Aéronautique - Bilan des forces aériennes en présence au Moyen-orient - Construira-t-on le MRCA (Multi Role Combat Aicraft) ? - Polémique autour du MRCA - La vocation européenne de la Grande-Bretagne - Attaque en Ganasie
Bilan des forces aériennes en présence au Moyen-Orient
Depuis la guerre des Six Jours, les opérations épisodiques qui opposent Israël à ses adversaires arabes font l’objet de bulletins contradictoires de part et d’autre. Le renforcement militaire des deux camps s’est révélé plus ou moins laborieux en particulier pour Israël dont les achats de Dassault Mirage 5 en France ou les commandes de McDonnell Douglas F-4 Phantom II et Douglas A-4 Skyhawk aux États-Unis ont fait l’objet de l’attention internationale. L’examen des forces en présence illustre clairement l’insuffisance du seul bilan des potentiels matériels pour justifier d’un équilibre plus ou moins stable entre deux blocs antagonistes. Au moment où chaque adversaire s’efforce de compléter ou recompléter son armement, il nous a paru opportun de faire le point de la situation sur le plan aérien, telle qu’elle a pu être établie par l’Institut des études stratégiques, au 1er janvier 1970.
|
Israël |
RAU * |
Syrie |
Irak |
Jordanie |
Effectifs |
|
|
|
|
|
Avions de Combat : |
8 000 |
15 000 |
9 000 |
6 000 |
1 750 |
– Bombardiers |
15 |
42 |
0 |
18 |
0 |
– Chasseurs-bombardiers |
118 |
210 |
90 |
115 |
11 |
– Intercepteurs |
77 |
100 |
55 |
60 |
0 |
– Avions de complément |
65 |
48 |
0 |
20 |
0 |
Total |
275 |
400 |
145 |
213 |
11 |
Transport |
32 |
60 |
18 |
40 |
5 |
Hélicoptères |
40 |
50 |
10 |
20 |
7 |
Missiles sol-air |
100 |
300 |
100 |
0 |
0 |
* NDLR : Égypte.
Le matériel est en totalité d’origine étrangère, presque entièrement français pour Israël, et en majorité russe pour le bloc arabe. Israël utilise, en plus des Fouga, Dassault Ouragan, Mystère IV, SMB-2 (Super-Mystère B2) et SNCASO SO-4050 Vautour des appareils plus modernes Dassaut Mirage IIIC (65), Skyhawk (48) et Super Frelon (10) (1). Les forces aériennes arabes mettent en œuvre des bombardiers légers (Tupolev Tu-16 Badger et Iliouchine Il-18), des chasseurs bombardiers anciens (Mikoyan-Gourevitch MiG-15, MiG-17) ou plus évolués (MiG-19, Su-7, Hawker Hunter en Jordanie et Irak), des intercepteurs du type MiG-21.
Les missiles sont des Hawk pour Israël et des SAM-2 Guideline pour les États arabes.
Le bilan global des avions de combat, 770 pour les Arabes contre 275 à Israël est mis en avant par ce pays pour obtenir à tout prix les moyens aériens qui lui semblent nécessaires en cas de conflit généralisé, tandis que la République arabe unie (RAU) cherche à se procurer des SAM-3 qui compenseraient l’infériorité de son armée de l’air sur le plan de l’entraînement.
Les succès remportés par Israël depuis 1967 démontrent amplement que la supériorité ne peut être acquise par une simple accumulation des moyens et qu’il faut également faire entrer en ligne de compte les facteurs humains, tâche difficile s’il en est.
Construira-t-on le Multi Role Combat Aircraft (MRCA) ?
Après de nombreuses vicissitudes, le MRCA appareil de combat européen à missions multiples, va être soumis à la décision finale qui engagera son avenir.
Destiné à remplacer les moyens de supériorité aérienne périmés comme le Republic F-84 Thunderjet et le North American F-86 Sabre ou vieillissants comme le Lockheed F-104 Starfighter, plusieurs Nations avaient entrepris en commun des études pour réaliser un appareil européen qui, tout en permettant de satisfaire aux obligations de l’Otan, aurait eu l’avantage de relancer les industries aéronautiques nationales. Les difficultés inhérentes à une telle entreprise n’ont pas tardé à se faire jour et ont amené pour des raisons diverses la Belgique et la Hollande [les Pays-Bas] à se retirer.
La Panavia, consortium international créé à cette occasion, ne comprend plus que la Grande-Bretagne, l’Allemagne fédérale (RFA) et l’Italie qui manifeste quelques réticences.
La Grande-Bretagne doit prendre sa décision définitive incessamment, la construction du prototype devant démarrer le 1er mai 1970.
La presse aéronautique anglaise se montre inquiète, craignant qu’après l’abandon du British Aircraft Corporation (BAC) TSR-2, puis de l’appareil franco-anglais à géométrie variable (GVFA), le gouvernement n’hésite encore en n’autorisant que des études complémentaires, solution dilatoire qui, si elle a pu être admise dans le passé, n’a plus lieu d’être, la Panavia ayant soumis un projet définitif comprenant toutes les spécifications de performances et surtout de prix. Après l’échec de la collaboration avec la France, la Grande-Bretagne s’est tournée d’autant plus volontiers vers l’Allemagne que celle-ci paraissait désireuse de retrouver dans le domaine aéronautique la réputation acquise avant la guerre et qu’elle disposait d’une puissance industrielle florissante.
De difficiles tractations ont abouti à la satisfaction des partenaires, l’Allemagne obtenant surtout un succès politique tandis que la Grande-Bretagne se réservait le contrôle technique d’un programme relativement complexe en matière d’aérodynamique, de structure et de moteur.
Il est prévu que la participation de chaque État à la fabrication sera proportionnelle aux volumes de commandes : soit 600 appareils pour l’Allemagne, 385 pour l’Angleterre et 200 pour l’Italie.
La motorisation a soulevé de fortes objections de l’Allemagne favorable à un moteur d’origine américaine (General Electric ou Pratt & Whitney) mais finalement l’Angleterre l’a emporté en imposant le Rolls Royce RB199.
Le caractère polyvalent du MRCA qui satisfait aux spécifications militaires de trois forces aériennes devrait constituer un important atout pour l’exportation, d’autant plus que le prix de revient unitaire (y compris les frais de recherche et développement) est fixé à 25 millions de francs soit la moitié de celui proposé par les États-Unis pour le McDonnell Douglas F-15 Eagle.
Devant la nécessité de remplacer progressivement à partir de 1976 les English Electric Lightning, Phantom II, Avro Vulcan et Handley Page Victor par des appareils équivalents à ceux mis en œuvre par les ennemis potentiels sur le théâtre européen, l’Angleterre se doit de prendre rapidement une décision ferme en fixant son choix sur un matériel nouveau : acheté en Amérique, construit en coopération ou à l’échelon national.
Le déclin de l’industrie aéronautique outre-manche laisse à penser que la deuxième option paraît la plus probable encore qu’elle risque de constituer pour l’Allemagne une occasion de réaliser enfin un appareil de combat évolué, ce qu’elle n’a pas encore pu faire depuis 1945 en dépit des tentatives de coopération avec les États-Unis, et par suite, grâce à sa puissance industrielle, de supplanter rapidement la Grande-Bretagne dans le domaine aéronautique.
Polémique autour du MRCA
Il nous a paru intéressant de présenter un point de vue exprimé dans la presse aéronautique anglaise qui fait ressortir les préoccupations actuelles.
À partir de trois obligations de base, deux options sont possibles :
Obligation 1. – La Royal Air Force (RAF) a besoin d’un appareil polyvalent mach 2 pour les opérations en Europe, avec une charge militaire de cinq tonnes et un rayon d’action minimum de 450 km.
Obligation 2. – L’industrie anglaise se doit de maintenir son expérience en matière de technologie avancée, d’aérodynamique, cellule d’avion, moteur et équipements.
Obligation 3. – Nécessité d’une coopération avec l’Allemagne.
Deux options permettent de satisfaire aux précédentes obligations :
Option I – Construction du MRCA en liaison avec l’Allemagne. Les dépenses se répartissent ainsi :
Recherche et développement : 150 millions de livres
Production (400 appareils à 1,5 M£) : 600 M£
Rechanges : 200 M£
Total : 950 M£, soit un prix de revient unitaire d’environ 2,5 M£.
Option II. — Achat de Phantom II supplémentaires.
340 appareils de ce type fourniraient la puissance aérienne équivalente à 400 MRCA ; la moitié d’entre eux serait construite en Grande-Bretagne.
Production (1,5 M£ pièce) : 510 M£
Rechanges : 40 M£
Total : 550 M£
L’obligation 1 est satisfaite avec une économie de 400 M£.
L’obligation 2 serait résolue en attribuant sur ces 400 M£, 200 M£ à un projet d’avion de transport VTOL et 100 M£ à l’étude d’un aéroport adapté.
L’obligation 3 consisterait à entreprendre le projet de transport VTOL en liaison avec l’Allemagne qui œuvre dans ce sens depuis cinq ans.
En conclusion, le choix de l’option II fournit à la RAF la puissance aérienne désirée, à l’industrie 250 M£ pour la fabrication des Phantom II et 300 M£ à des réalisations d’une technologie plus avancée que celle requise par le MRCA, donne satisfaction aux Allemands et permet, tout en économisant 100 M£, de construire un appareil fort utile en temps de paix au lieu d’avions de combat d’un intérêt problématique.
Un tel point de vue, fort différent des opinions officielles, paraît contestable pour plusieurs raisons :
– le prix avancé pour le Phantom II semble faible et compte tenu de la date prévue de la mise en service, il semblerait plus judicieux de faire appel aux F-15 dont le prix est d’environ 6 M de francs ;
– le coût des rechanges Phantom II, 40 M£ au lieu de 200 pour le MRCA (rapport de 1 à 5), est difficilement admissible ;
– il est fait abstraction de tout désir de l’Allemagne de participer à la construction d’un avion de combat moderne ;
– les intérêts de l’Italie sont ignorés, alors qu’elle est toujours acquise au projet MRCA et qu’elle participera au développement et à la fabrication de la cellule et du moteur RB199.
La vocation européenne de la Grande-Bretagne
La concentration en Europe des Forces armées britanniques opposée aux déploiements antérieurs outre-mer et en particulier en Extrême-Orient a constitué le thème principal du Livre blanc sur la Défense publié fin février 1970 en Grande-Bretagne.
« La politique de défense sera essentiellement européenne et fermement appuyée sur l’Otan ». C’est en ces termes que peut être définie la nouvelle orientation prise par l’Angleterre.
Ceci se traduit par des mesures défensives de protection des aérodromes de la RAF en Allemagne, une recherche de collaboration dans la définition des armements nouveaux, l’étude d’un engin de reconnaissance pour les troupes au sol, la volonté d’améliorer l’équipement des escadrons en Allemagne, la décision de redéployer les Blackburn Buccaneer (biréacteur embarqué d’attaque à basse altitude) en Europe dans le délai d’un an.
Toutefois, la Grande-Bretagne ne renonce pas totalement à sa position outre-mer « certaines obligations à l’extérieur demeurent, telles que la protection de Hong Kong et autres possessions. Il faut conserver la possibilité d’intervenir en dehors de la zone de responsabilité Otan en liaison avec des alliés ou les Nations unies ».
Le Livre blanc enfin, insiste tout particulièrement sur l’impérieuse obligation de faire appel à la coopération européenne pour étudier et réaliser les futurs armements ou équipements dont le coût croissant dépasse les capacités d’une seule Nation.
Il s’ensuivrait des économies et une simplification des circuits logistiques, déjà recherchée avec le projet MRCA qui préfigure les solutions de l’avenir.
Dans le cadre de la défense des aérodromes, il est envisagé l’installation de missiles Blood Hound et d’artillerie antiaérienne légère pour lutter contre les attaques à basse altitude tout en aménageant des abris renforcés pour les avions. De plus, il est prévu de renforcer rapidement la défense en cas de besoin par des moyens en provenance de Grande-Bretagne grâce aux forces mobiles qui jouent un rôle important dans la protection des flancs de l’Otan.
Attaque en Ganasie
Si la Grande-Bretagne vient de proclamer sans ambiguïté la priorité accordée à l’Europe en matière de défense, elle n’en néglige pas pour autant ses responsabilités extérieures.
Elle marque sa détermination de respecter les accords passés dans la zone de l’Extrême-Orient en participant à un exercice en liaison avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Malaisie et Singapour.
La Ganasie est un État tampon fictif créé pour l’exercice entre la Malaisie et la Thaïlande, qui se serait livré à des infiltrations en Malaisie septentrionale avant d’engager une action militaire ouverte. Le thème situe les événements en 1975, date à laquelle la Grande-Bretagne aura effectivement quitté Singapour, ce qui permettra de tester les accords d’assistance militaire passés à Kuala Lumpur en 1968. Le nom retenu pour l’exercice Bersatu Padu signifie en malais « unité complète » rappelant l’engagement pris par l’Angleterre de veiller à l’intégrité du territoire malais. Les opérations se dérouleront entre avril et juillet et présupposent une suprématie aérienne alliée.
Dans un souci d’objectivité, aucun porte-avions n’est prévu afin de tenir compte de leur retrait avant 1975.
Alors que les Hawker Siddeley Harrier ne seront pas utilisés dans la jungle, ce qui aurait constitué une expérience intéressante, les Phantom II anglais seront pour la première fois engagés dans un exercice majeur en Extrême-Orient.
Bersatu Padu se déroulera en plusieurs phases : déploiement à partir du 12 avril, période d’entraînement, opérations en juin et démontage en juillet. Pour des raisons d’économie, les mouvements entre la métropole et la Malaisie seront plus étalés qu’en période de crise réelle par suite d’une utilisation restreinte des compagnies de charters. Cet exercice confirme la volonté de la Grande-Bretagne de respecter ses engagements outre-mer comme il en a été fait mention dans le récent discours sur la défense. ♦
(1) Depuis la parution du document de l’Institut d’études stratégiques (IISS) de Londres, des Phantom II auraient été mis en service par Israël. L’un de ces appareils a été abattu le 2 avril 1970 aux environs de Damas.