Afrique - Sierra Leone : une guerre des plus atroces en Afrique subsaharienne
On a bien failli, depuis le début de l’année, achever d’oublier l’épouvantable guerre qui a ravagé la Sierra Leone depuis 1991. Une guerre atroce, qui a provoqué plus de 20 000 morts, poussé à l’exode la moitié de la population du pays. Massacres et mutilations de civils, enrôlements forcés d’enfants soldats : pendant près de dix ans, ce petit pays d’Afrique de l’Ouest a subi le pire.
En janvier 1999, le Front révolutionnaire uni (Ruf), dirigé par Foday Sankoh, lançait avec ses alliés une brutale offensive sur la capitale, Freetown, dont le bilan s’est soldé par plusieurs milliers de morts. La force régionale de maintien de la paix, l’Ecomog, dominée par le Nigeria, réussissait en février à chasser les rebelles de Freetown. Commençait ensuite une négociation qui allait aboutir, en juillet 1999 à Lomé, à un accord de paix et de partage du pouvoir qui devait au moins permettre de mettre un terme aux combats et aux massacres. Cet accord prévoyait d’abord l’accès à la fonction publique et l’entrée au gouvernement des membres du Ruf, la mise en place d’une commission de gestion des ressources stratégiques (c’est-à-dire le contrôle des zones diamantifères), de la reconstruction nationale et du développement, placée sous la présidence du caporal Foday Sankoh, et enfin une amnistie totale garantissant l’impunité des combattants du Ruf et de leurs chefs pour tous les crimes de guerre.
L’Onu, de son côté, s’engageait à déployer dans le pays une force de maintien de la paix, destinée à remplacer l’Ecomog, dont le Nigeria ne pouvait plus supporter le poids financier. Un programme de cantonnement, désarmement, démobilisation et réintégration des quelque 45 000 combattants, puis une restructuration des forces armées sierra-léonaises et un retrait des mercenaires devaient être réalisés. Si la plupart des observateurs soulignaient l’inacceptable et dangereuse impunité accordée aux rebelles, compte tenu de l’ampleur des atrocités, on avançait alors l’argument selon lequel la majorité de la population du pays était encline à accepter cette injustice si celle-ci était le prix à payer pour une paix immédiate.
Ces conditions étaient en tout cas cautionnées par les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Nigeria, principaux parrains internationaux de l’accord. Du côté de l’Onu, le doute existait, mais après des années de retrait du continent africain, et surtout après les échecs traumatisants en Somalie et au Rwanda, la nouvelle opération de maintien de la paix apparaissait comme une étape importante d’un retour en Afrique. L’envoi d’une force de casques bleus, la Minusil, est approuvé à New York en octobre 1999, alors que le retrait de l’Ecomog est programmé pour mai 2000.
C’est précisément le 2 mai que les rebelles du Ruf lancent leur offensive contre les forces de la Mission des Nations unies en Sierra Leone (Minusil), prenant parmi elles des centaines d’otages. La situation dégénère à nouveau dans le pays et à Freetown. L’Onu, le Nigeria, les grandes puissances qui ont soutenu l’opération de maintien de la paix sont brutalement mis au pied du mur par les rebelles, qui font ainsi la démonstration de l’inefficacité des efforts onusiens pour les désarmer et se déployer dans les zones sensibles, en particulier celles où se trouvent les diamants.
Cette nouvelle crise sierra-léonaise est vite apparue comme un test de la crédibilité du retour amorcé de l’Onu en Afrique. Les contingents de la Minusil, insuffisants en nombre, mal équipés, dotés d’un mandat inadapté, ont finalement été les premières victimes d’une conception du maintien de la paix en Afrique imposée par les grandes puissances et basée sur le principe de l’engagement minimal, voire nul de leur part, et de la mobilisation la plus restreinte de moyens logistiques et financiers. La démonstration a été faite qu’un maintien de la paix « au rabais » pour l’Afrique ne fonctionnait pas. Il a fallu reconsidérer le dispositif et le renforcer notablement après le passage difficile de la libération des quelque 500 otages fin mai, sans doute l’incident le plus grave et le plus humiliant de l’histoire des opérations onusiennes.
Cette crise restera aussi très marquée par le retour de la Grande-Bretagne en Afrique. Après des décennies de distance envers ce continent, et depuis les indépendances, une politique non interventionniste radicalement différente de celle de la France à l’égard de ses anciennes colonies, le gouvernement de Tony Blair avait manifesté un intérêt nouveau, plus ouvert et plus actif quant aux questions africaines. Il l’a montré en s’engageant aux côtés de la France pour l’appui au développement des capacités africaines de maintien de la paix. Il l’a montré encore en s’engageant dans la crise zimbabwéenne à propos de l’occupation des fermes appartenant à des Blancs.
En Sierra Leone, où Londres s’était déjà montré actif au cours des précédents épisodes, le gouvernement britannique s’est très vite, début mai, largement engagé en y organisant sa plus importante intervention militaire depuis la guerre des Malouines : 800 soldats avec du matériel lourd déployés à Freetown, une centaine de commandos SAS dans le pays, une armada au large des côtes sierra-léonaises. C’est cette intervention britannique, la première du genre dans le continent, qui a permis de rétablir la situation en faveur du gouvernement légal du président élu Ahmed Tejan Kabbah, que Londres a constamment soutenu, et qui doit à présent bénéficier d’une nouvelle aide militaire pour remettre sur pied ses forces armées.
Au cœur du conflit sierra-léonais, comme dans d’autres conflits africains, en Angola ou en République démocratique du Congo, tous les efforts de paix ont buté sur le problème du pillage des richesses, en l’occurrence les diamants abondants dans l’Est du pays. Depuis le début du conflit en 1991, le contrôle des zones diamantifères est apparu comme un enjeu essentiel. Le mouvement rebelle du Ruf, appuyé à l’origine par le Liberia, a toujours eu pour objectif principal l’accès à ces zones minières. Les diamants exportés avec la complicité de pays voisins (comme en Angola et en RDC) lui ont permis de se procurer de grandes quantités d’armes, y compris du matériel lourd, se jouant des embargos et narguant les efforts de désarmement de l’Onu.
Ce sont d’ailleurs, selon les experts, les premiers déploiements des casques bleus dans ces zones diamantifères qui auraient déclenché l’offensive du Ruf début mai. Après des années de silence, ce problème du pillage criminalisé des richesses minières, élément capital de la poursuite des conflits, est désormais posé publiquement. Une première commission d’enquête mise en place par le Conseil de sécurité des Nations unies à propos de l’Angola en a révélé l’ampleur et les mécanismes. Il devient clairement un nouveau facteur de complication de la gestion des conflits et du maintien de la paix en Afrique. ♦