C’était de Gaulle
Avec ce troisième tome, couvrant les années 1966 à 1969, s’achève la tâche que l’auteur s’était fixée. Le dernier mot jeté sur le papier, sa vie, aussi, s’est achevée. Consciencieux jusqu’à la minutie, fin analyste, archiviste et documentaliste, il a jeté dans sa bataille de mémorialiste ses ultimes forces pour une œuvre exemplaire.
Il serait hors de propos de rappeler les querelles internes qui ont marqué cette période agitée. Aussi ne sera-t-il question ici que des affaires de politique étrangère dans ce qui restera, de 1966 à 1968, la belle époque de la diplomatie française, même si, sur certains points, les critiques n’ont pas manqué.
Jusqu’au printemps de 1967, un Premier ministre qui le tranquillise sur le plan intérieur et une Assemblée à sa dévotion permettent au chef de l’État de donner sa pleine mesure sur la scène internationale. La sortie de l’Otan et le discours de Phnom Penh en sont d’éclatantes illustrations. Puis les temps changent. Vinrent, sur le plan extérieur, l’ajournement de la seconde candidature de l’Angleterre à l’entrée dans le Marché commun, la guerre des Six-Jours et les déclarations qui l’entourèrent, l’appel au « Québec libre » et les clameurs qui en furent l’écho, triptyque aussi resplendissant que peut-être fatal.
La sortie de l’Otan fut menée tambour battant, laissant révulsés ceux qui craignaient de déplaire à l’Amérique, mais finalement sans insulter l’avenir et à peu de frais. Le discours de Phnom Penh, prédisant qu’il n’y aurait pas au Vietnam de solution militaire, a connu le retentissement que l’on sait, ponctué par une grande réprobation à l’énoncé de ce qui, pourtant, devenait évident.
Le refus de l’admission immédiate de la Grande-Bretagne parmi les partenaires du Marché commun fut acquis non sans mal, mais aussi sans crise. Il laissa cependant des cicatrices.
La guerre des Six-Jours fut précédée d’un avertissement du gouvernement français : « Celui qui ouvrirait le feu le premier n’aurait ni notre approbation ni notre appui », qui sema la consternation en Israël. Cinq mois après le conflit, lors d’une conférence de presse, le chef de l’État revenait sur le sujet, parlant des Juifs comme d’un « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». Ce fut un beau tollé, qui, pour plus d’un de ses fidèles, ternit l’image du Général. Alain Peyrefitte replace néanmoins ces qualificatifs dans l’idéologie gaullienne : « Ah, qu’il eût aimé qu’on pût les appliquer au peuple français ! », soulignant par ailleurs son « admiration pour ce peuple de si longue durée, pour cette histoire qui résiste à toutes les séductions, réductions et persécutions de l’histoire ». Il ajoute que, trois mois avant la conférence de presse, le Général s’était rendu à Auschwitz, que, dans ses Mémoires de guerre, il parle à trois reprises des persécutions contre les juifs et que, dans trois textes de 1940, il condamnait la législation antisémite de Vichy et la disait nulle et non avenue.
« Vive le Québec libre ! » : quatre mots lancés à la foule qui provoquent un choc dont les secousses se font encore sentir. La thèse de l’auteur est que l’affaire fut préparée de longue main, et l’occasion saisie en temps opportun. « On ne fait avancer l’histoire qu’à coups de boutoir. Dorénavant, les Canadiens anglais ne pourront plus faire comme si le problème du Canada français n’existait pas. » Que ces paroles du Général soient justifiées ou non, les événements sont allés bon train dans le sens des libertés accordées au Québec. En outre, deux référendums sur la souveraineté ont eu lieu, négatifs certes, mais le second de peu, en attendant probablement un troisième.
Textes austères peut-être, qui ont leur âge, à lire en jaugeant les termes et pesant les virgules si l’on veut en tirer profit. Textes à méditer et apprécier à la lumière de ce qui s’est passé pendant le tiers de siècle qui les a suivis. Textes dont l’humour n’est pas exclu : à propos de l’agitation des étudiants, « La barbe devenant révolutionnaire ! on aura tout vu » ; à propos de la pilule, « Nous n’allons quand même pas leur rembourser la bagatelle » ; à propos de la révolution culturelle en Chine, « C’est la première fois que je suis traité de chien par des Pékinois ». ♦