Afrique - L'élection présidentielle au Sénégal : un modèle de démocratie - Les deux faces de l'immigration
Au cours des mois qui ont précédé la dernière élection présidentielle sénégalaise qui vient de se dérouler en février et mars 2000, on a généralement vu se répandre des analyses et des commentaires plutôt pessimistes annonçant des tensions, des risques d’émeutes et jusqu’à une explosion du pays : une espèce de scénario catastrophe laissant planer l’ombre d’une nouvelle élection au premier tour du président Abdou Diouf, et donc la reconduction d’un régime usé, dominé par le Parti socialiste sénégalais au pouvoir depuis l’indépendance en 1960 avec Léopold Sedar Senghor, puis à partir de 1981 avec son dauphin, confirmé en 1983, puis réélu en 1988 et 1993. Plus récemment, en mai 1998, le même parti avait remporté les élections législatives avec 93 sièges sur 140 et dominait largement le nouveau Sénat, dont 12 membres sur 60 étaient désignés par le président de la République.
Le Sénégal a vécu depuis de nombreuses années dans une situation politique paradoxale. Pionnier de la démocratisation dans les années 1970 avec l’instauration d’un pluralisme ouvert, du multipartisme, d’une liberté de la presse et des médias, il était devenu une vitrine, un symbole, un modèle, enfant chéri des pays occidentaux et des bailleurs de fonds, vantant les mérites de sa stabilité politique et de la légitimité démocratique de son système politique. Il était, et reste encore, un des rares pays du continent qui n’a jamais connu de coup d’État militaire. Cependant, ce pays si respecté commençait à souffrir du mal essentiel : celui d’un régime dominant qui résistait à l’alternance et qui, dans sa durée, était de plus en plus marqué par l’usure, alors qu’à partir de la fin des années 1980 le processus de revendication démocratique se répandait sur le continent et que les élections et les changements de régimes se multipliaient. Le modèle perdait progressivement sa crédibilité : le Sénégal n’était plus en tête du groupe des pays de référence quant à la démocratisation.
À l’intérieur, la situation économique connaissait une dégradation notable, aggravant une situation sociale de plus en plus tendue. Les élections de 1983, 1988 et 1993 exprimaient clairement cette usure, ces tensions et ces frustrations. Le jeu politicien, parfois pour le moins acrobatique entre Abdou Diouf et son opposant Abdoulaye Wade, accroissait la confusion et le scepticisme. L’environnement régional venait encore ajouter à cela une dimension négative : l’opération de Sénégambie en 1982 et son échec en 1989, la rébellion casamançaise à partir de 1982, le passage difficile de la dévaluation du franc CFA en 1994, l’intervention militaire sénégalaise en Guinée-Bissau en 1998-1999… C’est sur cette accumulation de facteurs qu’a été lancée cette dernière élection présidentielle. Avec un élément politique nouveau qui se révélera déterminant, une dislocation du parti socialiste sénégalais très marqué par le départ des deux hommes influents : l’ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, très respecté dans le pays, Moustapha Niasse, et l’ancien ministre (notamment de l’Intérieur et des Affaires étrangères), chef de file d’un courant rénovateur à l’intérieur du parti, Djibo Kâ. C’est, bien sûr, la perspective d’une réélection au premier tour du président Abdou Diouf qui a favorisé auparavant les analyses pessimistes sur les risques d’explosion du pays. La conjoncture aussi, avec l’inattendu coup d’État en Côte d’Ivoire, a ouvert la porte à de nouveaux scénarios politiques catastrophes.
Il reste 69 % de l'article à lire
Plan de l'article