Asie - Taïwan : l'après-Lee Teng-Hui
Une fois de plus, la république populaire de Chine (RPC) a joué avec Taiwan à l’arroseur arrosé. Comme en 1996, ses manœuvres d’intimidation pendant la campagne présidentielle ont conduit à l’élection du candidat qu’elle souhaitait voir éliminer. Elle n’est pas la seule cause de la victoire de Chen Shui-bian. La situation intérieure taiwanaise explique aussi largement ce résultat. Avec l’élection du chef de l’opposition, Taiwan a parachevé sa marche pacifique vers l’instauration d’une véritable démocratie. Pékin n’a peut-être pas trop à craindre de voir un ancien militant indépendantiste présider la république de Chine. Les gestes d’apaisement qu’il devra montrer pourraient être plus importants que ceux qu’aurait fait Lien Chan, héritier du président sortant Lee Teng-hui.
En mars 1996, la RPC avait procédé à d’imposantes manœuvres militaires dans le détroit de Taiwan à la veille de la première élection au suffrage universel. Il s’agissait d’inciter les Taiwanais à ne pas voter pour leur bête noire Lee Teng-hui, formosan de souche, accusé de dérive indépendantiste. En réaction, Washington avait envoyé deux porte-avions dans la région et, surtout, les Taiwanais avaient manifesté leur mécontentement en votant massivement pour leur président, dans des proportions dépassant largement les prévisions avant les manœuvres chinoises. Cette fois-ci, il n’y a pas eu de mouvements de troupes, mais la publication d’un nouveau Livre blanc sur Taiwan réaffirmant la souveraineté chinoise sur l’île et menaçant d’une intervention militaire si les responsables de celle-ci ne venaient pas rapidement reprendre les discussions sur la réunification. La réunion annuelle de l’Assemblée nationale populaire (ANP) fut l’occasion pour les principaux dirigeants chinois de reprendre ces menaces tandis que la presse, en particulier le Quotidien de l’Armée et les médias prochinois de Hong Kong publiaient des propos très alarmants. Ces manœuvres d’intimidation avaient un double objectif : le premier était qu’aucun des candidats ne poursuive la « dérive » du président sortant ; le second était que les électeurs ne choisissent pas Chen Shui-bian, président du Parti démocrate progressiste (PDP), dans le manifeste fondateur duquel figurait l’indépendance de l’île. Une fois de plus, les Taiwanais ont peu apprécié que Pékin leur désignât leur choix et, alors qu’une large majorité de la population préférait le statu quo (ni proclamation de l’indépendance, ni réunification), Chen Shui-bian a profité de l’indignation d’une partie de l’électorat.
Une autre raison de la victoire du candidat du PDP tient à la mauvaise image du Kuomintang (KMT) et à ses dissensions internes. Cinquante ans de pouvoir sans partage sont source de corruption. De plus, bien que cela soit légal, la campagne électorale a été l’occasion de découvrir que le KMT était à la tête d’une immense fortune, estimée entre cinq et huit milliards de dollars américains, qui fait de lui le parti politique le plus riche du monde. Surtout, son électorat traditionnel s’est retrouvé avec deux candidats issus de ses rangs : le vice-président Lien Chan, portant son flambeau, et James Soong Chu-yu, ancien secrétaire général du parti et ancien gouverneur de l’île, se présentant en indépendant.
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