Défense dans le monde - L'Europe et ses satellites
L’Union européenne ne se contente pas d’assainir des pans entiers de l’économie de ses quinze membres. Elle sait aussi investir dans des activités à forte valeur ajoutée comme les satellites.
Le contrôle des politiques communautaires
Le contrôle de la politique de la pêche et de la politique agricole commune repose sur un dispositif à base de satellites.
La connaissance de la position des navires est indispensable à la vérification des droits à subventions au titre de la politique de la pêche. À cette fin, depuis 1992, la Commission européenne a décidé d’utiliser les possibilités de suivi par satellites des mouvements des bateaux de l’UE. Un émetteur, dit « boîte bleue », donne automatiquement leurs coordonnées via le GPS. Ces informations sont ensuite collectées par les États membres qui sont chargés du contrôle de l’application de cette politique européenne. La Commission peut en demander communication pour vérifier l’efficacité du contrôle. Ce système VMS (Vessel Monitoring System) permet de s’assurer qu’un navire se trouve dans la zone correspondant au permis qu’il a obtenu et que ses accostages sont conformes aux déclarations de débarquement du poisson qu’il a déposées. L’Union a financé l’équipement progressif en boîtes bleues de la flotte européenne. Au départ, il ne s’agissait de les installer que sur des bateaux de plus de 24 mètres. Depuis janvier 2000, tous les navires européens en sont équipés.
L’Europe utilise aussi les satellites pour appliquer la politique agricole commune. Les soutiens à l’agriculture représentant plus du tiers des dépenses communautaires, ce flux financier vers les campagnes doit être réduit si l’Union veut disposer de marges budgétaires pour financer d’autres politiques prioritaires. Ceci passe notamment par une énergique action de lutte contre les fraudes. Dans ce but, la direction générale « agriculture » de la Commission a besoin de connaître avec précision les superficies agricoles et leur mode de culture afin de vérifier la correspondance de celles-ci avec les demandes de subvention qui lui sont remises. Depuis 1998, elle s’est ainsi dotée d’un système de recueil des informations par satellites qui lui permet de contrôler les déclarations des exploitants agricoles. Ce dispositif se base sur le Centre commun de recherche (CCR) d’Ispra (Italie) et particulièrement sur son Institut des applications spatiales (IAS). Sa mission est de fournir un soutien technique aux politiques communautaires en transformant les données d’origine satellitaire en informations administrativement exploitables.
Pour une meilleure application de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel, le CCR développe aussi des technologies de repérages des champs de mines par satellites et les senseurs de télédétection adaptés. Ces activités contribuent à asseoir l’influence de l’Union dans ce secteur sensible.
D’une façon plus générale, ce centre a acquis, depuis 1997, un rôle central dans l’action de l’Union européenne puisqu’il est chargé de la coordination de ses activités spatiales. Pour aller un peu plus loin et rechercher une cohérence de l’action de l’Union avec celle de l’Agence spatiale européenne (European space agency, ESA) et avec d’autres organisations actives sur le continent européen, il a aussi mis sur pied un « groupe consultatif spatial » (Space Advisory Group, SAG) qui réunit la Commission, les États membres, l’ESA, Eumetsat (les satellites météo européens) et l’Union de l’Europe occidentale (UEO). C’est à la suite de ses travaux que la Commission a adopté en 1999 un document de travail intitulé « Vers une approche européenne cohérente de l’espace » qui trace les grandes lignes d’une action européenne pour les années à venir.
De l’UEO à l’UE
L’UEO a su se doter d’un organe dont aucune autre institution internationale, pas même l’Otan, ne dispose : le Centre satellitaire. Installé à Torrejòn dans la banlieue de Madrid, il met à la disposition des membres de l’UEO des produits d’interprétation d’images satellitaires et aériennes. Le Centre ne disposant pas en propre de moyens de recueil de l’information, il s’appuie sur les services d’Helios et d’autres vecteurs dont les produits sont commercialisés.
Il a ainsi développé le concept de SIG (système d’information géographique) qui permet, dans un délai très court, de fournir une couverture photographique d’une zone déterminée pour un usage opérationnel. Ce système a été utilisé, notamment, pour des études d’objectifs, pour la préparation, ou la confirmation, de la décision politique. Les conflits dans les Balkans lui ont opportunément fourni l’occasion de roder son activité et d’approcher au plus près des besoins des gouvernements européens. Dans ces conditions, nul doute que, l’UEO disparaissant, ce Centre survivra en étant transféré, d’une façon ou d’une autre, à l’Union européenne. Le Conseil des ministres de l’UEO qui s’est réuni le 13 novembre 1999 a, en effet, décidé de lui conserver sa vocation militaire et de le rattacher au secrétaire général du Conseil de l’Union européenne dont il constituera un pivot de l’action de prévention des conflits. Le niveau très élevé de l’autorité dont il dépendra suffit d’ailleurs à montrer la valeur politique de ce Centre.
Son adjonction à celui d’Ispra dans le dispositif communautaire constitue une base très solide pour l’UE dans le domaine satellitaire. Avec le temps, il restera à déterminer si une rationalisation de ces deux installations s’avère nécessaire.
Galileo
L’Union européenne s’est engagée dans la réalisation d’un système de positionnement et de navigation par satellites ou GNSS (Global Navigation Satellites System). Jusqu’à maintenant, elle exploitait des systèmes mis en place par d’autres. Avec ce programme qui a commencé en 1999, elle va, désormais, devenir propriétaire d’une grappe de satellites qu’elle exploitera de façon autonome à partir de 2008.
Les enjeux sont importants.
D’abord, ce système requiert la collaboration de trois organisations : l’Union européenne, l’Agence spatiale européenne, dont les compétences techniques seront mises à contribution, et Eurocontrol qui utilisera Galileo pour mieux réguler le trafic aérien européen. Cette coopération constituera un défi institutionnel sérieux puisque ces institutions n’ont ni les mêmes missions ni les mêmes membres.
Ensuite, Galileo sera, de fait, un concurrent du GPS américain avec, cependant, une différence de taille puisque le système européen sera géré par une autorité civile : la direction générale transports et énergie de la Commission. Il faudra de plus que le système européen soit compatible avec le GPS car l’aviation civile ne pourra admettre de voir ses appareils jongler avec deux systèmes différents. Ils doivent pouvoir fonctionner en toute sécurité sur les deux GNSS à la fois.
L’UE a besoin de fréquences dans les bandes L1, L2 et L5. Lors de la conférence mondiale des radiocommunications d’Istanbul, au printemps dernier, elle a bien reçu les fréquences de la bande L5 dont ce système a besoin, mais pour les bandes L1 et L2, il lui faudra passer des accords avec les Américains et les Russes, qui en sont actuellement bénéficiaires.
Malgré son pilotage civil, la création d’un tel système en Europe ne peut qu’éveiller l’intérêt des militaires. Les réseaux nécessaires à leurs activités pourraient, en effet, être hébergés par le canal « gouvernemental » déjà prévu pour Galileo. Cette évidence n’ira sans doute pas de soi pour tous les pays de l’Union car ils n’ont ni la même perception du rôle militaire d’un GNSS ni les mêmes besoins militaires d’accès. En fin de compte, Galileo aura probablement besoin des financements des ministères de la Défense, ce qui facilitera les négociations.
En dernier lieu, certaines communications et liaisons auront besoin d’être cryptées. Un beau champ de coopération internationale s’ouvre aussi dans ce domaine.
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Le développement des activités européennes et les regroupements fonctionnels auxquels il donne lieu seront de nature à renforcer l’identité internationale de l’Europe dans le domaine aérien et spatial.
Comme un premier signe de ces synergies objectives, le 27 septembre dernier, la Commission et l’Agence spatiale européenne ont annoncé leur intention de mener un travail commun pour relancer la construction de satellites en Europe.
Octobre 2000