Marine - Dans la Marine française : la perte du sous-marin Eurydice - Lancement de l'Aconit et du Triton - La modernisation du Colbert - Dans l'US Navy : le projet de budget 1970-1971
Dans la marine française
La perte du sous-marin Eurydice
Le sous-marin Eurydice a disparu en mer le 4 mars 1970 au large du cap Camarat alors qu’il effectuait un exercice élémentaire avec un appareil de l’Aéronautique navale. Cet avion avait pris contact avec le sous-marin qu’il avait aperçu à 7 h à l’Est du Cap précité alors qu’il naviguait à l’immersion périscopique. Après un échange de communications jusqu’à 7 h 13 en VHF, l’avion a cessé volontairement le contact radio, radar et visuel avec l’Eurydice. N’ayant plus eu par la suite de contact avec le sous-marin, l’avion a prévenu sa base de Nîmes-Garons qui a répercuté l’information sur la Préfecture maritime à Toulon. Celle-ci a déclenché à partir de 10 h 50 les opérations de recherche. De nombreux aéronefs et bâtiments ont été aussitôt dépêchés sur les lieux. Vers 13 h, une tache de combustible a été repérée et vers 15 h 30 des débris recueillis ont été identifiés comme provenant de l’Eurydice. La position de la tache et des débris était dans le 130 à 7 nautiques du cap Camarat, par fonds de 1 500 m. Le laboratoire de détection géographique du Professeur Rocard a enregistré une forte explosion venant de la mer à 7 h 28. C’est probablement à cette heure que l’Eurydice a implosé. Cette catastrophe a entraîné la mort de 57 officiers et marins dont un lieutenant de Vaisseau de la Marine pakistanaise en instruction.
C’est depuis 1939, le 16e sous-marin appartenant au monde occidental qui coule ainsi en dehors d’opérations de guerre. Sur ces seize sous-marins, cinq appartenaient à notre Marine, l’avant-dernier en date étant la Minerve disparue le 27 janvier 1968 au large de Toulon, quatre à la Royal Navy, quatre à l’US Navy, un à la Marine turque, un à la Bundesmarine allemande et un autre enfin à la Marine israélienne.
Les exercices au cours desquels ont disparu la Minerve et l’Eurydice étaient tout à fait élémentaires, sans aucune prétention tactique visant essentiellement à entraîner les équipages d’avions de lutte anti-sous-marine. Pour le déroulement d’un tel exercice, le sous-marin fait varier son immersion, entre l’immersion périscopique et une immersion de l’ordre de 50 m et ces changements d’immersion n’ont pas besoin d’être effectués avec une grande rapidité. Il n’y a aucune raison a priori d’incriminer le matériel. La Minerve et l’Eurydice appartiennent à la classe Daphné dont le prototype est entré en service il y a près de six ans. Jusqu’à la disparition de la Minerve, ces sous-marins n’ont absolument donné lieu à aucun déboire. Leurs qualités principales sont une marche parfaitement silencieuse en plongée et la possibilité de s’immerger à très grande profondeur.
Une commission d’enquête présidée par le vice-amiral d’escadre Guidon a été désignée aussitôt après la perte de l’Eurydice : elle comprend des officiers et ingénieurs sous-mariniers tout particulièrement compétents et expérimentés. Cette commission dont les travaux sont en cours, se penche sur toutes les causes possibles de l’accident, tant au point de vue du matériel que du point de vue du personnel. Elle étudie notamment les résultats des expertises auxquelles se sont livrés les spécialistes des constructions navales sur la coque du cargo tunisien Tabarka et des autres navires de commerce qui se trouvaient dans la zone d’exercice à l’heure de la catastrophe. Cette zone a été justement définie pour que les exercices se déroulent en dehors des routes habituellement fréquentées par les navires marchands.
Pour connaître la cause exacte de la perte de l’Eurydice, la Marine nationale s’est assuré le concours des moyens techniques les plus élaborés existant actuellement dans le monde. C’est ainsi qu’elle a fait appel à l’US Navy qui a bien voulu dépêcher sur les lieux le bâtiment de recherche océanographique Mizar avec lequel elle a pu repérer en octobre 1968 et photographier de multiples fois, par plus de 3 000 m de fond, l’épave du sous-marin nucléaire d’attaque USS Scorpion disparu corps et biens, vers le 27 mai 1968, à 400 miles au sud-ouest des Açores.
Le Mizar est un bâtiment de 5 000 tonnes environ doté d’un équipement spécial qui permet de remorquer par très grand fond un « poisson » doté d’appareils électroniques et optiques. Ce « poisson », long d’environ huit pieds et qui pèse une tonne, est remorqué à une vitesse très lente à quelque vingt-cinq pieds au-dessus du fond sous-marin. Le câble de remorquage est long d’environ 6 000 m. La Marine s’est également assuré le concours du bâtiment de recherches Charcot que le CNEXO (Centre national pour l’exploitation des océans) a bien voulu mettre à sa disposition.
Lancement de l’Aconit et du Triton
La corvette Aconit a été mise à l’eau le 7 mars 1970 dans la grande forme de l’arsenal de Lorient en même temps que le bâtiment d’intervention sous-marine Triton.
L’Aconit est un escorteur anti-sous-marin d’environ 3 800 t en pleine charge (tpc). Il faisait partie d’une classe de cinq bâtiments inscrite au second programme quinquennal mais qui finalement se réduira à un seul, l’État-major de la Marine ayant résolu de modifier les plans de ces corvettes pour qu’elles puissent mettre en œuvre deux hélicoptères ASM et le missile surface-surface Exocet (MM38). Aussi les corvettes suivantes seront-elles plus grandes (5 600 t) et plus rapides (32 nœuds). De ce fait, leur coût s’étant accru dans d’assez notables proportions, il a été décidé de réduire de quatre à trois le nombre des successeurs de l’Aconit inscrits au programme 1965-1970. La vitesse de l’Aconit sera de 27 nœuds. Son armement contre les sous-marins comprendra une rampe d’engins Malafon, porteurs de torpilles autochercheuses capables d’être lancées jusqu’à 13 000 m, deux catapultes de lancement de torpilles autochercheuses et un mortier quadruple de 305 pour l’attaque des sous-marins à moyenne et courte portée. Ces armes seront associées à un sonar omnidirectionnel en bulbe d’étrave et un sonar remorqué dont l’imposant treuil de manœuvre est implanté sur la plage arrière du bâtiment. La DCA de l’Aconit sera assurée par deux tourelles de 100 à tir rapide, télécommandées par télépointeur optique radar ou par poste optique.
L’Aconit sera doté d’un radar de navigation et d’un radar de veille à fonctions multiples permettant, entre autres, d’assurer soit la veille surface, soit la veille air en vue de l’action anti-sous-marine ou pour l’autodéfense contre avions ou bâtiments.
Les informations recueillies par ces radars comme celles qui le seront par les sonars du bâtiment seront traitées dans des calculateurs arithmétiques qui, en toute situation, sélectionneront et visualiseront les éléments nécessaires à la décision et assumeront la conduite automatique des armes AA et ASM. Ces informations pourront être en outre transmises automatiquement aux autres bâtiments de la force navale à laquelle appartiendra l’Aconit.
Le Triton qui déplacera 1 500 t environ et marchera à 13 nœuds sera affecté au Groupe d’études et de recherches sous-marines (GERS) de Toulon dès la fin de cette année. Il est destiné à l’expérimentation de tous matériels de plongée, à la mise en œuvre de tous les moyens d’observation et d’exploration sous-marines. Il servira de base pour les plongées profondes et pourra participer au sauvetage des sous-marins. En temps de guerre, il servira de bâtiment-base pour les équipes de plongeurs-démineurs. Ces diverses missions ont entraîné l’installation à bord du Triton d’équipements spécifiques : cale spéciale pour le stockage d’engins de plongée (petit sous-marin, soucoupes plongeantes, etc.) ; propulseurs cycloïdaux à axe vertical donnant au bâtiment une manœuvrabilité à faible vitesse et un ancrage dynamique pour tenue au point fixe au-dessus des sites de plongée. Le Triton sera doté d’une tourelle immergeable utilisable pour des plongées d’intervention, d’observation ou à « saturation » jusqu’à une profondeur de 250 m. Il disposera également d’un caisson multiplace, élément de base des plongées à saturation effectuées lors des opérations du type « maison sous la mer ». La détection sous-marine sera assurée par un équipement sonar ainsi que par un réseau de télévision sous-marine. Le Triton sera enfin doté d’une plate-forme pour l’appontage d’un hélicoptère Alouette III.
La modernisation du Colbert
Pour des raisons essentiellement financières, la modernisation du croiseur antiaérien Colbert qui devait commencer à Brest le 1er janvier 1970, sera moins importante qu’il n’avait été envisagé lorsque la décision de refondre ce bâtiment avait été prise il y a quelques mois.
Après avoir longtemps hésité, Michel Debré, ministre d’État chargé de la Défense nationale, a finalement autorisé la mise en route des travaux.
Le Colbert, comme prévu, sera équipé d’une rampe de lancement pour missiles surface-air Masurca mais son artillerie ne sera pas totalement remaniée. L’artillerie de 127 sera certes débarquée et remplacée par un groupement de deux 100 automatiques mais six affûts doubles latéraux de 57 AA seront conservés. La refonte des équipements électroniques portera essentiellement sur la modernisation des radars et l’installation d’un système d’exploitation des informations tactiques analogue à celui des deux frégates classe Suffren.
La modernisation des installations du Colbert a été conçue de telle sorte qu’elle ne gênerait en aucune façon l’installation ultérieure, à peu de frais, de missiles surface-surface Exocet si le besoin de doter ce bâtiment de ce formidable armement offensif se révélait nécessaire.
Dans l’US Navy : le projet de budget 1970-1971
Le projet de budget de Défense américain pour l’exercice 1970-1971 commençant le 1er juillet 1970 a été analysé dans son ensemble dans la chronique militaire d’avril dernier. Dans ce budget, la part de la Navy et du Marine Corps se monte à 21 744 millions de dollars ce qui représente 30,1 % du budget total de la défense contre 29,5 % l’an dernier. Il est articulé comme suit :
– personnel militaire (active et réserve) : 6 095 M$, soit 28 % ;
– opérations et maintenance : 5 161 M$, soit 23 % ;
– achats de matériel : 7 963 M$, soit 36 % ;
– recherche et développement : 2 197 M$, soit 10,1 %.
La mise en réserve dès cette année de plus d’une centaine de bâtiments de guerre, le retrait du service prévu de nombreuses autres unités dû à la diminution des opérations au Vietnam, les contraintes économiques, etc., ont entraîné et vont entraîner une importante déflation des effectifs de la Navy. Ceux-ci se monteront en fin d’exercice, soit le 30 juin 1971, à 643 840 hommes, dont 76 650 officiers.
Pour ce qui concerne le Marine Corps, la désactivation de la 5e division, division de réserve qui avait été mise sur pied en 1966, sera achevée le 30 juin 1970 et, à cette date, le Marine Corps sera à nouveau articulé en trois divisions avec les Force Troops associées et trois Marine Air Wings.
À la fin de l’exercice 1970-1971, son potentiel humain doit en principe s’élever à 241 185 officiers et soldats. Les effectifs de la Réserve atteindront en fin de fiscal year 132 350 hommes pour la Navy et 48 561 pour le Marine Corps ce qui, pour ce dernier, correspondra à une division.
Le nombre des navires en service de toutes catégories n’est pas, cette année, indiqué dans le projet de budget. Cela est sans doute dû au fait qu’aucune décision n’a encore été prise sur le maintien ou non en activité d’un certain nombre d’unités amphibies ou auxiliaires. Pour ce qui concerne la capacité de transport des forces amphibies, la seule chose que l’on sait c’est qu’elle sera maintenue à son niveau actuel, c’est-à-dire à quatre Military Expeditionary Brigades (MEB) : deux dans le Pacifique et deux dans l’Atlantique. Chacune de ces MEB représente en gros 6 000 h y compris les Force Troops associées et un Marine Air Group. La composition des forces de combat sera en gros la suivante :
– sous-marins nucléaires lance-missiles : 41 ;
– porte-avions d’attaque : 16 ;
– porte-avions anti-sous-marins : 4 ;
– sous-marins d’attaque : 105 dont 52 nucléaires ;
– autres navires de combat : 243.
L’aviation embarquée sur les porte-avions d’attaque se montera à 1 430 appareils répartis en 72 squadrons (14 groupes). Le nombre des groupes aériens de l’aviation ASM embarquée sera de quatre comme présentement. L’aviation ASM basée à terre forte de 300 avions sera entièrement équipée en quadrimoteurs Lockheed P-3 Orion. Tous les Lockheed P-2 Neptune encore en formation seront retirés du service.
Le chapitre « Achat de matériel » prévoit la construction de 14 bâtiments soit :
– 1 frégate nucléaire lance-missiles ;
– 6 destroyers ;
– 3 sous-marins nucléaires rapides ;
– 2 bâtiments amphibies de 40 000 t du type Landing Helicopter Assault (LHA) ;
– 2 bâtiments de recherches océanographiques ;
et des fonds d’avance pour la construction d’un porte-avions nucléaire (ce sera le quatrième de l’US Navy) et de deux LHA supplémentaires qui seront inscrits 3u projet de budget 1971-1972.
La conversion ou la modernisation de quatre frégates lance-missiles, de six sous-marins lance-missiles Polaris en Poseidon et de cinq dragueurs océaniques est également inscrite au projet de budget.
Pour ce qui concerne l’aviation navale, les crédits demandés doivent permettre de financer 261 aéronefs nouveaux. Les principales acquisitions porteront sur le Grumman F-14A Tomcat, le P-3 Orion et un certain nombre d’avions à décollage vertical Hawker Siddeley Harrier britanniques.
Les fonds prévus au titre de la recherche et développement seront principalement consacrés au programme du bimoteur embarqué Lockheed S-3A qui doit remplacer le Grumman S-2 Tracker périmé. Un autre projet très intéressant pour lequel des sommes importantes sont prévues, est celui qui a été baptisé ULMS (Under sea and ship based Long range Missile System). Il vise à la construction de sous-marins nucléaires plus grands que les SSBN actuels et dotés de missiles balistiques plus nombreux. Ces missiles auront une portée telle qu’elle permettrait à ces sous-marins de rester en station au voisinage des côtes américaines au lieu de se tenir dans une zone relativement proche de leurs objectifs. Ceci aurait l’avantage de réduire l’importance des transits et ferait bénéficier ces sous-marins d’une meilleure protection face aux contre-mesures adverses, en raison de la proximité des moyens de défense. ♦