Gendarmerie - Les Français et la Gendarmerie à propos de deux sondages
Toutes les représentations du gendarme ont contribué à façonner cette image légendaire que chacun de nous connaît : une image faite de sévérité, de dévouement et d’intégrité. Suscitant au sein de la population des sentiments et des comportements ambivalents, mêlant la confiance et la crainte, l’estime et l’ironie, la silhouette du gendarme, présente de façon plus ou moins anecdotique à chaque page du grand livre de l’histoire de France, est indissociable du paysage national. Sillonnant les chemins de campagne à la recherche des déserteurs et autres brigands, indiquant son chemin aux promeneurs égarés et portant assistance aux accidentés de la route, veillant au respect de la loi et assurant la présence de l’État sur la moindre parcelle du territoire, le gendarme est aussi un personnage familier, tout à la fois soldat de l’ordre, policier de proximité, garde champêtre et juge de paix, que la littérature, la chansonnette, le cinéma et la télévision ont maintes fois mis en scène… et en boîte. Aussi le gendarme inspire-t-il confiance et bénéficie-t-il d’une cote d’amour que nombre d’institutions lui envient.
Cette impression se trouve confirmée par deux récentes enquêtes par sondage réalisées, la première, pour la gendarmerie, la seconde, pour un magazine (1). La mise en commun des résultats de ces deux sondages fournit diverses indications sur l’opinion des Français sur la gendarmerie. Pour 87 % des personnes interrogées, cette « organisation à part », pour reprendre la formule de Napoléon, remplit très bien (23 %) ou assez bien (64 %) ses différentes missions de service public, inspirant confiance à 91 % des « sondés » qui reconnaissent aux « pandores » des qualités de sérieux (94 %), d’honnêteté (90 %), de compétence (89 %), de respect (89 %) ou encore de serviabilité (85 %) et de disponibilité (78 %). Pour les trois quarts d’entre eux, les gendarmes sont des gens « comme vous » (71 %), voire sympathiques (75 %). Oubliés les pavés, les « mort aux vaches » et autres appels de phare : pour un peu, dans un excès d’amabilité vis-à-vis de ceux que d’aucuns considèrent d’ordinaire comme des « empêcheurs de tourner en rond », avec leurs cinémomètres, leurs PV et leurs matraques, trouverait-on que ces chiffres font figure… de déclaration d’amour. Il est vrai qu’il n’échappe à personne de bonne foi que le gendarme qui réprime est bien le même que celui qui, de jour comme de nuit, protège, porte secours et accueille la victime. Concernant la police de la route, et par-delà l’image répressive qui lui est généralement accolée, les personnes interrogées déclarent apprécier la politesse et le respect dans la façon qu’il a de s’adresser aux usagers (86 %), sa capacité à garder son sang-froid face aux contestations (83 %) et l’information qu’il donne sur la neige ou les déviations (78 %). Et de préciser, avec le débat sur le dualisme policier en toile de fond, qu’ils sont 89 % à être satisfaits de l’action de la gendarmerie contre 79 % pour la police, 57 % à placer la gendarmerie à la première place pour la proximité avec la population contre 35 % pour la police. Sur le ton du courrier du cœur, on pourrait alors conclure que les Français… aiment (un peu) plus leurs gendarmes que leurs policiers.
Au-delà de ces indications sur le capital confiance, aux allures de plébiscite, dont bénéficie la gendarmerie, ce que les observations sur le terrain permettent d’ailleurs de confirmer empiriquement notamment dans les zones rurales, le second sondage montre également une certaine lucidité de la population à l’égard de la situation actuelle de l’institution. En effet, 60 % des personnes interrogées, probablement alertées par les reportages réalisés récemment par les médias, reconnaissent l’existence d’un malaise dans ses rangs. Par ailleurs, sur un autre plan, il est intéressant d’observer que le fait d’avoir eu affaire à la gendarmerie ne modifie guère cette perception globalement positive, le contact sur le terrain avec le gendarme contribuant à écorner quelque peu la bonne image de l’institution, notamment au sujet de la qualité des relations humaines dans ses relations avec la population (77 % pour les « usagers » et 84 % pour les « non-usagers ») ou encore de sa propension à faire preuve d’ouverture d’esprit (64 % pour les « usagers » et 70 % pour les « non-usagers »). Dans quelles circonstances, au cours des vingt-quatre derniers mois, le gendarme a-t-il rencontré le citoyen ? D’abord, en l’arrêtant sur les routes (46 %), mais aussi en l’accueillant dans les locaux de la brigade (37 %), en répondant à ses appels téléphoniques (28 %) et en le contactant pour une enquête (14 %), le secours (en montagne ou sur la route) ne concernant logiquement qu’un nombre plus réduit d’usagers (7 %).
Sans souscrire aux critiques aussi injustes que virulentes souvent assénées à la pratique des sondages d’opinion, leur utilisation pour comprendre et expliquer les phénomènes sociaux suppose toutefois de se livrer à une démarche résolument critique au sujet à la fois de leurs conditions de production (en particulier, en intégrant l’influence de la formulation et de l’ordre des questions posées sur les réponses), mais aussi des interprétations et commentaires auxquels ils donnent lieu immanquablement. Les termes utilisés dans le questionnaire peuvent être compris et interprétés de manière différente selon les individus. Ainsi, si 43 % des personnes interrogées considèrent le « maintien de l’ordre » comme un domaine prioritaire pour la gendarmerie, on peut se demander ce que signifie alors pour elles cette expression : la sécurité des personnes et des biens, la lutte contre les désordres et la petite délinquance ou bien la police des manifestations de rue ? Et de douter que ce soit justement cette dernière signification, pourtant celle retenue par le droit et la pratique, qui recueille autant de suffrages. De même, l’analyse doit éviter tout rapprochement hâtif avec des réponses données. Pour prendre un exemple concret emprunté, lui aussi, au second sondage. À la question : « Avez-vous le sentiment de bien connaître les principales missions de la gendarmerie ? », les réponses furent les suivantes : très bien : 10 % ; assez bien : 48 % ; assez mal : 31 % ; très mal : 11 %. Dans le commentaire, en laissant de côté le caractère vague et équivoque de l’expression « avoir le sentiment de connaître », qui peut donner lieu également à des interprétations différentes selon les individus, il pourrait être commode d’ajouter le pourcentage des deux premières propositions de réponse pour indiquer que 58 % des Français connaissent bien les missions de la gendarmerie. De la même manière, les réponses « assez bien » et « assez mal », qui nuancent, à des degrés différents, la réalité de cette connaissance, pourraient aussi être cumulées, de manière à souligner que 79 % des personnes interrogées ne connaissent pas très bien les missions de la gendarmerie. Étant entendu que rien ne permet de vérifier la réalité de cette connaissance, de sorte qu’il est réaliste de considérer que le « sentiment de connaître » procède largement d’une connaissance intuitive, qui fait la part belle aux expériences personnelles et aux stéréotypes, quand ce n’est pas à l’ignorance et au hasard. Encore convient-il d’indiquer, pour nuancer ce constat, que le premier sondage montre que, dans l’ensemble, les personnes interrogées distinguent nettement gendarmerie et police : elles sont 88 % à déclarer savoir que les gendarmes ont un statut militaire, ce qui semble avantageux à 75 % d’entre elles.
L’appréciation, voire l’évaluation de l’action des institutions ne peut se limiter, tant s’en faut, à l’exploitation des résultats de sondages. Instruments de mesure sans valeur prédictive, ces derniers ne livrent qu’une photographie superficielle et contingente de l’opinion, les sociologues Pierre Bourdieu et Patrick Champagne ayant même montré que, malgré la formulation tangible et chiffrée fournie par le sondage, l’opinion publique demeurait une construction abstraite, une authentique fiction. Aussi, loin de constituer un témoignage de satisfaction, ce type de données doit être regardé davantage comme une indication pertinente sur l’étendue des attentes de la population à l’égard des institutions de sécurité en général et de la gendarmerie en particulier. Ainsi, que l’on demande aux individus les domaines pour lesquels ils sont satisfaits de l’action de la gendarmerie ou ceux dans lesquels cette institution doit faire porter prioritairement ses efforts, viennent largement en tête la prévention de la délinquance et la présence sur le terrain (78 % et 83 %), l’assistance et le secours aux personnes et aux biens (93 % et 54 %), ainsi que la sécurité routière (84 % et 42 %), c’est-à-dire la sécurité de proximité. Le domaine des enquêtes judiciaires (72 % et 20 %), plus éloigné de leurs préoccupations quotidiennes, semble nécessiter, selon eux, un moindre investissement : pour 37 % des personnes interrogées, la gendarmerie devrait améliorer quantitativement et qualitativement son contact avec la population et pour 34 % augmenter sa présence sur le terrain. Aussi, bien qu’ils puissent être légitimement considérés comme la récompense de l’investissement et du dévouement de générations de gendarmes au service de la collectivité, les résultats de ces sondages apparaissent plutôt comme un encouragement qui leur est ainsi donné de poursuivre, par un effort d’adaptation et de modernisation, cette action qui semble donner globalement satisfaction aux Français. ♦
(1) Sondage réalisé par l’Ifop du 2 au 4 mars 2000 auprès d’un échantillon de 1 002 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, pour la direction générale de la gendarmerie, publié dans Gend Info du mois de juin 2000. Sondage réalisé par la Sofres du 2 au 21 avril 2000 auprès d’un échantillon de 965 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, pour Le Pèlerin magazine, publié dans son numéro du 30 juin 2000.