Cette longue introduction mène à la seconde partie du livre, son objet essentiel à savoir la longue marche nucléaire de l’Iran, laquelle a commencé du temps de Reza Pahlavi. François Géré décrit ce programme nucléaire par le menu. En effet, il paraît grandiose, prévoyant une première tranche de 7 000 MW avec sept réacteurs pour 2025. Il décrit en particulier les étapes de la crise, 2002-2006. Toutes les conditions de l’affrontement étaient réunies dès 2005. Qu’il est bien dommage qu’un accord ne soit pas intervenu lors de la rencontre Chirac-Khatami à Paris en avril 2005. Par la suite du fait du changement de président en Iran, les chances d’un accord n’ont fait que s’amenuiser.
Alors que Téhéran développait une subtile manœuvre psycho-politique sur la scène mondiale, que la Russie offrait ses bons offices, et que la Chine se montrait plus que réticente vis-à-vis d’une politique de sanctions, le programme iranien avançait. Divers scénarios militaires furent ébauchés allant d’un blocus général et d’une guerre aéronavale limitée, à une option terrestre élargie, en passant par des séries de frappes aériennes ou par missiles. À tous ses scénarios, Téhéran brandissait sa gamme de représailles : arme du pétrole, arme du terrorisme, du chaos irakien, sans parler du Liban ou même de l’Afghanistan. Après avoir examiné en détail, où en était Téhéran, ce qu’il voulait et ce qu’il savait de la théorie de la dissuasion, l’auteur ne pense pas pour sa part, contrairement à une opinion générale que l’intérêt du pays est de se doter de toute façon de l’arme nucléaire. Un Iran revenu à des rapports de coopération et de confiance avec le monde occidental n’a pas besoin de l’arme nucléaire, même si, disposant d’une industrie nucléaire civile performante, il peut se mettre en position de franchir le pas en cas de menace directe contre ses intérêts vitaux. On en revient au modèle japonais. Mais une telle hypothèse ou évolution est-elle crédible et combien de temps mettra-t-elle à se développer ? François Géré garde espoir. Puisqu’il est reconnu de tous que ce n’est pas certes dans six mois que Téhéran placera une arme nucléaire sur un missile Shihab de longue portée, donnons à tous les protagonistes du temps pour réfléchir, dialoguer, infléchir leurs positions, réévaluer leurs intérêts et sortir des voies de l’affrontement orgueilleux. Il explore les chemins d’un dialogue renouvelé et approfondi, pèse les conséquences des affrontements intérieurs depuis juin 2009, s’interroge sur la nouvelle approche du président Obama.
Dans l’état actuel des choses quatre scénarios se dégagent. Des sanctions renforcées, pour produire un effet rapide. Elles devraient toucher aux secteurs vitaux de l’économie iranienne, secteur bancaire et secteur énergétique. Le manque de volonté de la Russie, mais surtout de la Chine, augure mal de ses chances de succès à court terme, sans compter les positions de maints autres membres du Conseil de sécurité comme le Brésil. L’action militaire, il l’a montré, se heurte à de nombreuses difficultés et peut s’avérer tout à fait contre-productive. Reste le maintien du statu quo reposant sur une double base. Une posture nucléaire de l’Iran symétrique de celle d’Israël. Téhéran ne déclare pas posséder l’arme nucléaire, n’exprime aucune doctrine, se borne de temps en temps à formuler une politique déclaratoire. Surtout il ne procède à aucun essai et laisse planer le doute… En contrepartie, les États-Unis seraient conduits à accorder leur parapluie nucléaire à leurs alliés de la région de façon à enrayer le mécanisme de la prolifération horizontale. Cette attitude serait comparable, sous toutes réserves, et il y en a énormément, à ce que fut la garantie américaine sur l’Europe occidentale. Il conviendrait aussi ici d’introduire la question du bouclier antimissiles américain. Pourrait-il se déployer en terre moyenneorientale ? La dernière hypothèse, la plus optimiste est celle d’un succès diplomatique fondé sur des garanties de sécurité bilatérales américano-américaines ouvrant la voie à des négociations sur des mesures de confiance et de non-prolifération régionale ? C’est sur cette base que pourraient s’engager des discussions irano-israéliennes. Mais dans l’état actuel des choses, ce scénario paraît bien difficile et encore terriblement lointain.
François Géré, pas plus que quiconque ne possède la clef du problème nucléaire iranien. Presque résigné, il constate que l’annonce par le Président iranien le 7 février dernier de la décision d’entreprendre l’enrichissement à 20 % sur le sol iranien et non en Russie, comme les Six le lui avaient proposé, constitue un grave signal qui ne peut qu’envenimer une situation déjà fort tendue à mesure que le temps passe. L’espoir est-il encore permis, et d’où proviendrait-il de l’Iran ou de la communauté des Nations ?