Afrique - Les nouveaux accords Union européenne-Pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique
Depuis les indépendances des pays africains, d’innombrables sommets internationaux jalonnent l’histoire des relations entre le continent, ses partenaires du Nord, et la communauté internationale. Malgré l’importance et l’intensité des relations entre l’Europe et l’Afrique, malgré les nombreuses ambitions euro-africaines affichées depuis les années 70, c’est seulement en cette année 2000 qu’aura été tenu le premier sommet Europe-Afrique, qui a rassemblé au Caire les 3 et 4 avril, pas moins de 35 chefs d’État et de 20 Premiers ministres, ainsi que le roi du Maroc, Mohammed VI, représentant le seul pays africain non-membre de l’OUA. Organisé non sans difficulté à l’initiative du Portugal, ancienne puissance coloniale et présidant durant le premier semestre de cette année l’Union européenne, ce sommet politique avait pour objectif de jeter les bases générales, de définir les grands principes d’un nouveau partenariat entre les quinze pays de l’Union européenne et l’ensemble des États du continent africain.
À l’issue de ce sommet, ont été rendus publics deux longs textes, assez peu originaux : une déclaration générale énumérant les principes du partenariat dans les domaines politiques (démocratie et droits de l’homme), économiques (commerce, investissements et développement) et de la sécurité (paix et prévention des conflits), ainsi qu’un plan d’action, qui recouvre les mêmes domaines et énumère une série d’intentions aussi générales devant guider l’organisation de ce nouveau partenariat. L’événement était sans conteste d’une importance symbolique notable. Il a montré la nécessité de donner une consistance politique plus grande aux nouvelles relations que les deux continents, proches et dotés de nombreux intérêts communs, doivent désormais reconstruire dans l’environnement politique et économique de l’après-guerre froide. Il a montré aussi que si le sentiment existe de part et d’autre qu’un nouveau type de rapprochement est nécessaire, un tel exercice multilatéral mettant face à face d’une part quinze pays européens encore hésitants et divisés sur les grands enjeux de leur politique extérieure commune à peine naissante, et d’autre part plus de cinquante États africains mal à l’aise en ce qui concerne la démocratisation, sérieusement handicapés par leur insécurité, et mal armés pour affronter les évolutions de l’économie mondiale et les grandes batailles commerciales, ne peut aisément franchir des étapes décisives.
Pourtant, ce sommet du Caire s’est tenu un mois à peine après la conclusion à Bruxelles, le 3 février 2000, d’un nouvel accord de coopération entre les Quinze et les 71 pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique, dits ACP. Cet accord, aboutissement de très longues et difficiles négociations remplacera la convention de Lomé IV qui a expiré le 29 février 2000.
La première étape de ce processus de coopération euro-africain avait commencé par la signature du traité de Yaoundé en 1969, qui accordait à 18 anciennes colonies africaines une série d’avantages commerciaux et financiers. Le traité a été relayé en 1975 par la première convention de Lomé qui sera révisée en 1979 et en 1984. En 1989, les accords de Lomé IV étaient signés pour une période de 10 ans et concernaient désormais 15 pays de l’Union européenne et 70 pays ACP. Ils comprenaient quatre volets : politique (une condition à l’aide s’est développée dans les années 90), commercial (préférences tarifaires accordées à la quasi-totalité des produits exportés par les ACP en Europe), sectoriel et thématique (accent mis sur la coopération décentralisée, le secteur privé, etc.), financier enfin (la dotation pour la période 1995-2000 a atteint 100 milliards de francs).
Ce processus euro-africain de coopération est ainsi devenu en quelque trois décennies le plus vaste ensemble de coopération Nord-Sud du monde, regroupant les 7 pays d’Afrique sub-saharienne, 15 des Caraïbes, 8 du Pacifique et les 15 de l’Union européenne. Il s’est forgé au moyen de quatre instruments d’aide financière : le Fonds européen de développement (FED), la Banque européenne d’investissement (BEI), et les deux mécanismes de stabilisation des prix destinés à garantir financièrement les recettes d’exportation des produits agricoles (le Stabex) et des produits miniers (le Sysmin).
Les évolutions politiques, économiques et commerciales ont nécessité une redéfinition en profondeur des principes et des modalités de ces accords de Lomé, malgré les résistances des pays ACP auxquels ils ont profité. La renégociation des accords, engagée officiellement en septembre 1998, s’est très vite fixé une série d’objectifs précis : faire évoluer les relations UE-ACP dans le sens d’un partenariat moins déséquilibré entre le Nord et le Sud, et consolider les volets politique et diplomatique.
Concernant le volet politique, les négociations ont porté sur la question de la condition politique à l’aide européenne, au regard du respect de la démocratie, des droits de l’homme, de la bonne gestion des affaires publiques (lutte contre la corruption). Exigeante sur cette question, l’Union européenne a finalement admis des concessions, en acceptant que cette condition, reconnue par les nouveaux accords, n’implique pas automatiquement une suspension de l’aide. Le respect des principes démocratiques, des droits de l’homme et de l’État de droit est considéré comme un « élément fondamental » du partenariat, mais le non-respect doit faire l’objet de consultations entre les partenaires, avant d’envisager une éventuelle suspension de l’aide. Les cas graves de corruption entraîneront malgré tout l’application de la clause de non-exécution et pourront aboutir à l’arrêt de l’aide.
Concernant le volet économique général, les nouveaux accords font aussi évoluer les dispositifs. Le FED accueillera la majeure partie des crédits qui seront consacrés au développement à long terme et à la lutte prioritaire contre la pauvreté ; la BEI consacrera ses crédits à un soutien plus marqué de l’essor du secteur privé. L’aide sera évaluée et révisée tous les deux ans avec chaque pays, et cette appréciation tiendra compte des résultats économiques du pays aidé. Le Stabex et le Sysmin sont remplacés par des soutiens additionnels, au cas par cas selon les fluctuations des recettes d’exportation des produits de base, accordés dans l’enveloppe générale des crédits d’aide à long terme.
Concernant enfin le volet commercial, la difficulté était de trouver de nouvelles solutions conformes aux règles de l’Organisation mondiale du commerce. Désormais des accords de partenariat régionalisés (Aper) devront être conclus à partir de 2004 et avant 2008. Des exceptions seront autorisées pour certains pays les moins avancés. L’UE, en échange de délais plus longs que prévu à l’origine, a finalement obtenu la reconnaissance de l’importance de l’intégration régionale et sous-régionale par les pays ACP.
Au total, le neuvième FED sera doté d’une enveloppe de 13,5 milliards d’euros (dont un quart environ financé par la France), et la BEI disposera de 1,7 milliard d’euros. S’y ajouteront les 9 milliards d’euros de reliquats non dépensés du 8e FED, soit un total de plus de 22 milliards pour la période 2000-2006.
Ces nouveaux accords, qui devaient officiellement être signés à Fidji le 31 mai 2000, consacrent la place de l’Europe comme premier partenaire des 71 pays de la zone ACP, dont les 47 pays d’Afrique au sud du Sahara, en ce qui concerne la coopération au développement. L’Union européenne aujourd’hui, toutes aides multilatérales et bilatérales additionnées, représente plus de la moitié du total mondial de l’aide publique au développement destinée aux pays du Sud. Pourtant, dans ce domaine, c’est clairement le FMI et la Banque mondiale qui apparaissent comme les locomotives des stratégies et des politiques de coopération. En outre, le sommet du Caire l’a bien montré, l’Europe ne parvient pas vraiment à traduire ses efforts d’aide dans une influence politique à la hauteur des moyens qu’elle mobilise en faveur des pays en développement. ♦