Défense dans le monde - Otan-Union européenne : quelques progrès
En décembre dernier, le Conseil de l’Union européenne a siégé sous présidence finlandaise et l’Otan a tenu son conseil semestriel des ministres des Affaires étrangères. La comparaison des communiqués publiés à l’issue de ces réunions confirme la coexistence de deux entendements de la coopération entre l’Union européenne et l’Alliance atlantique.
Un antagonisme des conceptions
Dans une première option, l’Europe pourrait être utilisatrice temporaire de moyens dont l’Otan s’estime propriétaire. Il reviendrait alors à cette institution de poser les conditions du prêt. Depuis 1996, toutes les relations entre l’Otan et l’UEO ont été établies selon cette perspective qui est largement répandue à l’intérieur de l’Alliance atlantique. Dans une autre option, l’Otan a vocation à être prestataire de services au profit de l’Union européenne. Ce serait alors à l’Europe de définir le champ de la coopération. Cette compréhension est proche de celle exprimée récemment par Javier Solana, haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et secrétaire général du Conseil européen (HG/SG). Dans un discours prononcé à Berlin le 17 décembre 1999, il suggère : « The European Union will have to become an intelligent consumer of Nato ».
Ces deux modalités de coopération diffèrent fondamentalement par le rôle qu’elles attribuent au Conseil atlantique. Dans le premier cas, il devra s’assurer un contrôle politique sur la mise à disposition de moyens, donc s’octroiera un droit de veto sur leur transfert à l’Union. Dans le deuxième cas, il se bornera plutôt à une fonction notariale d’enregistrement des mouvements de moyens et de capacités ; la liberté d’accès de l’UE à ceux de l’Alliance serait alors plus effective.
Pour être divergentes, ces deux conceptions n’en sont pas moins conciliables. La recherche du compromis passe par l’examen de l’attitude possible des membres du Conseil atlantique. Si l’on part de l’hypothèse que ceux de l’Otan qui sont aussi membres de l’UE ne devraient pas s’opposer à ce qu’un moyen collectif de l’Otan soit utilisé par les Européens, on voit bien que le sort de la coopération entre les deux maisons est dans les mains des membres de l’Otan qui ne sont pas dans l’Union européenne : Canada, États-Unis, Hongrie, Islande, Norvège, Pologne, République tchèque, Turquie, série dont l’effectif est, d’ailleurs, appelé à se réduire au fur et à mesure de l’élargissement de l’Union européenne. Il tombe sous le sens que ces pays n’ont pas vocation à participer à la décision de l’UE. Toutefois, du fait de leur appartenance à l’Otan, ils bénéficient d’un titre d’antériorité dans la sécurité européenne qui leur donne des droits indéniables à la gestion de celle-ci, même par l’Union.
Les relations avec les alliés non UE
Le communiqué publié après le conseil d’Helsinki a commencé à donner des indications sur la façon dont l’Union souhaite s’y prendre pour lever l’hypothèque que ces nations pourraient faire peser sur une collaboration harmonieuse entre les deux Organisations. « Des structures appropriées seront mises en place afin de permettre dialogues et échanges d’informations avec les membres européens de l’Otan non-membres de l’UE (…) sur des questions liées à la politique de sécurité et de défense et à la gestion des crises ». Il s’agit donc de mettre en place de nouvelles institutions, adaptées autant à la concertation régulière sur les questions de sécurité qu’à la gestion des crises. On n’ira cependant pas, le texte le dit clairement par prétérition, jusqu’à en faire des lieux de codécision.
Le Portugal, qui assure la présidence européenne durant le premier semestre 2000, a été mandaté pour faire des propositions sur ces nouvelles structures. Il méditera certainement les enseignements du cadre politico-militaire pour les opérations de maintien de la paix dirigées par l’Otan (PMF) établi par les chefs d’État et de gouvernement à Washington le 24 avril 1999. Rappelons d’un mot la logique du PMF (political-military framework) ; les pays du Partenariat euroatlantique peuvent contribuer à des opérations de maintien de la paix dirigées par l’Otan et à son environnement politique : consultation préalable à l’engagement de forces, accès à l’information et au renseignement, suivi et contrôle des opérations. Le cadre politico-militaire fixe les conditions de cette implication. Le seuil que l’Otan ne s’est pas décidé à franchir est celui de la participation à la décision : PMF la réserve aux Dix-Neuf. Les partenaires ne l’entendent pas de cette oreille et revendiquent hautement leur participation à la décision, politique ou militaire, dès lors qu’ils sont partie à une opération de gestion de crise. Au reste, la guerre du Kosovo et les travaux réguliers du Partenariat euroatlantique ont montré que la continuité de cette dichotomie formelle entre Otan et celui-ci n’est que difficilement tenable. Les partenaires contributeurs (en troupes ou en services) veulent participer à la décision car elle les concerne alors directement. Un jour ou l’autre, plus très éloigné, il faudra y venir.
Cette expérience montre distinctement qu’une trop grande proximité des institutions conduit à la confusion des genres et mène, de fait, à l’absorption du plus petit par le plus grand, quel que soit par ailleurs le poids politique relatif des agences concernées. On avait déjà pu observer le même phénomène à l’UEO : bien que les réunions à dix membres soient la base politique de l’institution, ce format est progressivement tombé en désuétude et a perdu sa légitimité devant les modèles à 15, à 21 et à 28 établis pour des raisons de commodité politique.
Par transposition, pour éviter que la concertation entre l’Union européenne et les membres non UE de l’Otan ne mette en cause le format normal de l’UE, il faudrait donc trouver un système qui ne recoure pas à la confusion institutionnelle. Y aurait-il là une ébauche de vocation nouvelle pour l’UEO ? La double fonction de M. Solana, HR/SG de l’UE et secrétaire général de l’UEO, pourrait lui apporter une certaine crédibilité.
Des relations avec les États-Unis
Les évolutions que proposeront les Portugais pourront permettre de commencer à retirer du pied de l’UE l’épine des « otaniens européens » qui ne sont pas membres de l’UE. Qu’en sera-t-il des États-Unis ?
Le problème est totalement différent. Il ne s’agit plus seulement de les informer suffisamment et de les faire éventuellement participer afin qu’ils ne s’opposent pas à un transfert de moyens. L’objet du débat, par une concertation permanente et non plus ponctuelle, sera de les désintéresser de la conduite d’une crise en Europe en leur permettant de vérifier que sa gestion par l’UE ne contredit pas leurs intérêts. Il s’agira donc d’une affaire stratégique plus que politique : la délimitation réciproque du pouvoir l’emportera sur la protection de son autonomie.
Dans ce domaine particulier, l’Union européenne, qui ne souhaite visiblement pas brûler les étapes, n’a pas encore donné d’indication sur la voie qu’elle entend suivre. Il est vrai que Washington n’a pas non plus posé clairement ses conditions. On peut attribuer cela à un retard dans la prise de conscience de la rupture conceptuelle intervenue en Europe fin 1998 et courant 1999 sur l’IESD ou à la précampagne présidentielle. Il existe peut-être aussi un souci des États-Unis de choisir leur moment pour revendiquer des modalités de concertation adaptées à leurs intérêts de sécurité propres dans la construction de la sécurité européenne. Ils pourraient ainsi maîtriser dans les meilleures conditions les répercussions de ce qui serait, en fait, l’affichage de préoccupations de sécurité un peu différentes de celles de leurs alliés européens non-membres de l’UE.
On peut cependant déjà estimer que la réflexion sur cette question en rejoint une autre qui, inévitablement, viendra à l’ordre du jour : qu’en sera-t-il de la coopération entre l’Europe et les États-Unis en ce qui concerne l’échange de renseignements ? Si l’Union veut se situer au même niveau que l’Otan dans la connaissance des situations conflictuelles, elle devra envisager, au moins sur le moyen terme, le recours au renseignement américain.
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En somme, la réponse que l’Union européenne apportera aux impatiences des alliés non-membres de l’Union définira le champ de sa coopération avec l’Otan. En définitive, c’est tout l’édifice de la sécurité européenne qui en dépend.
25 janvier 2000