Marine - Le programme MU 90
Les forces aéronavales françaises mettent en œuvre deux types de torpille : la L5 mod 4 d’origine française et la Mark 46 mod 2 de fabrication américaine. La première est embarquée à bord des bâtiments de surface ; elle est destinée essentiellement à leur autodéfense. La seconde, à vocation aéroportée, est larguée par les avions de patrouille maritime et les hélicoptères embarqués WG13 (Lynx) ; le rayon d’action de ces porteurs et leur invulnérabilité actuelle face à la menace sous-marine confèrent à la Mark 46 un emploi plutôt offensif. Enfin, il faut également mentionner comme autre arme anti-sous-marine utilisée par la marine française, le lance-roquettes de 375 mm qui, contrairement aux deux torpilles, demeure efficace par petits fonds. Ces armes arriveront en fin de vie au cours de la prochaine décennie : outre leur obsolescence technique, leurs performances opérationnelles ne leur permettront plus de contrer l’évolution de la menace telle qu’elle se dessine.
La torpille franco-italienne MU 90, dont le premier exemplaire sera livré à la marine française au premier semestre 2001, est destinée à les remplacer et à devenir l’unique arme anti-sous-marine utilisable, dans toutes les configurations d’environnement, par tous les porteurs de surface ou aériens. Les frégates ASM Tourville et De Grasse seront les premières unités à en être équipées.
Rappel historique
Le besoin de prévoir le remplacement des torpilles existantes a conduit au lancement du programme français Murène dès 1982. Parallèlement, en 1984, les Italiens lançaient le programme A 290.
Des difficultés techniques rencontrées dans la réalisation de chacun de ces programmes nationaux, ainsi qu’une communauté de besoins des marines italienne et française ont conduit, en 1991, à l’instauration d’une coopération — dont l’initiative revient aux industriels — pour l’achèvement et la production d’une torpille commune. De la fusion des programmes nationaux est donc né le projet MU 90.
D’un point de vue technologique, le programme MU 90 est à l’image du sigle retenu (1) car les anciens projets contribuent chacun à hauteur d’environ 50 % à la constitution de la nouvelle torpille. Ce choix ne résulte pas uniquement d’une contrainte liée au partage industriel. Il est surtout la volonté de retenir de chaque projet les concepts présentant le meilleur compromis coût-efficacité.
D’un point de vue militaire, les nouvelles exigences opérationnelles correspondent à la réunion des besoins exprimés dans chaque projet national et non pas au plus petit dénominateur commun. Le saut qualitatif des performances opérationnelles de la nouvelle torpille est donc important.
La torpille MU 90 : des performances opérationnelles ambitieuses
Dès le début des années 80, il est apparu que l’évolution de la menace sous-marine nécessitait le développement d’une arme capable de traiter les nouvelles générations de sous-marins. Cette évolution se caractérise par : le doublement de l’immersion maximale, une vélocité accrue, une furtivité acoustique améliorée à l’égard des senseurs actifs et passifs, un armement diversifié avec la combinaison des torpilles lourdes et des armes à changement de milieu, une résistance accrue aux avaries de combat grâce à l’utilisation de nouveaux matériaux pour la coque épaisse et l’emploi de ballasts épais.
L’effondrement du bloc soviétique n’a pas conduit à la disparition de la menace sous-marine, mais il a déplacé son barycentre vers les zones de crises potentielles dans lesquelles le sous-marin classique fait peser une menace importante sur les voies de communication maritimes et les zones littorales dans les opérations de projection.
Les sous-marins classiques de nouvelle génération bénéficient déjà d’une partie des améliorations évoquées ci-dessus. En particulier, leur furtivité s’est trouvée améliorée grâce à l’utilisation de matériaux anéchoïques et leur système d’armes peut être aussi complet que celui d’un sous-marin nucléaire d’attaque. À ces progrès techniques notoires, il faut ajouter une contrainte particulière liée à la zone de déploiement privilégiée des sous-marins classiques : les petits fonds riches en faux échos qui augmentent de façon considérable les difficultés de détection et de classification de la menace.
Les performances opérationnelles de la torpille MU 90 ont été réappréciées à la lumière de cette nouvelle donne stratégique : elle doit être capable de traiter tous les types de sous-marins dans toutes les conditions d’environnement. La MU 90 apparaît donc comme l’arme anti-sous-marine par excellence.
L’organisation du programme
Elle repose sur des structures étatiques et industrielles. La cheville ouvrière étatique est constituée par le bureau de programme binational situé à Toulon. Ce dernier, placé sous la direction d’un officier supérieur italien, est le nœud par lequel transitent toutes les informations émises, soit par les industriels, soit par les états-majors. Il doit donc les analyser et s’assurer que tous les intervenants ont une même image du déroulement du programme. À l’échelon supérieur, se trouve le comité directeur, autorité de décision où sont représentés, du côté français, la DGA (2) et l’état-major de la marine, et, du côté italien, leurs homologues Navarm et Maristat. Ce comité directeur est chargé de définir les grandes lignes de la vie du programme.
La structure industrielle est le miroir de l’organisation étatique. Un groupement européen d’intérêts économiques (GEIE), Eurotorp, a été constitué ; son siège se trouve à Sophia-Antipolis. Outre DCN (3) International (26 %), ce GEIE intègre Thomson-CSF (24 %) et l’italien Wass (50 %). La répartition des maîtrises d’œuvre des principaux sous-ensembles est la suivante : tête acoustique, Thomson-Marconi Sonar (TMS) ; tranche énergie, DCN ; tranche propulsion, Wass ; charge de combat, Wass. Eurotorp est responsable de la coordination de l’activité entre les industriels, du pilotage des évolutions techniques et de la commercialisation de l’Impact (nom officiellement donné par le GEIE à la torpille légère). Il est donc l’interlocuteur privilégié du bureau de programme et l’intermédiaire entre les industriels et la partie étatique.
Situation actuelle du programme
La qualification de la torpille MU 90-Impact, obtenue à la fin de l’année 1996, a donné le signal pour commencer la phase de production une année plus tard. La première torpille sera recettée en avril 2001, soit avec un retard de deux ans sur le calendrier établi lors du lancement du programme. La marine nationale recevra ensuite 50 torpilles par an, la cible affichée par la France étant de 600 torpilles.
En dehors de l’Italie et de la France, clients naturels de la torpille Impact, d’autres marines ont déjà annoncé l’intérêt qu’elles portaient à cette arme : l’Allemagne a passé une commande ferme pour environ 300 torpilles ; le Danemark a également acheté 20 MU 90-Impacts et posé une option pour 80 autres. Le nombre de torpilles commandées, qui dépasse d’ores et déjà le millier, et les succès remportés à l’exportation montrent que cette arme constitue déjà une référence pour les prochaines décennies.
Une logique de réduction des coûts
Ce programme MU 90 s’est inscrit dès son lancement dans une logique de réduction des coûts. Par essence, tout d’abord, puisqu’il se fonde sur une torpille polyvalente, destinée à équiper toutes les forces aéronavales françaises. Cette solution réduit le coût de la logistique. Par le choix de la coopération ensuite, qui permet de répartir la charge des frais fixes, de diminuer le coût unitaire par le biais de l’effet de série, et de mettre en place une organisation de logistique commune.
D’autres mesures adoptées pour la conduite du programme relèvent également de cette logique : le développement de moyens efficaces de simulation pour apprécier les performances de la torpille et pour limiter le coût élevé des essais ; une commande globale pour éclairer l’industriel sur l’avenir à moyen terme et donc lui permettre d’organiser son plan de charge.
La torpille légère MU 90-Impact s’inscrit également dans une logique européenne. La coopération réussie entre les industriels français et italiens — et allemands puisque STN Atlas Elektronik partage des intérêts importants avec le GEIE Eurotorp — leur assure une position favorable face aux regroupements dans le paysage recomposé de l’Europe de la défense. ♦
(1) Celui-ci a été constitué à partir des deux premières ou dernières lettres des anciens noms de programmes nationaux.
(2) Délégation générale pour l’armement.
(3) Direction des constructions navales.